Crédit Photo : Leila Ajina Djemili
Colleen Hoover est aujourd’hui une figure incontournable de la romance et du New Adult, mais elle suscite la controverse sur les réseaux sociaux. Sur TikTok et Instagram, les hashtags #boycottcolleenhoover et les vidéos de destruction de ses livres se multiplient. Derrière cet acharnement, que reproche-t-on vraiment à l’autrice ?
Sur les réseaux sociaux, la violence des commentaires est devenue presque systématique. Des vidéos montrent des lecteurs déchirer, jeter violemment ou plonger ses livres dans l’eau, accompagnées de légendes humiliantes :
« Je rappelle que ce n’est pas une grande perte, c’est du Colleen Hoover » (TikTok, Elorya)
« Devoir déchirer des pages pour un devoir de français, mais pas grave, c’est Colleen Hoover » (#boycottcolleenhoover, TikTok, user_lcrt)
Sur Instagram comme sur TikTok, Hoover fait face à de nombreuses critiques touchant sa personne, ses livres et leurs adaptations, avec des accusations et polémiques largement relayées en ligne depuis 2022.
Selon Anaïs, journaliste et créatrice littéraire pour Basilic Tropical, la perception d’une “personne problématique”, comme Colleen Hoover est accusée de l’être, dépend aujourd’hui autant des valeurs que l’on attend des figures culturelles que de la réaction des communautés en ligne. Elle explique : « Je vais considérer qu’une personne est problématique quand elle affiche des valeurs contraires à l’idée que je me fais de ce qui est bien. […] Ce qui va faire le plus polémique, ce n’est pas le propos ou le comportement de base d’un auteur, c’est la façon dont la personne va réagir quand d’autres vont pointer du doigt le problème.»
Dans le cas de Colleen Hoover, les accusations sont amplifiées par les réseaux sociaux, mais cela ne garantit pas qu’elles sont fondées.
L’origine d’une haine disproportionnée
L’acharnement contre Hoover, qui a vendu plus de 22 millions de livres en 2022 et a été nommée parmi les 100 personnes les plus influentes au monde par Time en 2023, puise ses racines dans une série de polémiques et accusations.
Dans l’une des rares déclarations directes de Colleen Hoover, publiée en novembre 2022 sur le groupe Facebook de ses fans (les « CoHorts »), elle reconnaît que son fils, alors âgé de 21 ans, aurait demandé à une adolescente de 16 ans des photos à caractère intime, avant d’affirmer qu’elle avait contacté la jeune fille, présentée des excuses et pris des mesures disciplinaires. Aucun élément indépendant avec des sources fiables ne permet toutefois de confirmer sa version, pas plus que les rumeurs exagérant cette histoire, selon lesquelles son fils serait un agresseur sexuel.
Mais l’acharnement contre Hoover dépasse largement cette affaire. Ses romans eux-mêmes sont au cœur des critiques. « Jamais Plus », inspiré de l’histoire de sa mère, est régulièrement accusé de romantiser la violence conjugale. L’autrice réfute pourtant cette interprétation : dans une interview pour Elle US (20 novembre 2025), elle explique qu’elle « ne changerait rien » au roman, puisqu’il retranscrit « une expérience vécue » et ne prétend pas représenter toutes les réalités des violences domestiques, même si, elle ne l’écrirait plus aujourd’hui « par crainte de la surexposition » .
Certaines scènes de ses autres œuvres alimentent aussi les controverses, comme dans « Ugly Love » , où un passage avec une blague de mauvais goût est jugé par de nombreux lecteurs comme inapproprié, certains allant même jusqu’à l’interpréter comme une sexualisation déplacée d’un nourrisson : « We both laugh at our son’s big balls » (En français : « On rigole tous les deux des grosses couilles de notre fils » ). Ce type d’humour est jugé problématique par de nombreux lecteurs.
À cela s’ajoutent des campagnes marketing maladroites, notamment un cahier de coloriage inspiré de « Jamais Plus », ainsi que, d’après le Daily Mail UK Lifestyle (mars 2024), une collection de faux ongles et de vernis à ongles assortis, qui ont renforcé la perception d’une autrice déconnectée de la gravité de ses thèmes, même si le cahier a été retiré des ventes seulement quelques heures après sa mise en ligne.
Plus récemment, le film « Jamais Plus » a relancé les critiques. Hoover, qui n’a été que brièvement présente sur le tournage en tant que productrice exécutive, assure avoir été « complètement ignorante » des tensions ayant conduit aux accusations de harcèlement sexuel visant Justin Baldoni. Elle dit aujourd’hui trouver « triste et regrettable » l’ampleur du scandale, précisant qu’elle évite désormais d’en parler pour « ne pas alimenter le cirque médiatique » . Elle confie même avoir du mal à recommander son propre livre, tant la controverse a fini par « l’écraser » .
Pour plusieurs créateurs de contenus, cette escalade s’explique surtout par la dynamique des réseaux sociaux. Comme l’observe Shades Of Rebecca, bookstagrammeuse aux 60 000 abonnés, « beaucoup de posts diffusent des informations fausses sans vérification ; les petites controverses deviennent énormes, car elles génèrent du clic » . Dans un contexte où aucune enquête journalistique solide n’existe, les rumeurs prospèrent plus vite que les faits.
Célia, lectrice sur BookTok, témoigne de l’effet de cette dynamique sur les fans de Colleen : « Quand j’ai fait ma vidéo (qui s’adressait aux haters de CoHo), je ne m’attendais pas à autant de haine. Les gens disent qu’il faut boycotter ses livres, mais je ne sais pas sur quels arguments ils se basent. Oui, la haine contre cette autrice est disproportionnée. J’ai cherché sur Internet, il n’y a aucun article sérieux parlant de Colleen Hoover. Les gens croient ce qu’ils voient sur les réseaux. Certains commentaires m’ont beaucoup atteint, les gens sont vraiment durs alors qu’ils ont juste à passer leur chemin. Mais dans un sens, ça me pousse à en lire encore plus, histoire de ne pas me laisser abattre » .
“Du bad buzz reste du buzz”
Malgré les critiques et la haine sur les réseaux, Colleen Hoover reste extrêmement populaire, au point d’avoir quatre films en cours de diffusion au cinéma entre 2024 et 2026. Comme le mentionne la libraire de Sweets and Books, même le bad buzz entretient la visibilité de l’autrice et alimente l’algorithme. Et plus on en parle, plus ses livres se vendent, et de nombreux studios l’ont bien compris. Comme en témoignent les films « Jamais Plus « (Sony Pictures, 2024), « Regretting You » (Constantin Film / Heartbones Entertainment / Paramount, 2025), « Reminders of Him » (Universal Pictures, prévu pour mars 2026) et « Verity » (Amazon MGM Studios, prévu pour octobre 2026).
Hoover a elle-même tenté de s’impliquer dans cinq adaptations de ses livres, mais elle a finalement vendu leurs droits dont ceux de « Regretting You » et « Verity » à d’autres studios, sans comprendre que ces livres ne lui reviendraient jamais, un choix qu’elle qualifie de « 100 % sa faute » et qui l’a poussée à ne plus vendre de droits à l’avenir. Aujourd’hui, chaque adaptation est gérée par un studio différent, même si Hoover possède sa propre société Heartbones Entertainment. L’industrie mise donc sur une fanbase internationale solide, des adaptations rentables, une image de romance dramatique facile à marketer et le succès viral (bon et mauvais) sur TikTok, garantissant un public jeune et actif.
Faustine, ancienne fan de CoHo, commente : « Certains de ses films présentent des sujets lourds comme des rom-coms. C’est problématique, mais d’un point de vue business, c’est logique » .
Mais Célia, lectrice sur BookTok et CoHort, contre-attaque : « Les adaptations au cinéma permettent d’élargir la sensibilisation à des sujets sensibles à un autre public. Tout le monde ne lit pas. Cela permet de montrer l’histoire du roman sous un autre angle, chose positive à mon avis » .
Entre soutien de l’industrie et fidélité des fans
Si les critiques sont nombreuses, Hoover bénéficie aussi d’un soutien important, tant du côté des professionnels que de certains lecteurs. Dans l’industrie du livre, plusieurs autrices de romance à succès, comme Anna Todd (After) et E. L. James (Cinquante nuances de Grey), ont exprimé publiquement leur soutien à Hoover. Anna Todd est même allée plus loin en participant à la production de l’adaptation de « Regretting You » via son studio Frayed Pages, signe d’une réelle complicité professionnelle et artistique.
À l’inverse, certains auteurs et créateurs de contenus littéraires se montrent ouvertement critiques. L’auteur et influenceur français Polat Gokay a notamment publié une vidéo TikTok virale dans laquelle il hésite à toucher « À tout jamais », la suite de « Jamais Plus », accompagnée de la légende : « Je n’ose même pas toucher le livre« , suivi d’un cri sonore dès que sa main s’en approche. Une mise en scène qui illustre le rejet assumé d’une partie du milieu littéraire.
Malgré ces tensions, une communauté de lectrices et lecteurs reste profondément fidèle à Colleen Hoover : les CoHorts. Rym, fan depuis dix ans, explique qu’elle apprécie le style narratif unique, les intrigues surprenantes et la force émotionnelle de ces histoires, et qu’elle sépare l’autrice de sa personne : « J’ai remarqué des discours haineux après le scandale autour du film Jamais Plus, mais ce qui s’est passé entre les acteurs n’est pas sa faute. Elle est seulement responsable de l’histoire, pas du drame autour du film » . Elle continue de lire ses romans pour les émotions qu’ils transmettent, illustrant ainsi l’existence d’une communauté de fans réfléchie et loyale, capable de soutenir l’œuvre malgré les polémiques.
Mais au-delà du soutien des fans et des professionnels, il est utile de rappeler que les plus récents romans de Colleen Hoover relèvent plutôt du New Adult, un genre destiné aux jeunes adultes de 18 à 30 ans et abordant des thèmes plus matures comme la violence, le deuil ou la sexualité graphique. Comme le souligne Imane, libraire chez Sweets and Books : « Ses premiers livres pouvaient être considérés Young Adult, mais les récents relèvent plutôt du New Adult. Certains sujets ne sont pas adaptés aux jeunes adolescents et certains clients peuvent être réticents à acheter un livre d’une autrice perçue comme problématique, même si ses romans sont très populaires sur les réseaux » .
Controversée mais incontournable
Colleen Hoover illustre un paradoxe : haine virale et succès commercial vont de pair. Les bad buzz alimentent sa notoriété, mais ne freinent ni ses publications ni ses adaptations cinématographiques.
L’autrice tente de reprendre la main sur le narratif qui l’entoure sur les réseaux grâce à sa plume. Son prochain roman, « Woman Down » (prévu pour janvier 2026), s’inspire de sa propre expérience : après le scandale autour d’une adaptation cinématographique, son personnage Petra Rose est attaquée sur Internet, ruinée et accusée de chercher seulement la gloire. Son roman reste bloqué, ses économies fondent… Mais le récit promet une réponse créative aux controverses passées.
Hoover reste lucide sur sa propre popularité dans la dernière interview qu’elle a donnée pour le magazine Elle (novembre 2025) : « Je suis complètement d’accord », explique-t-elle à propos de ceux qui la trouvent surestimée. « Je me suis lancée dans cette carrière un peu par accident. Et aussi grand que ça soit devenu, je n’ai jamais vraiment fait d’effort pour y arriver. Je ne comprends pas, j’ai lu mes livres. Je ne suis pas une écrivaine littéraire sophistiquée. J’écris juste des livres amusants, faciles à lire » .
Elle se montre également philosophe face aux critiques : « Ils n’aiment pas mon travail ? Beaucoup de gens ne l’aiment pas. Je n’ai jamais cherché à impressionner qui que ce soit avec mon écriture. Et les personnes qui critiquent ce type d’écriture, pourraient-elles écrire un meilleur livre ? Probablement. L’ont-elles fait ? Probablement pas » .
Pourtant, la célébrité a ses inconvénients : l’intrusion dans sa vie privée, les rumeurs absurdes, et la pression sur ses enfants. « Les gens peuvent gagner leur vie avec des vidéos négatives qui obtiennent beaucoup de vues » , confie Hoover, qui reste toutefois reconnaissante envers BookTok pour sa carrière.
Qu’on l’adore ou qu’on la déteste, Colleen Hoover reste une autrice dont l’influence culturelle et médiatique est impossible à ignorer. Entre fans loyaux, voix nuancées de lecteurs et critiques virales, elle continue de marquer le monde de la romance New Adult et du 7ème art romantique, pour le meilleur et pour le pire.

