Le Dr Gerlant van Berlaer est pédiatre, spécialiste de la médecine de catastrophe, professeur à la VUB, médecin actif dans les zones sinistrées du monde entier, et chef du sp.a au conseil municipal de Grimbergen. Mais si son nom revient ces dernières années, c’est pour son engagement auprès de son ami Ahmadreza Djalali.
Photo : Pauline Todesco
Depuis 2016, à chaque nouvelle concernant Djalali, vous alertez les politiciens et les médias. Vous dites “Il le faut, parce que lui n’y arrive pas”. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
C’était à Novara, en Italie. On était étudiants au Master européen de médecine de catastrophe organisé par la VUB et l’université italienne UPO, et on a tous les deux demandé à devenir professeurs dans ce cours.
Tel que vous l’avez connu, quel genre d’homme est-il ?
Ahmad est plutôt calme, sérieux, alors que moi je suis assez extraverti et agité. Disons qu’il ressemble beaucoup plus à un professeur que moi. Moi je parle tout le temps, lui il écoute… Sauf quand on touche au sujet de sa thèse ! Entre la Suède, l’Italie et l’Iran, il a étudié la préparation d’hôpitaux pour un afflux massif de victimes d’une catastrophe. La deuxième chose qui peut l’émouvoir, c’est son pays, son peuple iranien, qu’il a toujours défendu. C’est pour ça que l’accuser d’espionnage, c’est tellement fou… Je ne trouve même pas les mots. Il passait sa vie à améliorer la situation dans les hôpitaux iraniens, et partout dans le monde.
Il adore ses enfants, sa femme, son pays et son travail. C’est vraiment la dernière personne à vouloir du mal à quelqu’un. Même quand il était déjà depuis longtemps en prison, au téléphone, il me demandait si moi j’allais bien. La seule chose dont il se plaignait, c’était du fait qu’on l’empêchait de continuer son travail. “Il y a encore tellement de choses à améliorer” me disait-il.
En Europe, quels sont les freins politiques à sa libération ?
Tous les politiques qu’on a mis au courant ont fait leur possible. Mais on a perdu du temps après les élections en Belgique et en Europe, puisqu’il y a eu de nouvelles personnes au pouvoir qui ne connaissaient pas la situation de Djalali. Il a donc fallu recommencer à les informer, les convaincre qu’il est innocent, et qu’il faut pousser l’Iran à faire le seul geste humain et juste : le libérer d’emblée.
Et puis ce qui me frappe ces derniers mois, c’est qu’on fait un mix de pas mal de choses qui compliquent la situation. On a parlé d’argent iranien bloqué en Europe, du programme nucléaire… Mais où est le lien avec Ahmad ? Il n’y en a pas. On parle d’échange avec Assadi, mais c’est quelqu’un qui voulait beaucoup de mal, et qui n’a pas un seul lien avec Ahmad. Est-ce qu’on veut vraiment échanger un terroriste qui voulait faire exploser beaucoup de gens pour un docteur qui sauve des vies ? Ça ne paraît pas très juste. Il faut arrêter de mélanger les choses. Il faut qu’Ahmad ait un vrai procès, qu’il puisse être défendu par un avocat de son choix, pour qu’on constate qu’il n’y a pas de preuve contre lui. Et alors, il faut le libérer. Simplement.
Que manque-t-il aux effort internationaux pour aider Djalali ?
Il faut parler argent avec le régime iranien. Quand un pays ne respecte pas les lois internationales, on ne peut plus faire de commerce avec lui. Et puis c’est dangereux pour nos marchands, parce qu’on ne sait jamais s’ils vont capturer quelqu’un pour l’échanger un jour contre un iranien malveillant arrêté en Europe.
Les universités belges ont déjà interrompu leur collaboration avec l’Iran, ce qui fait mal au cœur parce qu’on touche inévitablement des gens qui n’ont rien à voir. Mais il faut être clair : aujourd’hui, on ne peut plus faire d’affaires avec eux. Quand on n’écoute pas la raison et l’humanité, c’est souvent la langue des sous qui fonctionne.
Avant Djalali, vous avez dédié le grand combat de votre vie aux enfants. Sont-ils les grands oubliés de la santé dans le monde ?
Oui, dans l’organisation de nos sociétés, on oublie souvent les enfants. Pourtant, ils sont à la fois nos plus vulnérables et notre avenir. Mais ils n’ont pas de vote, alors la politique n’est pas réellement intéressée. En revanche, si on a besoin d’argent, on utilise les photos de pauvres enfants pour toucher les gens !
Un jour j’ai pris une photo depuis la vue d’un enfant dans un lit aux urgences. C’était effrayant. Et ils y restent souvent plusieurs jours ! Alors on a peint les murs, et nous, soignants, on disparait dans le décor. Je suis convaincu que ça peut aider à guérir plus vite.
Je suis l’aîné d’une fratrie nombreuse, et j’ai deux garçons. J’ai toujours essayé de mieux comprendre les enfants. Regarder le monde avec leurs yeux, c’est à la fois rafraîchissant et effrayant. Mais c’est important d’y arriver, pour mieux les soigner. Même si pour moi, ce n’est pas trop difficile, puisque je ne suis jamais devenu adulte.
En parlant de vous, est-ce que votre engagement vous rend heureux aujourd’hui ?
Pouvoir utiliser mon expertise pour aider beaucoup d’enfants et d’adultes qui en ont vraiment besoin, ça me dit que ces presque 20 ans d’études n’ont pas été pour rien. Je n’ai pas assez de temps pour les regrets, sauf peut-être l’idée que j’avais étant jeune, de jouer de la musique. Mais j’ai le genre de travail qui consomme trop de temps, du temps que je ne peux déjà pas passer avec ma famille. Ça me peine parfois. Et puis je me bats pour mes collègues, comme Ahmad, et la vie continue.
Si vous aviez un voeu pour le monde et un voeu pour vous, lesquels seraient-ce ?
Pour le monde des adultes, plus de naïveté infantile, qui permet d’être plus positif et de garder toute l’espérance. Pour moi… exactement la même chose.