Des médicaments vétérinaires pour les hôpitaux belges et français ?

Des hôpitaux belges et français ont administré des médicaments vétérinaires à des patients en soins intensifs. Mais des précisions importantes sont toutefois nécessaires.

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Photo Stefan Heesch (Unsplash)

Des hôpitaux belges et français ont administré des médicaments vétérinaires à des patients en soins intensifs. Mais des précisions importantes sont toutefois nécessaires.

Photo Stefan Heesch (Unsplash)

« Il y a plusieurs hôpitaux à qui le gouvernement a dit : ‘on n’a plus de médicaments pour l’humain donc on va vous donner des médicaments pour chiens et chats », avait affirmé le chef des soins intensifs au CHC de Liège, Philippe Devos, interrogé alors sur la pénurie de sédatifs dans les hôpitaux. La scène s’est déroulée le 15 avril dernier sur le plateau de RTL Info. Depuis, le président de l’Association des Syndicats Médicaux a nuancé ses propos, reconnaissant qu’il ne possédait pas toutes les informations au moment de ses déclarations : « je n’avais pas encore eu l’AFMPS (Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé contrôle, ndlr) en ligne, qui nous a ensuite précisé que ces médicaments étaient les mêmes que des médicaments à usage humain. C’est juste le terme ‘usage vétérinaire’ sur l’ampoule, qui change », clarifie le docteur. En Belgique, l’AFMPS contrôle, autorise et régule la mise sur le marché des médicaments. Elle a validé l’administration du PROPOSURE.

La substance active du PROPOSURE est le propofol, un anesthésique nécessaire aux soins intensifs. Les composants du PROPOSURE – dont le propofol,  sont les mêmes que ceux retrouvés dans le Diprivan, sédatif à usage humain. Début avril, après une analyse des stocks des firmes et des pharmacies, et au regard des projections faites sur l’évolution de l’épidémie, l’AFMPS constate qu’il n’y avait « possiblement pas assez de propofol sur le marché pour répondre aux besoins ». Pour pallier l’éventuelle pénurie de sédatifs, l’institution envoie du PROPOSURE dans tous les hôpitaux belges disposant d’un service de soins intensifs. Les 14 et 15 avril dernier, 965 boîtes de PROPOSURE 10mg/ml sont délivrées aux hôpitaux. L’AFMPS précise qu’ « avant même d’envisager la piste des médicaments vétérinaires, d’autres solutions ont été explorées en étroite collaboration avec les pharmaciens hospitaliers. »

Utilisation « exceptionnelle »

Si l’AFMPS affirme que le PROPOSURE a été utilisé sur des patients dans certains services de soins intensifs belges, il est plus compliqué de savoir dans quelle proportion. Les hôpitaux jouissent d’une liberté thérapeutique et l’agence fédérale ne dispose pas de données précises sur l’usage effectif du produit par les médecins des hôpitaux. Du côté de l’Association Professionnelle belge des médecins Spécialistes en Anesthésie et Réanimation (APSAR), on explique que l’utilisation du médicament vétérinaire est restée exceptionnelle. « Il se peut, qu’un soir, dans l’un ou l’autre service de soins intensifs, une dose de PROPOSURE ait été administrée à un patient », avance Gilbert Bejjani, membre de l’APSAR et médecin directeur de la clinique de la Basilique à Bruxelles. Certains hôpitaux ont bien connu une pénurie temporaire de sédatifs à usage humain, admet l’AFMPS sur son site.

En Belgique, c’est la première fois qu’un médicament à usage vétérinaire contenant du propofol est utilisé en soins intensifs. Actuellement, les stocks de sédatifs ont été renfloués, grâce à des achats auprès de pays européens et non-européens. L’AFMPS indique à ce propos qu’elle “a dû se tourner vers des producteurs dont les médicaments à usage humain ne disposent pas d’une autorisation de mise sur le marché en Belgique.” Après des contrôles de la “qualité du site de production, des certifications internationales du laboratoire, de l’équivalence stricte des principes actifs et excipients”, l’AFMPS garantit que les médicaments fournis aux hôpitaux peuvent être utilisés sur le patient belge, sans aucun risque. L’agence fédérale a également demandé et constaté une augmentation de la production et une accélération de la livraison des producteurs habituels du marché belge. Résultat : « 20 à 30 hôpitaux ont indiqué qu’ils pouvaient mettre le PROPOSURE reçu à la disposition d’autres hôpitaux car ils ne l’utilisent pas », fait savoir l’AFMPS, qui précise que « les stocks en médicaments humains sont désormais suffisants pour répondre à la demande de tous les hôpitaux du pays, jusque fin juin au moins ».

Deux fois par semaine, des experts de l’agence fédérale réalisent une enquête sur les stocks des hôpitaux. Les médicaments vétérinaires sont tout de même utiles, en réserve stratégique. Car les stocks de sédatifs dans les hôpitaux restent “faibles pour permettre une reprise normale des activités”, détaille Gilbert Bejjani. Il ajoute d’ailleurs qu’il n’a pas fallu attendre la crise sanitaire en cours pour fonctionner avec un stock à flux tendu. Une politique qui montre ses limites dans le contexte de la crise sanitaire.

Tous les médicaments « aux normes européennes« 

Pour Philippe Devos, il ne faut rien exclure car l’évolution de la crise sanitaire est difficile à prévoir. « Peut-être que si la crise s’aggrave, des médicaments vétérinaires avec des composants légèrement différents de médicaments humains pourraient être administrés. » Cette situation ne semble pas d’actualité et, surtout, l’AFMPS assure que « les experts analytiques ont fourni des données très rassurantes permettant de l’usage de ces médicaments en toute sécurité pour nos patients. » L’agence fédérale précise que tous les médicaments administrés dans les hôpitaux belges, qu’ils soient destinés à un usage vétérinaire ou humain, répondent aux normes européennes et la qualité des usines fabricantes sont strictement contrôlées par ses experts.

Deux médicaments autorisés en France

En France, un décret du 2 avril a bien autorisé l’utilisation de médicaments vétérinaires pour “faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire”. Cette autorisation, comme en Belgique, concerne seulement le propofol, qui permet la sédation des patients intubés et ventilés. À la différence que, dans les hôpitaux français, deux médicaments vétérinaires à base de propofol sont autorisés : le PROPOSURE, comme en Belgique, mais aussi le PROPOVET. Seuls les excipients changent entre les deux formules. Selon cette étude en ligne de l’Agence nationale française du médicament et des produits de santé (ANSM), tous les excipients du PROPOVET se retrouvent aussi dans d’autres médicaments à usage humain. La Belgique, elle, avait estimé que le stock de PROPOSURE serait suffisant pour parer à une éventuelle rupture en anesthésiques humains.

Une rupture d’anesthésiques dans les hôpitaux français  ? 

Début avril, l’Agence Nationale du Médicament Vétérinaire (ANMV) contacte et prévient le syndicat de l’industrie du médicament et du diagnostic vétérinaire (SMIV)  d’un “risque de rupture en humaine”.  Marie-Anne Barthélémy, secrétaire générale du SMIV, reconnaît que “la demande a été très forte, et que les laboratoires vétérinaires n’ont  pas pu suivre”. 

C’est l’ANSM qui évalue les risques et détermine quels médicaments produits par des laboratoires vétérinaires peuvent être utilisés sans danger sur les hommes. “Seul le propofol a été autorisé après évaluation par l’ANSM, mais la liste des médicaments vétérinaires demandée initialement par les hôpitaux était beaucoup plus longue”, confie M-A Barthélemy. L’industrie vétérinaire a été envisagée comme solution car son organisation est très proche de celle de la pharmaceutique humaine : “Les deux médicaments ont tous deux une autorisation de mise sur le marché (AMM) démontrant  leur qualité, innocuité et efficacité et sont fabriqués selon des normes strictes  BPF (bonnes pratiques de fabrication).

Mais si le PROPOSURE et le PROPOVET ont été autorisés, ont-ils pour autant été  utilisés ?   

« En prévention d’une rupture éventuelle »

Seuls deux laboratoires vétérinaires produisent ces médicaments en France ;  Zoétis pour le PROPOVET et Axience pour le PROPOSURE. Les demandes leurs parviennent en semaine 15 (du 6 au 12 avril). Seul Axience est alors en mesure de livrer. Le laboratoire envoie alors 22 000 flacons de PROPOSURE à sept hôpitaux, dont plus de 80% sont en Îles-de-France. Une “petite quantité, remarque le président du laboratoire Laurent Flaus, en comparaison des volumes consommés en humaine.” 

À l’exception des deux premières semaines d’avril, l’industrie du médicament n’a pas reçu d’autres demandes.  “Cela vient probablement du fait que les hôpitaux n’en avaient pas tant besoin”, explique A-M Barthélemy 

Pierre Lanot, secrétaire général du syndicat national des anesthésistes et réanimateurs de France, a ainsi indiqué qu’aucun médicament vétérinaire n’avait été utilisé à sa connaissance, à la différence de certains services de soins intensifs belges. Ces stocks sont surtout constitués en cas de rupture. Les hôpitaux sont en effet sous tension. C’est le cas notamment  de l’hôpital privé d’Antony en Haut-de-Seine, fortement touché par l’épidémie, où travaille Pierre Lanot comme anesthésiste-réanimateur :  Au plus fort du pic fin mars, nous n’avions que deux ou trois jours de marge pour la réanimation. Mais nous n’avons pas eu besoin de recourir à des médicaments vétérinaires.” 

Mais si le recours aux médicaments vétérinaires n’a pas eu lieu ou en tous cas certainement pas de manière notable en France, peut-il représenter une véritable solution pour les semaines à venir ?

Pas d’équivalents pour les curares

Comme l’explique Pierre Lanot, l’inquiétude concernant les stocks d’anesthésiques est plus que jamais présente parmi les soignants : “l’épidémie est encore loin d’être derrière nous, et surtout les hôpitaux vont commencer à reprendre des anesthésies pour des opérations urgentes, comme en cancérologie. Or, les besoins en anesthésiques sont évalués pour l’instant seulement en  fonction de l’activité réanimatoire des établissements, c’est-à-dire en prévision du nombre de personnes intubées, ventilées. Mais ils n’ont pas pris en compte les besoins en anesthésie, pour une reprise de l’activité normale.” 

Toutefois, Pierre Lanot précise que l’inquiétude des anesthésistes-réanimateurs porte moins sur les sédatifs que sur les curares. Le propofol appartient à cette première catégorie des sédatifs, permettant de diminuer la conscience des patients, voire d’obtenir un coma en réanimation. Les curares, eux, permettent de paralyser les muscles “striés”, à contrôle volontaire (comme les muscles de la respiration contrairement à d’autres muscles comme le coeur) et ils sont indispensables pour que le patient se laisse faire par le réanimateur. Ce qui nous inquiète, c’est surtout la rupture de curare, on peut remplacer les sédatifs par des hypnotiques et des morphiniques mais pas les curares.

Or, le curare n’a pas trouvé son équivalent en médecine vétérinaire, signale M-A Barthélémy, secrétaire générale du SMIV : “La liste initiale des besoins des hôpitaux était beaucoup plus longue que ce que nous avons finalement fournie. En vétérinaire, nous n’avons notamment pas de médicament qui puisse remplacer ceux à base de curare utilisés en réanimation chez l’Homme.” 

C’est  bien la première fois, assure le SMIV, que les laboratoires vétérinaires sont sollicités pour de la médecine humaine en France. Mais si les médicaments vétérinaires peuvent pallier certains manques, ils ne semblent pas envisagés comme solutions pour les ruptures à venir d’anesthésiques. Les laboratoires vétérinaires n’ont pas été davantage mobilisés. Et comme l’explique M-A Barthélemy, même si certains médicaments sont similaires dans leur fabrication et mode d’administration, “beaucoup de spécialités en anesthésie vétérinaire restent très différentes.” 

Avec Sarah Djerioui pour Journalistes Solidaires

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