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A Charleroi, les droits des personnes LGBTQIA+ progressent... en théorie

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A Charleroi, les droits des personnes LGBTQIA+ progressent… en théorie

En cinquante ans, le pays noir a-t-il pris des couleurs ? Maison Arc-en-Ciel, Fête de l’Amour et même passage pour piétons Arc-en-Ciel… Depuis 2023, la ville a même inscrit la lutte contre les discriminations LGBTQIA+ dans ses priorités. Beaucoup d’initiatives sur le papier, un léger décalage avec la réalité.

1975, Tamines (18 km de Charleroi). Jean a 26 ans. Il ne va pas passer par quatre chemins, il aime les hommes. Il le sait. Depuis toujours. Ses parents aussi, il ne leur a jamais caché. Mais eux espéraient que « ça passe » un jour. Jean savait bien que non. Quand il a eu 18 ans, il leur a confirmé qu’il était homosexuel. « Je ne te mets pas à la porte mais si tu pars, ne viens jamais pleurer pour qu’on te reprenne », avait averti son père. Une table, deux chaises. C’est tout ce que le garçon avait pu se permettre quand il a quitté la maison familiale. Sa mère n’a pas voulu couper le cordon, elle récupère son linge et fait ses lessives en cachette. La ville entière a le nez dans les mines. La Bataille du charbon, lancée par le nouveau Premier ministre Achille Van Acker, fait régner la culture ouvrière et son virilisme patent. Et la médecine le considère comme un malade mental. Mais Jean n’est pas malheureux. Il n’a pas d’idées noires, n’a pas sombré dans l’alcool. Son homosexualité, c’est sa liberté.

2025, Charleroi. Adhen a 25 ans. Cheveux courts bruns, deux mèches encerclent le haut de son visage. Un rire un peu pudique chaque fois qu’il parle de lui. Adhen est né dans un corps de femme. Il y a quatre ans, il s’est rendu compte qu’il était un homme. Dans ce corps de femme, il est d’abord sortie avec une fille. Dans les couloirs du secondaire, il a d’abord connu l’homophobie. C’était sa première histoire d’amour. Il avait 16 ans. « Il y avait des rumeurs comme quoi on aurait fait des choses dans les couloirs ». L’époque contemporaine a du fil à retordre. « Depuis début 2025, il y a vraiment des retours affolants. C’est ok d’être homophobe et on le dit fièrement. Les structures jeunesse, le corps enseignant, ne savent pas quoi faire », s’inquiète Céline Claassen, chargée du GrIS, un projet de sensibilisation aux questions LGBT dans les écoles.

Depuis 2022, la transidentité n’est plus considérée comme une maladie mentale par l’Organisation mondiale de la santé. Mais la montée des extrêmes droites aux États-Unis et en Europe a ouvert les vannes d’un déferlement de haine. Et les jeunes ne sont pas épargnés. Charlie, garçon transgenre en sixième secondaire, évite les toilettes de son école. « Sinon je me fais agresser », déplore-t-il. Dans un de ses travaux publié en 2019, la sociologue du droit Isabelle Carles écrivait : « Les hommes gays se sentent tolérés et acceptés par la population de Charleroi tant qu’ils développent une image masculine que la population peut interpréter comme une expression hétérosexuelle d’hégémonie masculine. Ce qui exclut d’emblée les autres membres de la communauté LGBT, à savoir les lesbiennes et les personnes transgenres ».

Adhen a ensuite connu la vie d’hétérosexuel, quand il s’est mis en couple avec des hommes, toujours dans ce corps d’apparence féminine. Un plus âgé, avec qui c’était difficile d’être soi. Son deuxième mec était plus sain, mais la première relation avait laissé de vieux réflexes. « Je faisais beaucoup en fonction des critères de l’autre ». Il sentait bien que quelque chose clochait, mais ne trouvait pas d’espace pour y penser. « C’est quand je me suis retrouvé célibataire que je me suis rendu compte que j’étais transgenre », se souvient-il. Personne autour de lui ne semblait vivre la même situation. Tout le monde se retrouvait dans le moule.

Jusqu’à arriver dans le supérieur. « Et encore ». Une amie bisexuelle et non-binaire, c’est tout ce que la haute école de Montignies-sur-Sambre avait à lui offrir. Plutôt introverti, il avait besoin de rencontrer des gens de la communauté. « On vit les mêmes expériences donc c’est plus simple ». C’est là qu’il découvre le CHECK, le cercle de jeunes LGBTQIA+ de Charleroi hébergé par la Maison Arc-en-ciel (MAC). Emma, une de ses amies du cercle, renchérie : « sans la MAC, ce serait le désert de connaissance ». La Maison arc-en ciel, un havre au détour de la rue du Pont Neuf. C’est là qu’Adhen a formé sa bande d’amis. Au début, il les retrouvait le mercredi, à 18 heures. Il se rendait au pied de l’immeuble et sonnait sur l’interrupteur du bas. Ne pas se tromper, on ne voudrait pas déranger les voisins. On leur dit bonjour quand on les croise en bas, de retour du Quick ou du Syrien. Deux bonnes adresses et une bonne excuse pour filer de ce local qui commençait à être trop rempli. Maintenant le rendez-vous est un peu plus tôt, en dehors de la MAC. Adhen rejoint Emma et Charlie, arrivés en même temps que lui au cercle. Tous les trois le disent, ils ne sont pas les Carolos les plus fêtards. Emma aimerait tout de même aller plus souvent au Rockerill, ancienne friche industrielle réhabilitée en salle de concert. « La musique est trop cool mais il faut pouvoir y aller ». A Marchienne-au-Pont, le dernier métro part à 20h, même le weekend. Alors ils trainent, se baladent en ville, dans des endroits dont ceux qui ne roulent pas sur l’or peuvent profiter. Parfois sur les quais, par où passe le RAVeL qui longe la Sambre jusqu’à Namur ou la frontière française. Cette fois-ci, au parc du centre. Le trio dore au soleil avant que l’heure de la permanence ne sonne. 17h55, il faut filer. Emma embarque sa canette de Dr Pepper goût noix de coco.

1975. 20h, Jean arrive au parc. Pas celui de Charleroi. A La Louvière, il y a plus de monde. Quand il n’est pas dans les bars avec sa bande, il valse dans les parcs, pour aller draguer en toute discrétion. Vêtements colorés style hippie, le jeune homme n’a pas succombé aux cheveux longs. Au bar, les âges se mélangent. Il côtoie les plus âgés, récolte de précieux conseils de vie qu’il ne recevra plus de ses parents. Trouver un travail, mettre de l’argent de côté pour plus tard. Tu verras, tu seras content de pouvoir t’acheter une maison et partir en vacances avec ton mec. La drague est facile. Un regard et chacun comprend tout de suite le désir qu’il cherche pour l’autre.

2025, Charleroi, salle à manger de Jean. Accoudé sur sa nappe rouge en toile ciré, le septuagénaire feuillette le programme de la ville. Les Big Fights, Charleroi LGBTQIA+ Friendly City. « Des spectacles, du théâtre, ça j’irai tiens ». Maintenant, dans Charleroi, il est Petit Jean. « Parce que j’aide les autres, comme dans Robin des bois », s’amuse-t-il. Trois centimètres de cheveux blanchis par l’âge et un t-shirt jaune poussin. Un adepte des lieux culturels comme l’Eden et le cinéma comme il l’a toujours été. Depuis la mort de son compagnon, il y a deux ans, pas de nouvelle aventure. Où sont les vieux gays de Charleroi ? « Ou ils sont tous cachés, ou ils sont tous introvertis », plaisante Jean, lassé de chercher à comprendre. Ceux qui habitaient encore ici dans sa jeunesse seraient partis. Ou peut-être ne sont-ils jamais sortis du placard.

Quand il a annoncé à sa mère qu’il était transgenre, Adhen aurait voulu qu’elle lui pose des questions. Elle a choisi de ne rien dire. Pas de rejet, pas de soutien non plus. Une réaction tiède. « Je voulais aller à la MAC avec elle pour qu’elle puisse poser des questions ». Mais les deux assistantes sociales étaient déjà en arrêt maladie depuis plusieurs mois. Dommage.

Depuis le début de l’année, l’association ne répondait ni aux mails, ni aux coups de fils, ni aux messages sur les réseaux sociaux. Même les permanences d’accueil n’étaient pas assurées. Les budgets de la Région wallonne ne permettent de ne financer que deux postes. Pourtant, l’asbl est l’unique interlocuteur de confiance pour les Carolos de la communauté. « La Maison Arc-en-ciel m’avait conseillé un bon psychiatre », témoigne Adhen aux jeunes du CHECK, alors qu’Alexia s’insurge : « On ne m’a jamais conseillé un bon médecin à Charleroi ». Pour ses soins médicaux, la jeune femme fait le déplacement jusqu’à Bruxelles. Pourtant, la question LGBTQIA+ n’est pas absente de la politique de Charleroi. Depuis 2023, la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes fait partie des cinq grands combats de la ville. En 2024, le Grand hôpital de Charleroi s’engage à trouver des professionnels de la santé formés aux questions de transidentité. Depuis des services ont été mis en place. Encore faut-il le savoir. Si la MAC est fermée, à qui demander ? « Il y a sûrement des gens qui se posent des questions et qui ne trouvent pas les réponses parce qu’elles ne sont pas facilement trouvables sur internet. C’est le problème d’être en Belgique, quand on cherche des informations, on tombe sur des associations en France », explique Emma, bénéficiaire de la MAC Charleroi.

Depuis l’été 2023, le Boys trône fièrement sur la place de la Digue. Un drapeau arc-en-ciel sur la devanture. Les gérants Bruno et Johan n’ont jamais eu de problème. « Dans notre clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne sortaient qu’à Bruxelles à cause du sentiment d’insécurité », analyse Bruno. Le lieu est ouvert à tout le monde « pas seulement aux gays », se félicite le couple. Peut-être une des raisons qui freine les jeunes du CHECK à venir en terrasse.

Sans forcément arborer une devanture multicolore, de plus en plus de bars ont la réputation d’être accueillants et safe pour les personnes de la communauté. « Charleroi a sa mauvaise réputation mais ça change petit à petit avec de nouveaux lieux culturels », estime Alexandre, employé du café le Chien Vert. « Il y a vingt ans, ce n’était pas du tout comme ça », ajoute le Carolo.

Si Adhen était né il y a cinquante ans, peut-être Jean et lui se seraient-ils rencontrés. Peut-être que Jean ne serait jamais allé à ce vernissage. Alors il ne se serait pas retrouvé devant cette toile, un verre de vin à la main, à discuter avec Jean-Pierre qui partagera 40 ans de sa vie. Il n’aurait probablement pas connu sa mère chez qui il a souvent évité de rester manger pour « ne pas éveiller les soupçons » avant que tous les deux apprennent qu’elle « l’a toujours su ». Mais peut-être que cinquante ans en arrière, Adhen n’aurait pas trouvé d’amis qui vivent la même chose que lui. Qui comprennent dans leur chair ce qu’il traverse, depuis qu’il a franchi la vingtaine. Pourtant, difficile de dire si sa vie aurait été moins facile. 2024 et son nombre d’élections record ont fait émerger de multiples crises politiques. Si la Belgique est pour le moment épargnée, de plus en plus de pays d’Europe voient les droits des personnes LGBTQIA+ directement menacés. Jean aurait voulu être artiste, mais tout le monde partait à l’usine. Les années n’ont pas effacé son grain de folie. A l’arrière de son crâne, il a tatoué son numéro de registre national, « pour que si on me retrouve, on sache qui je suis ».

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