COVID-19 : l’anxiété au cœur de l’enfermement

Le 6 mai 2020, plus de trois millions d’individus sont touchés dans le monde et 8339 décès sont comptés en Belgique. Il nous glisse des mains et nous fait peur ce virus. Les rassemblements sont interdits, la distanciation sociale exigée et les sorties limitées. Mais comment vivre enfermé ? Un marin, un ex-détenu, un volontaire d’essai clinique et un navigateur racontent comment eux, dans un autre contexte, vivent l’enfermement.

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@cries / CC BY NC ND

Le 6 mai 2020, plus de trois millions d’individus sont touchés dans le monde et 8339 décès sont comptés en Belgique. Il nous glisse des mains et nous fait peur ce virus. Les rassemblements sont interdits, la distanciation sociale exigée et les sorties limitées. Mais comment vivre enfermé ? Un marin, un ex-détenu, un volontaire d’essai clinique et un navigateur racontent comment eux, dans un autre contexte, vivent l’enfermement.

@cries / CC BY NC ND

« C’est le caractère de la personne qui fait qu’elle parvient à s’adapter plus ou moins au confinement ou à l’emprisonnement ». Marc a 56 ans et a passé sept ans en prison. Il a entamé son temps dans 8 m², avec deux autres détenus à la prison de Forest. Le manque d’hygiène, l’odeur constante de tabac et le bruit incessant des portes métalliques ont rendu ces trois premiers mois particulièrement pesants. « Ce sont les premières semaines les plus difficiles, quand psychologiquement vous savez que « bam », la porte est fermée et que vous ne pouvez pas sortir ».

Transféré ensuite à la prison d’Ittre, il a été placé seul dans une cellule et ne l’a plus jamais quittée. Cependant, après le choc de la porte fermée, l’angoisse et le stress persistait. Il fallut s’adapter, se réinstaller et récupérer. « La seule solution pour m’en sortir à ce moment-là pour moi, c’était de prendre des anxiolytiques pendant quelques mois. » Rapidement et « heureusement », insiste-t-il, Marc a su s’en défaire.

Certains fument, d’autres se droguent et partent dans des délires. Je n’ai pas eu besoin de cela, moi. Je me suis occupé autrement. Je ne me suis pas dit qu’en étant enfermé, je n’allais rien faire et m’ennuyer ; je serais devenu fou autrement ! 

Marc, ex-détenu

Militaire de carrière comme mécanicien, réparateur ElecMec et chauffeur poids-lourds, ce père de deux enfants a utilisé son temps pour se réinventer. « Certains fument , d’autres se droguent et partent dans des délires. Je n’ai pas eu besoin de cela, moi. Je me suis occupé autrement. Je ne me suis pas dit qu’en étant enfermé je n’allais rien faire et m’ennuyer, je serais devenu fou autrement ! J’ai d’abord voulu décorer ma cellule pour en faire un petit appartement. » Marc est amateur de dessins et de peintures. Grâce à sa bonne conduite, il a d’ailleurs reçu l’autorisation de peindre en cellule et de réutiliser de vieux bocaux dans lesquels il y glissait des origamis. Ses créations lui ont permis d’exposer à la Maison de Jeunesse d’Ittre où il est parvenu à vendre pour 2000 euros d’œuvres.  « L’art a bien fonctionné pour moi. Je ne suis pas sans rien aujourd’hui, grâce à cela », dit-il visiblement soulagé et fier.

Fenêtres d'un appartement éclairées
CC-BY-NC-ND

Il réparait aussi plein de petites choses comme des mèches, des petites boites. Ses boulots lui rapportaient des bonus qui pouvaient s’élever jusqu’à 200 euros, « et elle était d’ailleurs indispensable cette « rémunération ». On ne recevait que trois bananes, cinq pommes et deux oranges par an environ. Il nous fallait des vitamines… ». En plus de la nourriture, ses sous lui permettaient de « cantiner » du matériel à l’extérieur comme un grille-pain, un réveil, un four et même un Home Cinéma.

« Le moindre truc qui tombait en panne, je démontais et je réparais. On recevait des pièces à réparer ou à monter et on se faisait payer à la pièce ! J’ai su, par exemple, avec rien, démonter une plaque, coupé un fil en trop, faire un pontage et réparer la plaque chauffante d’un autre prisonnier. » Marc n’avait pas peur de la réinsertion, « on me disait souvent que je savais toucher à tout et que je n’aurais pas de problème dehors. »

Et pourtant, quitter la vie carcérale peut être très compliqué. La revue scientifique médicale britannique The Lancet soulève la crainte tant dans le domaine social qu’économique, d’affronter une société « après confinement ». L’étude du département de médecine psychologique du King’s College, examine « l’impact psychologique de la quarantaine et les moyens de le réduire » d’après 24 enquêtes. Elle soulève notamment que la perte financière résultant de l’incapacité de travailler s’est révélée être un facteur de troubles psychologiques, de colère et d’anxiété tant pendant qu’après le confinement.

Quant à Marc, aujourd’hui, il est sorti de prison. Après avoir suivi une formation obligatoire en informatique, il se trouve en insertion derrière les fourneaux d’une maison de retraite. Grâce à ses économies et à ce qu’il a pu engranger en prison, il vit dans un appartement neuf, deux étages plus haut que celui de ses parents, entouré de ses peintures, ses origamis et ses poissons.

couché de soleil Bruxelles
CC-BY-NC-ND

Le besoin de s’isoler dans l’isolement

Le confinement impacte évidemment toutes les activités sociales. Rester chez soi, seul ou avec les mêmes personnes pendant sept semaines, c’est long ! Fini les dîners entre copains, les sessions sportives avec l’équipe ou les sorties en famille. On reste chez soi et on s’arme de patience.

L’étude ‘Covid et moi‘, menée par l’Université de Louvain, révèle « qu’un quart de la population déclare souffrir de solitude ». Elle analyse en quoi les mesures de confinement « affectent le bien-être psychologique et social de la population ». Même si les réseaux sociaux et tous les moyens de communication actuels sont des outils précieux pour maintenir le contact avec ses proches, le besoin de s’évader, seul, est indispensable pour certains.

Sur une plateforme de 50 mètres de long avec 50 personnes, la promiscuité est assez grande !

Charles, officier marine belge

Charles Colot, Commandant en second sur un chasseur de mines, évoque notamment le besoin d’évasion dans l’enfermement. « Sur une plateforme de 50 mètres de long avec 50 personnes, la promiscuité est assez grande ! En général, si la vie à bord fait qu’il n’y a pas beaucoup de problèmes, les escales sont nécessaires pour pouvoir décompresser et s’isoler véritablement… et non dans la solitude à 50 ».

Depuis 2009, l’officier Colot travaille dans la marine belge. En 2011, il suit une formation et se voit, la même année, affecté à un chasseur de mines. La période la plus longue qu’il a passé à bord est de quatre mois. « En général du lundi au vendredi, nous sommes en mer et le week-end nous faisons escale pour toute la logistique. À ce moment-là, l’équipage est totalement libre de partir en ville et de revenir à une heure déterminée. »

Cependant, être confronté à 17 jours en mer, sans escale et sans la possibilité de s’échapper physiquement et mentalement, il connait aussi et c’est autre chose… Alors, il faut organiser un modus vivendi qui permet de respecter les petits moments de chacun. « Il y a deux niveaux d’isolement à bien respecter à bord : la cabine et la bannette. Premièrement, le respect veut que quiconque veuille entrer, frappe à la porte avant de recevoir l’autorisation d’entrer. S’il n’y a pas de réponse, on ne va pas plus loin ».

Cependant, s’isoler seul dans une cabine qu’on partage avec cinq autres officiers n’est pas toujours possible. L’étape complémentaire, c’est donc la bannette : « La bannette ressemble à un lit cercueil où les rideaux permettent de totalement s’isoler. À n’importe quel moment de la journée, la personne qui se met sur son lit et qui ferme ses rideaux, signifie qu’il veut s’éloigner du monde et qu’il ne veut aucun contact. C’est quelque chose que l’on doit et que l’on respecte. » Finalement, l’important est d’accepter les moments d’isolement des uns et des autres.

L’information est la clé pour comprendre la situation

Loïc, un jeune juriste bruxellois de 27 ans, s’est lancé dans une quarantaine volontaire et rémunérée : les essais cliniques. Il revient sur son expérience où la mauvaise communication a été un point sensible…

La différence avec la situation actuelle, c’est que nous sommes dans un avion, mais que nous ne savons juste pas quand il va atterrir. 

Loïc, volontaire d’essai clinique

Initialement, le contrat impliquait au quotidien, une prise de sang, deux prises orales de comprimées, deux électrocardiogrammes et une collecte d’urine quotidienne. La firme pharmaceutique mettait à disposition une table de ping-pong, une console de jeux, un balcon et autorisait, visites, libre circulation sur tout l’étage de l’hôpital, ordinateurs et téléphones personnels.

« La situation n’est comparable qu’à certains niveaux », précise Loïc : « Une contrainte de mobilité et un risque sanitaire. Par contre, les différences sont nombreuses : l’entrée est volontaire, la date de sortie est fixée et on reçoit une contrepartie financière. La différence avec la situation actuelle, c’est que nous sommes dans un avion, mais que nous ne savons juste pas quand il va atterrir. »

Les cinq premiers jours se sont déroulés sans problème, néanmoins les choses se sont compliquées plus tard. Des anomalies cardiaques avaient été détectées auprès des participants du groupe précédent. Le consentement de Loïc aurait dû être actualisé mais ne l’a pas été. S’en est aussi suivi le coma d’un de ses voisins de lit et la décision d’aliter tous les volontaires. Avec cinq autres cobayes, il s’est retrouvé dans une chambre de 25 m², constamment branché à un monitoring cardiaque, des électroencéphalogrammes scotchés sur la tête et une prise de sang obligatoire toutes les heures.

« Je n’étais pas particulièrement angoissé. C’était plus de l’énervement envers les médecins. Je suis quelqu’un de très serein, je relativise pas mal les choses, mais je ne conseillerais pas cette expérience à tout le monde ».

Loïc, volontaire d’essai clinique

« Je n’étais pas particulièrement angoissé. C’était plus de l’énervement envers les médecins. Je suis quelqu’un de très serein, je relativise pas mal les choses, mais je ne conseillerais pas cette expérience à tout le monde ». Si Loïc est resté calme, c’est du manque de transparence dont il a le plus souffert.

C’est aussi le manque de clarté et de transparence de la part des autorités qui a été épinglé par l’étude du King’s College comme étant source d’anxiété. La communication déstructurée entre les différents niveaux de pouvoir belges a pu en être un exemple, de même que les contre-vérités anxiogènes qui ont pu être véhiculées sur les réseaux sociaux.

C’est également ce que révèle l’étude COVID et moi. D’après Vincent Lorant, coordinateur de l’étude et sociologue de la santé à l’Institut de Recherche Santé et Société de l’Université catholique de Louvain dans une interview pour l’Écho : « Les personnes qui utilisent beaucoup les réseaux sociaux ont 30% de plus de risques d’être en mal-être« . Et ce n’est pas surprenant, reprend-il, « la littérature montre que la consommation des réseaux sociaux augmente l’angoisse et l’isolement. » 

Compte tenu de sa situation précaire et de la rémunération au prorata de la prestation, Loïc a tout de même décidé de continuer l’essai malgré l’envie d’arrêter. Avec environs 3000€ en poche, il a aujourd’hui laissé ces deux semaines derrière lui. Pas d’effets secondaires, pas de perte de contrôle grave. « Cela a été un avertissement sans frais. On va éviter de réitérer l’expérience », plaisante-t-il .

Pour lui l’enfermement, c’est le moment idéal pour remettre en question ses habitudes, repenser son mode de vie et écrire. « Écrire permet de rationaliser, de prendre de la distance par rapport à ce que l’on vit et de faire d’une contrainte contemporaine passive, une œuvre active aussi personnelle soit-elle. »

La peur de l’insuffisance

Nous l’avons vu dès les premières annonces de confinement, la population appréhende une pénurie de produits de base : le papier toilette est au cœur des préoccupations, les rayons de farines sont dévalisés et les fruits et légumes ont disparu des étals. Les stocks se vident et cela bien trop vite.

Les études soulignent que cette crainte de manquer de denrées essentielles (comme l’eau, la nourriture, un logement ou des vêtements) s’avère être une source de frustration et continue même d’être associée à la colère et l’anxiété, même quatre à six mois après le déconfinement.

porte frigo entre-ouverte
CC-BY-NC-ND

Jean-Jacques Rauchs, fin connaisseur et amoureux de voile, a traversé l’Atlantique en 2012 avec un collègue. « C’était plutôt le manque d’eau potable qui nous effrayait. À propos de la nourriture, en mer, il  a toujours la possibilité de survivre. Il y a de beaux bouquins à ce propos comme celui de Bernard Moitessier. Ce navigateur et écrivain français a fait plusieurs tours du monde en solitaire, sans denrée, sans rien. Il s’est nourri de la pêche. Il parlait notamment de poissons volants qui arrivent par banc et qui sautent. Ils ne sont pas très appétissants, mais on aurait pu survivre. »

Équipés d’un sonar, d’un détecteur de radars, d’un GPS, mais aussi – et c’est le plus important -, d’un pilote automatique, les deux navigateurs avaient un peu de temps devant eux… Pour occuper l’esprit, Jean-Jacques met l’accent sur le rythme et « le bon rythme, c’est d’être avec le bon temps », intervient-il. Être loin de sa famille, comme certains le sont dans cette période de confinement, fait partie du jeu. Pour lui, c’était le moment de se reconcentrer sur lui-même.

« Au départ je voulais partir seul. Mais à l’époque j’avais encore trois petites bouches à nourrir. Finalement, être à deux sur l’Atlantique pendant trois semaines, c’est presque comme si on était seul. On se voit peu : il y a toujours quelqu’un qui veille la nuit pendant que l’autre dort et inversement. On ne se voit que pendant quelques heures pour faire des manœuvres techniques : changer de voiles, manger. Mais en vrai, on se côtoie peu. Et c’est ce que j’ai recherché ». Autour d’eux, le bruit perpétuel des vagues et l’horizon à perte de vue : « pas de grande discussion comme dans un bistrot, ici c’est pour avoir la paix. »

Un confinement propre

Les effets psychologiques de la quarantaine ont déjà été démontrés et sont aujourd’hui au cœur de la crise. Nous avons d’ailleurs appris qu’ils peuvent également n’apparaître que plus tard. Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à vivre confinés.

Pour certains, le confinement peut être vécu positivement : philosopher, repenser sa façon de vivre, se réinventer ou tout simplement ne rien faire. L’ennui, mal perçu, pourrait finalement devenir quelque chose de positif. Il faut des moments où l’on agit, mais aussi des moments où l’on médite, où l’on pense… où l’on ne fait rien. « L’ennui, c’est le début de la créativité. Voire de la création », disait Patrick Lemoine dans une vidéo pour Brut.
Finalement, cette pandémie ne serait-elle pas le signe que le monde prend une mauvaise direction ? C’est peut-être le moment de repenser nos systèmes politiques de santé et d’éducation…

Pour d’autres cependant, le confinement est vécu négativement. L’obligation de rester enfermé dans un lieu clos, de ne voir personne, d’être restreint dans tout. C’est comme une punition. L’enfermement est le même, mais les raisons sont différentes. Pour certain,s c’est un choix, pour d’autres une obligation. C’est à chacun d’en tirer l’avantage ou l’inconvénient, d’en sortir grandi ou blessé.

Garage, l'un éclairé, l'autre obscure
CC-BY-NC-ND

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