Ce que la vie doit à la mort

Les habitants de ce lieu sont morts deux fois. D’abord d’une épidémie de choléra en 1879 et, un siècle plus tard, quand le cimetière de Dieweg s’est vu abandonné par les hommes. Si plus aucun cadavre n’a franchi la grille du site depuis 1983, le nombre de résidents au mètre carré a décuplé.

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Photos : Milena de Bellefroid

Les habitants de ce lieu sont morts deux fois. D’abord d’une épidémie de choléra en 1879 et, un siècle plus tard, quand le cimetière de Dieweg s’est vu abandonné par les hommes. Si plus aucun cadavre n’a franchi la grille du site depuis 1983, le nombre de résidents au mètre carré a décuplé.

Photos : Milena de Bellefroid

Depuis l’arrêt de tram Dieweg, on aperçoit des maisons mitoyennes, une station-essence et un Carrefour express comme il y en a des centaines à Bruxelles. Pourtant, seulement quelques mètres plus loin, la grisaille de la ville s’éteint dans une explosion de nuances de verts.

Ce nouvel Éden, c’est le cimetière de Dieweg, officiellement désaffecté en 1958 et où l’entropie s’en est donné à coeur joie durant les soixante années qui suivirent. Les tombes patinées ont été recouvertes progressivement par la mousse et le lierre. Certaines stèles ont vu naître en leur sein un arbrisseau, dont les racines feront bientôt craquer le béton aux formes Art Déco. 

La mort des uns a fait le bonheur des aulnes, sorbiers des oiseleurs, érables sycomores, bouleaux et autres jeunes chênes pédonculés qui surplombent les tombes. On dénombre aujourd’hui quelques 91 espèces de plantes sur un peu moins de trois hectares. Une centaine de moins que lors du recensement de 1993, mais tout de même de quoi faire pâlir d’envie le parc Wolvendael, proche voisin. 

L’été, les touristes s’aventurent dans le labyrinthe végétal à la recherche de la tombe d’Hergé. George Rémi a pu bénéficier d’une dérogation, la seule, en 1983 pour être enterré dans son quartier.

L’hiver, les chemins se vident au profit des renards et chats errants. Car la forêt impromptue offre désormais le gîte et le couvert à tout un tas de bestioles qui fuient des campagnes de moins en moins accueillantes. Une espèce d’abeille solitaire rarissime, la Collète du Lierre, a même élu domicile dans le coin.  

Ici, les fantômes de Bruxellois célèbres cohabitent avec des armées de moineaux et de geais. Les oiseaux qui sautillent et piaillent n’ont que faire de la retenue requise en ces lieux. Un écureuil, un spirou comme on dit ici, ne voit en un Jésus crucifié grandeur nature qu’un sympathique perchoir. Preuve que Franquin lui aussi a droit à sa place au Panthéon des auteurs de bande-dessinée belges. 

À Halloween, certains Bruxellois aimaient venir ici pour jouer à se faire peur. Depuis quelques années, les monstres de pacotille sont moins nombreux à se promener le long des tombes le soir du 31 octobre. Peut-être que le potentiel d’épouvante des sépultures végétales et ectoplasmes de vieux monsieurs moustachus semble désormais risible, dans un quotidien où se mêle crises en tout genre et incertitudes toujours plus grandes quant à l’avenir. 

Sur la chaussée attenante au cimetière, un tag orange fluo hurle « Le monde pourrit ». Au bonheur des ogres, la si bien nommée boucherie d’en face, lui répond dans un sourire plein de dents : « Non, il est dévoré. »

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