Berceau de la capitale de la Wallonie, le confluent de la Sambre et de la Meuse rythme la vie de l’Homme depuis 10 000 ans. Aujourd’hui encore, le quartier Confluence, anciennement appelé Grognon, constitue un point de rencontre emblématique à Namur. Malgré les 180 kilomètres qui la séparent de la mer du Nord, la ville adopte, tout de même, une allure balnéaire. Mammouth est parti à la découverte du nouveau quartier Confluence et ses alentours. Dépaysement absolu.
Photo : Jasmine Mazuin
Un dimanche d’hiver ensoleillé, à 13 heures sonnantes, des familles, amis et amoureux déambulent sur le halage. Un coureur de fond d’une quarantaine d’années s’éloigne avec son terrier. Je me demande s’il fait du sport pour lui ou pour son chien. Trois cabines vertes du téléphérique de Namur s’élèvent au-dessus de la Sambre. Au départ de la place Maurice Servais, au centre-ville, elles rejoignent l’esplanade de la citadelle depuis le mois de mai 2021. Le voyage dure entre trois et quatre minutes sur un parcours de 650 mètres. L’idée n’est pas nouvelle. Symbole de la capitale de la Wallonie, l’ancien téléphérique a été construit en 1956. Il a été mis à l’arrêt en 1997 pour des raisons de sécurité. Il était menacé par la chute d’un rocher de 53 tonnes. L’inauguration d’un nouveau téléphérique a longtemps fait débat : plus-value ou caprice ? C’est instagrammable.
Toujours sur le halage, j’aperçois au loin, sur l’autre rive, Marc Kayak. Les locaux le connaissent. Lorsque la météo est clémente, il sillonne la Sambre et la Meuse namuroises à bord de son embarcation jaune et ramasse inlassablement les déchets. Ce dimanche, il nettoie les quais, un drapeau sur les épaules. Il est très respecté. Alors que je me dirige vers le confluent, longeant la Sambre et son eau verdâtre, une dizaine de mouettes rieuses affluent sur le quai. Une personne invisible leur lance des tranches de pain depuis sa fenêtre. On dirait presque qu’elle joue au frisbee. Ces mouettes aux pattes rouges passent et repassent au-dessus de moi. Un spectacle.
J’observe une haute porte en pierre, elle semble très ancienne. Après un message posté sur Facebook et quelques échanges avec des personnes plus âgées, j’apprends qu’il s’agit d’un portail baroque en calcaire dessiné par Denis-Georges Bayar, architecte namurois. Ce portail qui menait autrefois au port fluvial daterait de 1754. Le Delta est plus récent puisqu’il remplace la Maison de la Culture de la Province de Namur depuis 2019. Ce centre culturel est un « tiers-lieu ». Il propose des espaces au public pour qu’il devienne, lui-même, acteur de la culture. Je ne savais pas non plus ce que signifiait un centre culturel « tiers-lieu ». La modernité du projet culturel va de pair avec la modernité de la façade de l’établissement : ronde, en crépi blanc. Son esthétique étonnante contraste avec l’une des plus grandes forteresses d’Europe, postée en face. La vue depuis sa terrasse panoramique mérite le détour.
Sur les marches du Delta, en bord de Sambre, Élodie et son copain font le plein de vitamines C. Les adolescents se confient l’un à l’autre et se câlinent. Le confluent n’est pas seulement le point de rencontre entre une rivière et un fleuve, il est aussi celui des amoureux. Je les interromps le temps d’une photo et je disparais. Quelques secondes plus tard, je prends la direction de la Confluence, sur l’autre rive. Le vent fait danser mes cheveux blonds. Catherine Vandenbroucke a raison. Avec un peu d’imagination, on se croirait presqu’à la mer. Rédactrice en chef de la revue AlluMeuse, Catherine est née au bord du fleuve. « Les gens qui vivent près de la Meuse ont un rapport fusionnel avec elle. C’est un lien et un guide. »
Chantier de fouilles, parking, reports… Les Namurois n’attendaient plus le quartier Confluence. Au début des années 1970, les dernières habitations y ont été détruites. Les projets se sont très vite enchaînés sans jamais satisfaire les locaux. En septembre 2021, peu après l’inauguration du nouveau téléphérique, ils ont enfin retrouvé leur lieu de rencontre préféré. « Ça fait longtemps qu’on l’attend. L’aménagement est très respectueux du site, en harmonie avec la citadelle. C’est moderne, mais ça ne nie pas le passé. Je suis convaincue », s’exprime Catherine Vandenbroucke sur un ton enthousiaste. Lors de notre appel téléphonique, elle ajoute apprécier les activités organisées au bord de la Meuse : Quai Novèle avec ses apéros, ses concerts et j’en passe. « C’est un concept qui va s’étaler, d’autant plus avec la terrasse de la Confluence. C’est aussi une carte de visite très intéressante pour la ville. Le quartier donne une image plus dynamique de Namur. »
Si le paysage urbain plaît à la rédactrice en chef de la revue AlluMeuse, il a également conquis le cœur des skateurs, amateurs ou experts. Je rencontre William et Amine, deux potes venus s’en donner à cœur joie sur la large esplanade en béton, ouverte vers les berges de la Meuse. Outre les riders, des familles viennent aussi profiter du lieu de convivialité. On y entend du néerlandais, de l’allemand et de l’espagnol. Les mamans, assises sur les murets qui entourent l’esplanade, rappellent leurs bambins toutes les deux minutes pour s’assurer que tout va bien. Eux, préfèrent faire la course avec leurs nouveaux copains sur leur vélo à quatre roues. Le rire des enfants, le bruit des planches de skateboard et le vent me rappellent vaguement l’ambiance des digues, à la mer du Nord. Après tout, il est vrai que la Meuse s’y jette. L’heure tourne. Il est quinze heures. La teinte du ciel vire au gris et le froid est sec. Je me dirige vers le Quai des Chasseurs Ardennais. Ça sent le poisson.
Avant de m’engager sur le Quai, je décide de faire un crochet par l’Enjambée. La passerelle qui relie l’autre rive amène les piétons face à une imposante demeure blanche. Je m’extasie, une fois de plus, devant l’architecture d’exception de la Villa Balat. Elle a été érigée par les nièces de l’architecte du même nom en 1906. Alphonse Balat n’a pas seulement été le maître du célèbre Victor Horta. Il est aussi à l’origine des Serres de Laeken. « Namur possède un patrimoine historique et architectural particulièrement intéressant », même Le Petit Futé le souligne. Fin de la digression. Je me dirige désormais vers ces péniches qui peuplent le fleuve. Elles endossent chacune un rôle : l’une est un hôtel-restaurant, l’autre une résidence. Bites d’amarrage, nœuds marins et ancres me plongent à nouveau dans une atmosphère balnéaire. Je ressens presque les bienfaits de l’air iodé ; c’est vivifiant.
Malgré le froid, les pénichiers enfourchent leur vélo en famille, histoire de profiter des derniers rayons du soleil d’un dimanche d’hiver. Sur le halage, les amoureux d’un certain âge philosophent, main dans la main. Leur caniche miniature, Mozart ou Milou, impose son rythme de balade. Quelques dizaines de mètres plus tard, je suis interpellée par ces branches profondément immergées, prisonnières du mécanisme du barrage. Elle me font penser au bois flotté drossé vers la côte. L’écluse de La Plante a été érigée en 1850. Elle a connu de nombreuses modernisations au cours de son histoire. Son barrage a permis de limiter l’impact des inondations en juillet dernier. Intimement lié aux caprices du fleuve, le métier d’éclusier-barragiste est une passion avant tout.
Sur le barrage, je rejoins Rose Dagoreau. Étudiante de vingt-trois ans, elle arbore un large sourire. Ses cheveux bruns sont balayés par le vent, on ne s’entend pas. Il vaut mieux discuter à l’abri. Nous nous asseyons sur un banc en bois dans le parc avoisinant. Rose me raconte vivre les pieds dans l’eau avec ses parents, son grand frère et sa mamy. « J’ai un rapport particulier avec la Meuse car elle a été témoin du début de ma vie d’adulte. Je suis tombée amoureuse de la région, de la convivialité, de la culture. » Comme disait Catherine Vandenbroucke, le fleuve est un lien et un guide. Ça ne peut être plus vrai pour la Profondevilloise. « Mon job étudiant se situe face à la Meuse, à Wépion, j’ai réalisé mon stage universitaire au sein de la rédaction de la revue AlluMeuse et, la Meuse, a aussi été témoin de ma plus belle histoire d’amour. Elle est née pendant le premier confinement, lors de promenades illégales au bord de l’eau. C’est un peu romantique, oui », conte gaiement Rose.
La comparaison entre la Meuse et la mer prend, une fois de plus, tout son sens lorsque Rose retrace son confinement. « Au printemps 2020, nous nous sommes rendus compte que nous avions une piscine géante devant chez nous. Des gens trouvent ça dégueulasse, mais c’est la nature. En plus, l’écosystème de la Meuse est incroyable. Mon papa a retapé une barque pour aller pique-niquer ou prendre l’apéro sur l’eau. Ça donne l’impression d’être en vacances. »
La Meuse et ses rivages changeant au fil des saisons et de leurs charmes. Elle peut se déchaîner comme la mer et faire des ravages. « La Meuse qui était justement si calme et apaisante s’est avérée être un cauchemar en juillet dernier, même si j’ai été épargnée. Au fur et à mesure que le niveau montait, mon stress montait aussi. Aujourd’hui, à chaque fois qu’il y a de grosses pluies, je m’inquiète. » Notre longue conversation n’a fait que confirmer ce que je pensais : elle en impose la vallée mosane.
Avant de reprendre la route pour Bruxelles, je décide de partir à l’assaut de la citadelle de Namur. Alors que je commence à grimper, j’aperçois une horde de policiers devant le Parlement wallon. Heureusement que les photos ne sont pas sonores. Quel vacarme. Entre les dizaines de véhicules à l’arrêt, les manifestants et la pollution, l’ambiance change du tout au tout. Je prends de la hauteur pour avoir un joli panorama et pour échapper à ce spectacle agaçant. Une fois au-dessus, essoufflée, je jouis d’un intéressant point de vue sur la Confluence, métamorphosée au fil du temps. La Sambre, la Meuse, le Delta, le rond-point du Grognon, le Parlement, les ponts forment un ensemble hétérogène, un patchwork. Il est difficile de s’imaginer que lors des fouilles menées dans cette vaste zone, des archéologues ont retrouvé le corps d’un homme de vingt-cinq ou trente ans, datant du 1er siècle. Le Grognon, la Confluence, a été le théâtre de plusieurs vies. On aimerait remonter le temps.