Dans les bottes d’un gardien de la paix

Ne leurs dites jamais qu'ils se baladent... Ces hommes et femmes en mauve, ces "supporters d'Anderlecht" comme certains les appellent, arpentent les rues de la capitale jour et nuit. Coordonnés et gérés par Bravvo, le service de prévention de la Ville de Bruxelles, on ne sait pourtant pas grand-chose de ces quelques 180 gardiens de la paix. Mammouth a passé une journée à leurs côtés.

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Ne leurs dites jamais qu’ils se baladent… Ces hommes et femmes en mauve, ces « supporters d’Anderlecht » comme certains les appellent, arpentent les rues de la capitale jour et nuit. Coordonnés et gérés par Bravvo, le service de prévention de la Ville de Bruxelles, on ne sait pourtant pas grand-chose de ces quelques 180 gardiens de la paix. Mammouth a passé une journée à leurs côtés.

Nous arrivons à 14h30 dans ce local discret du quartier Anneessens pour assister à la relève des équipes de gardiens de la paix de la zone centre et au briefing qui l’accompagne. Ismaël Bouamar, chef d’équipe, nous explique comment s’organise la présence des gilets mauves sur le terrain : « On fonctionne par hotspots (des lieux signalés comme sensibles), on n’est jamais quelque part par hasard. On fait le suivi de ces endroits pendant une semaine, voire plus si quelqu’un en fait la demande ».

Et une fois sur le terrain, c’est une véritable enquête qui a lieu, raconte Youssef, le plus ancien Gardien de l’équipe. « Si on nous signale par exemple des jeunes qui fument des joints devant un magasin, on se rend sur place, on se renseigne, on cherche à savoir de qui il s’agit, s’ils sont dans une école du coin et, si c’est le cas, on le signale à l’école et à l’éducateur de rue. »

Sensibiliser et prévenir

Ismaël poursuit, « on est vraiment dans un travail de prévention, de sensibilisation… Cela passe d’abord par notre sécurité, car si je ne me mets pas en sécurité, je ne peux pas mettre les autres en sécurité. » Un sentiment est partagé par tous les gardiens que nous rencontrons : la population leur fait confiance, plus confiance en tous cas qu’à la police.

Nous partons avec Dylan et Ahmed pour faire la circulation à la sortie d’une école. La tâche est très codifiée ; on n’arrête pas les voitures comme ça ! Sans formation, brassard aux couleurs de la Belgique et panneau C3 (accès interdit), la police pourrait les verbaliser.

 « On marche beaucoup ! On ne prend jamais le métro ou les transports en commun, on pourrait rater quelque chose », dit Dylan. En effet, un gardien de la paix parcourt en moyenne 14 à 15 km par jour.

Des citoyens modèles, en uniforme

17h30, changement de zone et d’activité. Nous rejoignons Christophe, chef d’équipe d’évènements tels que les Plaisirs d’Hiver, dans un bureau spécialement aménagé sur la place Sainte-Catherine. A peine installé, il raconte sa longue carrière avec entrain, pendant que des équipes vont et viennent dans le local, le temps d’une pause, soit 10 minutes, toutes les heures, par période de grand froid ou de grande chaleur.

 « C’est ça le rôle des gardiens de la paix : on est des citoyens modèles, mais en uniforme », explique ChristopheMême si l’uniforme, de l’avis de beaucoup de gardiens rencontrés, ne protège pas assez du froid et des intempéries.

Premiers secours, gestion du stress, self-défense… On sait repérer les effets des différentes drogues. On est même formés à détecter la radicalisation ! 

BEN

C’est l’heure de la ronde, avec Ben et David : Bourse, Grand-Place, Place de Brouckère… un parcours pas si touristique que ça à leurs yeux : « On nous dit souvent qu’on ne fait que se balader, mais c’est faux », proteste Ben sous les lumières de la Grand Place, « Il faut un an de formation pour devenir gardien (ou GDP dans le jardon), et nous sommes formés à tout : premiers secours, gestion du stress, self-défense… On sait repérer les effets des différentes drogues. On est même formés à détecter la radicalisation ! » Et à David de poursuivre : « On est le relais entre les citoyens et les services publics, la police, les urgences… On accompagne aussi les maraudes. Et c’est nous qui contactons les pompes funèbres lorsqu’on découvre un cadavre. »

De retour au local, nous demandons à Christophe pourquoi les gardiens de la paix ne verbalisent pas. « Ça dépend de chaque commune. Bruxelles est une des seules dans laquelle les gardiens ne peuvent pas dresser d’amendes. Même un gardien qui est assermenté ne peux pas demander sa carte d’identité à un citoyen ». Mais pour lui, ça ne change pas grand-chose. Michel, 15 ans de carrière, poursuit : « C’est tant mieux. Ça fait 10 ans que je suis dans le même quartier. Si, du jour au lendemain, je verbalise des gens que je sensibilisais avant, la confiance est rompue. ». Néanmoins, il estime que « ça serait vraiment bien qu’on ait une valorisation du métier par les autorités publiques. »

Le jour et la nuit

20h50, après une dernière patrouille, nous quittons le Centre pour rejoindre le Quartier Nord pour le service de nuit. Ici, la situation est différente. Très différente, « La nuit, on est moins dans la prévention », me prévient Redouane, le chef d’équipe.

Avec Boubou et Boupsi (surnoms), nous faisons le tour du quartier. D’abord il y a le parc Maximilien, vidé de ses occupants par le froid. Le portrait brossé n’est pas fameux : infestation de rats « bien nourris », agressions, braquages de magasins, toxicomanie. « Ça contraste vraiment avec les beaux immeubles et restaurants juste à côté », note Boupsi.

Bienvenue dans le pire endroit de Bruxelles !

Boubou

Ensuite il y a le Quai des Péniches, lui aussi vide. « Bienvenue dans le pire endroit de Bruxelles », s’exclame Boubou. Le problème, ici, c’est la violence, « On y encadre les distributions de nourriture. Il suffit d’un dépassement dans la file pour qu’une bagarre éclate ».

Enfin, il y a certaines dates, que tous redoutent, comme le Nouvel An. « C’est la pire journée ! On reçoit des menaces déjà quelques semaines avant. On y est vraiment pris pour cible ; ils visent l’uniforme. »

Ils, ce sont les jeunes du quartier, avec qui les gardiens sont pourtant en dialogue pacifique le reste de l’année. D’autres gardiens font le même constat ailleurs : certaines situations stagnent et se répètent.

Le travail se finit tard, sous la pluie. Aujourd’hui il ne s’est rien passé de grave, mais pour ces hommes et ces femmes, demain sera un autre jour à veiller discrètement sur nous.

Deux gardiens patrouillent le soir
Les gardiens de la paix ne se baladent pas. Ils sont formés à repérer ce que nous ne voyons pas, comme les pickpockets. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Une personne demande son chemin
Les GDP sont souvent un repère pour les touristes perdus. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Un Gardien de la paix pose pour la photo
Dylan a 23 ans. On trouve des gardiens de tout âge, et la profession commence doucement à se féminiser. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Un Gardien prépare du café
Pour chaque évènement qu’ils couvrent, les gardiens disposent d’un local provisoire, pour être au coeur des lieux. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Deux Gardiens habillés pour faire la circulation
Quand les Gardiens font la circulation, c’est à la demande des écoles. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Trois Gardiens en pause
Christophe (au centre), est chef d’équipe. Il gère la position et le temps de travail de ses équipes. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Des gardiens de la paix travaillant sur ordinateurs
Être gardien de la paix, c’est aussi du travail de bureau. Afin d’assurer un meilleur suivi, tous les rapports sont digitalisés. Florent Schauss (CC BY NC ND )
Un porte manteau remplis des vestes mauves
Visibles de loin dans leurs vestes mauves, la présence des gardiens est souvent dissuasive. Florent Schauss (CC BY NC ND )

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