De Katmandou à Rabat : les révoltes de la GenZ

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Photo : AUTEUR (Unsplash)

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Ces derniers mois ont été marqués par une vague de soulèvements des jeunes qui entendent faire changer les choses au Népal, au Maroc ou encore à Madagascar. Quels sont les points communs et les différences entre ces mouvements ?

Chacun de ces mouvements a été initié par la Gen Z, soit des jeunes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010. Tous sont l’expression d’une colère sociale face à l’action politique d’un gouvernement. Mais les éléments déclencheurs ne sont pas forcément les mêmes en fonction des pays où se déroulent les émeutes.

Trois pays, trois sources de révolte

Au Maroc, la mobilisation fait suite à la mort de huit femmes en une semaine dans un hôpital d’Agadir. Mais ces événements n’ont été que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Un mouvement de colère grondait depuis plus longtemps face au gouvernement jugé corrompu, clientéliste et népotiste. La GenZ s’est levée face aux inégalités sociales et territoriales qu’elle subit, comme le manque d’investissements dans les infrastructures publiques ou le manque d’opportunités. Ainsi, les manifestants marocains se plaignent notamment de la qualité médiocre des hôpitaux et écoles publiques alors que le gouvernement concentre ses investissements dans la construction de nouveaux stades de foot pour la Coupe du Monde 2030.

À Madagascar, la jeunesse a d’abord protesté contre l’effondrement des services de base suite aux coupures d’électricité récurrentes, aux pénuries d’eau et à la pauvreté extrême pour continuer ensuite face à la perception d’un pouvoir corrompu. Comme le souligne Jean-Michel Wachsberger, expert en sociologie urbaine et politique malgache : “ Madagascar est un des pays les plus pauvres au monde, ce pays a une trajectoire économique très particulière puisque depuis l’indépendance, le PIB ne cesse de baisser. Ce qui a déclenché les mobilisations, c’est en fait les coupures d’électricité qui sont récurrentes et  qui durent 10 à 12 heures par jour. ”

Au Népal, c’est le train de vie démesuré des élites qui a fait jaser un des peuples les plus pauvres au monde. Les enfants des élites vantaient leur vie de luxe sur les réseaux sociaux, les esprits des jeunes défavorisés ont commencé à chauffer et le gouvernement a tenté de restreindre drastiquement l’accès du peuple aux réseaux sociaux, en vain. Cette tentative de restriction a débouché sur des émeutes durant lesquelles des bâtiments gouvernementaux ont été brûlés. Les confrontations entre des manifestants et les forces de l’ordre qui ont fait plusieurs morts.

Les réseaux sociaux comme outil de contre-pouvoir

L’usage central du numérique constitue un point commun majeur entre ces mouvements : au Maroc comme à Madagascar, les plateformes comme Discord, Tiktok, Instagram et Facebook ont permis aux jeunes de faire passer des messages forts, de créer une communauté et de préparer leur descente dans les rues. Par ailleurs, ces plateformes constituent de canaux majeurs de diffusion, permettant de relayer non seulement les mobilisations et les répressions, mais aussi les messages et revendications que les jeunes souhaitent faire passer.

Les jeunes Malgaches et Marocains ont été encouragés par la vague népalaise pour lancer leur propre révolution. “Je pense que l’inspiration du Népal a été très forte. Ils sont très connectés, beaucoup plus que leurs aînés. Ils ont repris les mêmes slogans, les mêmes façons de faire, les mêmes modes d’organisation. Les réseaux sociaux ont permis une forme de mobilisation qui n’était pas possible auparavant ”, confirme Jean-Michel Wachsberger. Si les éléments déclencheurs sont différents, ce n’est pas un hasard que les 15 – 35 ans de ces pays, pourtant éloignés, se soient rebellés les uns après les autres contre les inégalités auxquelles ils font face. Ces émeutes sont la preuve qu’à notre époque, les réseaux sociaux ont aussi le pouvoir d’agir à grande échelle et de renverser des politiques en très peu de temps.

Un même symbole et des slogans pour fédérer la colère 

Les problèmes varient d’un pays à l’autre, mais partout les jeunes brandissent le même drapeau pirate de One Piece, un animé qui met en scène la bande du Chapeau de Paille défiant les dirigeants corrompus. Ce symbole est devenu leur étendard commun. Sur les réseaux comme dans les rues, il incarne la solidarité, la révolte et la détermination : un message clair pour les puissants et un signal pour tous ceux qui veulent se joindre au mouvement.

Comme l’explique Suzan Gibril, experte du Monde arabe et Moyen Orient et des régimes autoritaires : “ Ce sont des mouvements qui apprennent les uns des autres, et qui essayent d’implémenter ce qui a bien fonctionné ailleurs. C’est toute une symbolique. Ils se rassemblent autour d’un slogan qui est fort, d’une figure politique.”

Des slogans forts sont également devenus symboles d’une révolte mondiale. Au Maroc, les jeunes ont dénoncé la corruption et les inégalités avec des cris comme « Nous voulons des hôpitaux, pas des stades » ou encore « Liberté, dignité et justice sociale ». Au Népal, la contestation a pris une dimension numérique, avec des mots d’ordre tels que « No More Nepo Babies » ou « Stop corruption, not social media », exprimant le refus du népotisme et de la censure. À Madagascar, le slogan « We want to live, not survive » a résumé le désespoir d’une jeunesse en quête de meilleures conditions de vie. Tous ces slogans traduisent une même volonté de rupture, mais chacun porte la marque des luttes et des urgences propres à son contexte national.

Des soulèvements lourds de conséquences 

En ce 23 octobre 2025, la situation au Népal a déclenché une grave crise politique, marquée par un lourd bilan humain de 74 morts et près de 2 113 blessés. L’armée, qui dirigeait temporairement le pays, a demandé aux manifestants de choisir une représentante ; ils ont alors nommé Sushila Karki à la tête du gouvernement de transition. 

Au Maroc, les manifestations persistent par vagues, des centaines d’arrestations ont été rapportées et les appels à des rassemblements continuent malgré la répression policière. Suite aux mobilisations, le gouvernement a adopté un  projet de loi de finances 2026, allouant 140 milliards de dirhams (environ 13 milliards de dollars) à la santé et à l’éducation, soit une augmentation de 23 % par rapport à l’année dernière. 27 000 nouveaux emplois dans le secteur public vont également être créés, une réforme nécessaire puisque, comme l’explique Suzan Gibril : “cette jeunesse est très bien éduquée, mais elle est forcée de rester vivre chez ses parents car elle fait face à un manque criant d’opportunités”. Enfin, le gouvernement prévoit aussi des réformes électorales visant à réduire les obstacles pour les jeunes candidats et à renforcer la représentation des femmes.

À Madagascar, la crise a pris un tournant décisif avec l’effacement progressif du président, fragilisé par une popularité en chute libre et une opposition parlementaire de plus en plus virulente. Dans ce climat d’incertitude, l’armée a saisi l’occasion pour imposer son autorité, entraînant la destitution d’Andry Rajoelina et son exil en France. Cette destitution ouvre une période d’incertitude, mais aussi de possibles renouveaux politiques.

Une jeunesse qui fait bouger les choses

Les soulèvements de la génération Z au Népal, à Madagascar et au Maroc montrent que cette jeunesse peut provoquer des changements politiques et sociaux concrets. Au Népal, le mouvement a conduit à la chute du gouvernement, à Madagascar il a forcé le limogeage du cabinet, et au Maroc il a entraîné des réformes importantes dans la santé et l’éducation.

Comme le souligne Suzan Gibril, ces mouvements représentent une « graine qui va devoir germer ». Néanmoins, leur ampleur et leur rapidité illustrent que la GenZ peut remettre en question des structures de pouvoirs établies, influencer l’agenda politique et attirer l’attention sur des injustices longtemps ignorées. Ces trois exemples démontrent l’impact considérable qu’une jeunesse mobilisée et connectée peut avoir sur la scène politique et sociale mondiale.

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