Dans la peau des lapins: faut-il souffrir pour être beau?

Enquête auprès des propriétaires, éleveurs et vétérinaires des lapins à la mode

par

Lara Kempinaire

Enquête auprès des propriétaires, éleveurs et vétérinaires des lapins à la mode

Lara Kempinaire

Le lapin a désormais sa place au sein de nos foyers. Il est l’animal de compagnie le plus populaire après le chien et le chat. Les lapins aux oreilles tombantes, ainsi que « les petites boules toutes rondes » sans museau apparent, ont particulièrement le vent en poupe. Mais ne seraient-ils pas aussi ceux qui se retrouvent le plus souvent chez nos vétérinaires ?

C’est Patrick qui nous accueille tandis que Chiara, sa compagne, est occupée à nettoyer les clapiers. Pinkie, la jolie lapine blanche se fait câliner. Chiara s’arrête dans son ménage pour nettoyer l’oreille de Gus, leur lapin bélier qui a souffert d’une otite très agressive. « Elle est dégueulasse ton oreille, Gus! » s’écrie-t-elle.
Alors que les préparatifs avancent et que les soins de Gus sont terminés, Chiara le redépose au sol, près de sa congénère. Très vite, ils se blottissent l’un contre l’autre. Chiara nous raconte : « quand les vétérinaires ne donnaient que très peu de chance à Gus quant à sa survie, Pinkie a été adoptée. Miraculeusement, l’état du lapin bélier s’est amélioré ». Derrière cette scène d’apparence paisible, la réalité est toute autre. La voici.

Gus recevait autrefois une médication pour traiter son otite. Non sans impact sur d’autres aspects de sa santé, celle-ci a laissé place à un nettoyage occasionnel de l’oreille. Liège, le 07/07/25.

Gus a 8 ans aujourd’hui. Le moins que l’on puisse dire, c’est que sa vie est loin d’être un long fleuve tranquille. Ce lapin bélier a d’abord souffert d’une otite de l’oreille moyenne puis interne. Il tournait en rond, penchait la tête et son oreille purulait abondamment.
Chiara, sa propriétaire, s’est vu proposer une opération coûtant environ 1000 euros, sans être certaine que le lapin y survive. Faute de moyens suffisants à l’époque, Chiara a préféré freiner ce qu’elle qualifiera « d’acharnement thérapeutique ». En effet, seuls des médicaments lui ont été administrés et aucune opération n’a été pratiquée.
Aujourd’hui et malgré une nouvelle rechute, Gus a survécu mais il gardera la tête penchée toute sa vie. Est-il heureux comme cela? « Je ne sais pas », répond Chiara.
Est-ce qu’à l’époque, les yeux de Chiara se sont posés sur Gus par hasard? Elle dira que non, c’était bien un lapin nain et aux oreilles tombantes qu’elle désirait adopter.

Chiara ne regrette pas d’avoir adopté Gus mais nous confie cependant ne pas avoir été informée, lors de son achat en animalerie, qu’un nettoyage régulier des oreilles était nécessaire. De même, elle ne savait pas qu’un débat existait quant au fait que le lapin bélier serait potentiellement plus à risque de souffrir d’otite. Mais est-ce un cas isolé?

À la suite d’une otite, Gus gardera la tête inclinée pour le restant de ses jours. Liège, le 07/03/25

Le lapin bélier est une victime de la toute puissance autoproclamée de l’homme, exactement comme les chiens à museau court

Michel de Waha, historien.

Le Docteur Johnson (vétérinaire NAC, « nouveaux animaux de compagnie », enseignant à l’ULiège) nous explique que son cabinet est davantage sollicité pour les lapins extra-nains, brachycéphales (crânes arrondis presque aussi larges que longs) mais également, les béliers.
Les différents vétérinaires NAC rencontrés sur le terrain s’accordent à dire que ces morphologies ont ce point commun: un aspect juvénile, qui plaît à bon nombre de particuliers. Le Docteur Johnson nous explique qu’il voit surtout des lapins pour des problèmes dentaires, oculaires et respiratoires.

Le Docteur Balzat, quant à elle, est vétérinaire NAC en province de Liège et nuance. Elle n’observe pas particulièrement de lapins brachycéphales dans son cabinet. Par contre, elle estime que ses patients lapins sont bien constitués à environ 70% de lapins béliers (mais sans rentrer dans de l’hypertype et donc, de la brachycéphalie), contre 30% d’autres races; ou de races non-identifiées. Avant de rajouter:
« Bien sûr, je ne peux pas prouver qu’un lapin a des problèmes dentaires à cause de sa race. Néanmoins, quand je vois un lapereau de 11 mois avec un si gros abcès dentaire, c’est peu probable que cela soit dû à une mauvaise alimentation. Il y a probablement quelque chose de génétique derrière cela ».

Il est intéressant de ne pas tirer des conclusions hâtives. Néanmoins, les statistiques de fréquentation des lapins béliers au sein des cabinets vétérinaires semblent préoccupantes.

Sous l’œil inquiet de la propriétaire de Biscuit, la vétérinaire fait le point sur sa guérison lors de cette consultation post-opératoire. Biscuit a subi une extraction de deux dents suite à un abcès dentaire. Cabinet vétérinaire du Docteur Balzat. Retinne, le 27/05/25.

Bien sûr, je ne peux pas prouver qu’un lapin a des problèmes dentaires à cause de sa race. Néanmoins, quand je vois un lapereau de 11 mois avec un si gros abcès dentaire, c’est peu probable que cela soit dû à une mauvaise alimentation. Il y a probablement quelque chose de génétique derrière cela

Docteur Balzat.
Bunny doit recevoir des limages réguliers depuis environ un an. À chaque intervention, l’anesthésie doit être réadaptée car il y a une habituation du corps aux anesthésiants. Cabinet vétérinaire du Docteur Balzat. Retinne, le 10/06/25.
Soins post-opératoires sur Jeannot, lapin bélier de 6 ans. Certaines de ces opérations s’avèrent très coûteuses pour les propriétaires qui se retrouvent parfois dans l’impossibilité de payer ces soins. Cabinet vétérinaire du Docteur Balzat. Retinne, le 13/05/25

Jeannot est un lapin bélier âgé de 6 ans. Soudainement, il s’est mis à refuser de manger et, symptôme impressionnant, à perdre l’équilibre. Sa maîtresse a dès lors décidé de s’orienter vers une vétérinaire NAC. La radio était sans appel: otite de l’oreille moyenne. La bulle tympanique, quant à elle, était également touchée.

Le Docteur Balzat s’est sérieusement posé la question des chances de survie de Jeannot, tant la quantité de pus était inquiétante lors de la première consultation.
S’il y a bien quelque chose que sa maîtresse n’avait pas anticipé en l’adoptant, c’est cela. Mais encore et surtout, au-delà de son pronostic vital, d’autres freins sont apparus : le prix des soins.
En effet, le seul outil permettant de définir l’étendue précise de l’opération à effectuer et de donner les meilleures chances de survie au lapin, c’est le scanner. Or le scanner, nous confie sa propriétaire, coûte environ 500 euros. Rajoutons à cela l’opération à 500 euros également, ainsi que les à-côtés (principalement les consultations): encore 100 euros. Pour elle, c’est trop.
Sa vétérinaire nous explique l’alternative proposée et acceptée par sa propriétaire : remplacer le scanner par une radio qui elle, ne coûte qu’une centaine d’euros. Moins cher mais moins précis, et moins sûr donc.

Pour un petit lapin qui nous a coûté 35 euros en animalerie, on ne pouvait pas payer 1000 euros de frais médicaux

Rebeka, propriétaire d’un lapin bélier nain décédé du parasite E. Cuniculi en mars 2025.

Gus, Biscuit, Bunny et Jeannot ont souffert mais ont survécu. Parmi les propriétaires que nous avons rencontrés, il y a aussi Rebeka, dont le petit lapin bélier est décédé au mois de mars 2025 du parasite Encephalitozoon cuniculi (E. cuniculi). Un parasite qui, d’après les lectures de Rebeka, pourrait survenir davantage chez les lapins béliers. A force de cortisone et de vermifuges, Caramel s’est battu pour sa vie, tout comme ses propriétaires qui ont tenté beaucoup de solutions. Malheureusement, il est décédé quelques mois plus tard, après de nombreuses rechutes.

Rebeka, à l’instar de la plupart des propriétaires de lapins rencontrés, évoque la problématique du budget. En effet, lors de la dernière rechute de Caramel, sa vétérinaire a proposé le traitement « de la dernière chance », impliquant une hospitalisation avec baxter. Une injection très chère, sans certitude d’efficacité et impliquant des séquelles probables. Rebeka s’est dit que là, c’était de trop:
« C’est triste mais, vu mon budget, il fallait prendre une décision. Et puis, il y a la question du bien-être animal. Je pense qu’il en avait marre sincèrement. D’habitude, il se débattait et le dernier jour, il s’est laissé faire. Si on m’avait garanti un rétablissement total, j’aurais pu rajouter de l’argent. Mais sans cela, je préférais le laisser partir ».


Rebeka nous explique que chaque consultation coûtait aux environs de 50 euros et que la visite en urgence d’un vétérinaire de garde lui a coûté environ 500 euros. A cela, il ne faut pas oublier les frais annexes tels que les médicaments.
Malgré la tristesse évidente liée à la perte de son animal, Rebeka conclut de façon très pragmatique: « pour un petit lapin qui nous a coûté 35 euros en animalerie, on ne pouvait pas payer 1000 euros de frais médicaux ».
Les cas que nous avons rencontrés sont le reflet de la balance fragile entre les réalités économiques des propriétaires et l’attachement qu’ils ont envers leur animal de compagnie. Betty par exemple, s’est déplacée jusqu’à Lille afin de prodiguer les meilleurs soins à Clochette, lorsque celui-ci a développé une otite. Très attachée à ses animaux, Betty conserve leurs cendres dans des urnes.

Betty conserve dans son salon une urne contenant les cendres de son lapin Clochette. Dour, le 08/04/25
Les vétérinaires « NAC » se consacrent principalement aux soins des lapins, mais également des autres «nouveaux animaux de compagnie». Clinique universitaire de l’Uliège. Liège, le 04/04/25

Les propriétaires de ces lapins si mignons sont donc parfois confrontés à des choix douloureux, entre l’envie de tout faire pour soigner leur animal et le besoin de préserver leur santé financière. Cela pouvait-il être anticipé? Pas certain. En effet, en interrogeant plusieurs d’entre eux, les réponses convergent souvent: ils ignoraient les spécificités médicales de la race.

Prenons l’exemple de Betty. Lorsque Clochette s’est mis à perdre l’équilibre, sa vétérinaire habituelle (non-spécialisée en NAC) n’était pas disponible. Betty a donc décidé d’aller voir une autre vétérinaire, formée en NAC. Lorsque cette dernière a découvert la gravité de la situation, elle était sidérée d’apprendre que les oreilles de Clochette n’avaient jamais été auscultées lors des consultations précédentes. En outre, Betty n’avait jamais reçu le conseil de nettoyer régulièrement les oreilles de son lapin. Malheureusement, ce cas de figure est très fréquent. Comme le souligne le Docteur Johnson, ces soins ne constituent certes pas une garantie, mais peuvent néanmoins prévenir une partie des otites.

Radio de Jeannot. A gauche, un bulbe tympanique intact tandis qu’à droite, on le voit grignoté
par une otite de l’oreille moyenne. Cabinet vétérinaire du Docteur Balzat. Retinne, le 13/05/25

Suite à ces différents témoignages, nous avons souhaité remonter du côté des «producteurs» de ces lapins. Il est cependant à noter que les propriétaires rencontrés avaient, pour la majorité d’entre eux, acheté leur lagomorphe en animalerie. C’est ainsi que nous sommes notamment tombés sur l’élevage de Catherine.
« Catherine, il y a quelqu’un pour toi! », résonne dans le sas d’entrée. L’éleveuse nous accueille au bout de quelques minutes. Elle nous propose de choisir quelles sections de l’élevage nous souhaitons visiter.
Catherine refuse rapidement que nous photographions la partie intérieure car « les gens vont dire quelque chose pour les cages ».


Sur la barrière qui donne accès à la partie extérieure, on peut lire cette pancarte: « Je décline toute responsabilité en cas d’accident ou de mort subite d’un lapin ». Nous avons été surpris à la lecture de cette phrase.
La dame nuance sans hésitation les informations que nous avons pu recueillir jusqu’à maintenant: elle n’observe pas plus de problèmes de santé chez ses lapins béliers que chez les autres.
Aujourd’hui, elle n’élève plus que cette race et plus particulièrement des mini-lops (lapins béliers aux visages fortement écrasés, soit l’hypertype des béliers). La demande est telle qu’elle a préféré se spécialiser dans ces lapins à la morphologie qui plait tant, « des petits êtres très mignons, avec un tempérament agréable et chaleureux ».

Les mini-lops (lapins béliers à la face très écrasée, soit brachycéphales) ont le vent en poupe. Elevage de lapins à Wezembeek-Oppem, le 08/07/25.

Je ne vois pas l’intérêt de reproduire des animaux que l’on sait sujet à des problèmes de santé, tels que les malocclusions dentaires et les otites

Perrine, éleveuse de lapins béliers.

Perrine, quant à elle, élève des lapins béliers dans la province de Liège. Contrairement à Catherine, elle s’oppose à la reproduction de l’hypertype portant le nom de « mini-lops », et n’en observe par ailleurs que très peu parmi les éleveurs.
Elle a de surcroît un avis plutôt tranché quant à leur reproduction: « je ne vois pas l’intérêt de reproduire des animaux que l’on sait sujets à des problèmes de santé, tels que les malocclusions dentaires et les otites », déclare-t-elle.
Là où son témoignage rejoint cependant celui de sa consœur, c’est qu’elle n’observe, elle non plus, presque pas de pathologies d’oreilles et de dents chez ses lapins béliers.
Ceci est peut-être lié à sa mise en place d’une série de précautions afin de limiter les risques de maladies, dont la meilleure est d’enlever les animaux souffrants de la reproduction. Ce n’est pas tout. Du foin à volonté, de l’espace et de l’air sain sont d’autres recommandations importantes.
Quant aux lapins béliers spécifiquement, elle reconnaît néanmoins que les oreilles sont à surveiller régulièrement, ainsi qu’à nettoyer en cas de besoin. Avant de rajouter que plus le nombre de lapins est important dans l’élevage, moins le contrôle sur la santé est facile et rigoureux.

« Idéalement, le but d’un éleveur n’est pas de faire de l’argent à tout prix mais d’être responsable et vigilant quant à la santé des animaux », conclut Perrine
L’enjeu de cette question est publique. Les réseaux sociaux (principalement les pages dédiées aux lapins), sont bombardés d’annonces de type « mini-lop à vendre » ou encore « recherche lapin bélier nain » mettant en lumière la question complexe de l’offre et de la demande.

Capture d’écran d’une publication Facebook d’un éleveur de lapins (anonyme). Ce type d’annonce est monnaie courante sur les réseaux sociaux et met en avant des termes tels que « peluche » ou encore
« nounours », sans pour autant annoncer les spécificités médicales de l’animal.
Véritable crâne présentant une malocclusion dentaire légère. Clinique universitaire de Liège, le 04/04/25

Mais alors, faut il en conclure qu’un lapin doit souffrir pour être beau? Au delà du lien entre la forme du crâne et les pathologies diverses, que certains contestent, on peut s’interroger sur ce qui rend un lapin mignon. C’est le défi qu’ont relevé Harvey (zoologiste britannique) et ses collaborateurs. Dans un article publié dans Animals en 2019, ils décrivent ce qui, chez les lapins, séduit les humains. Des dizaines de vétérinaires ont sélectionné 25 images de lapins ayant des têtes différentes, afin que l’ensemble des morphologies possibles puissent être présentées aux participants. Les chercheurs ont pu démontrer que la morphologie la plus attrayante était une face moyennement écrasée et qu’à contrario, les visages les plus allongés étaient les plus boudés.


La conclusion de ces scientifiques fût dès lors la suivante: l’être humain est attiré par des aspects juvéniles et c’est probablement la principale raison de leur succès. Les auteurs de l’article invitent donc les éleveurs à éviter la reproduction des faces extrêmement plates, étant donné leur propension à développer des maladies. Les visages moyennement écrasés et les oreilles droites sont dès lors à privilégier.
Un lapin qui ressemble à un bébé, c’est mignon et on veut l’adopter. Toutefois, c’est aussi une possible condamnation à des problèmes de santé. Des maladies qui ne sont pas toujours gérables d’un point de vue financier et qui prédisposent parfois l’animal à des souffrances, voire à la mort.

Bunny se réveille de son anesthésie et ce, dans les bras du Docteur Balzat. Retinne, le 10/06/25

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