A peine entrés en politique, les jeunes doivent s’habituer à la violence
À quelques jours des élections communales, le porte-à-porte des candidats s’intensifie, et la violence aussi. Les politiciens locaux y sont régulièrement confrontés, certains pour la toute première fois. Nous sommes allés à la rencontre de Delphine, Joey, Larbi et Julien, des jeunes politiques âgés de 21 à 27 ans.
« Je fais quotidiennement face à de la violence, surtout sur les réseaux : ça va de islamogauchiste à nazi en passant par la critique de mon orientation sexuelle. » Joey Kumps, 6e sur la liste PS à Wavre a l’habitude de la violence politique. À 23 ans, il est descendu dans l’arène l’année passée: « Je me suis déjà habitué à cette violence, même si je suis conscient que ce n’est pas normal. On est obligé de se former une carapace. »
Il n’est pas seul: selon une enquête menée par Anne van Bavel (VUB), un élu sur cinq subit des violences psychologiques et/ou sexuelles au moins une fois par mois. Principalement des intimidations et/ou des menaces, le plus souvent via les réseaux sociaux.
Une enquête de l’Union des Villes et des Communes de Wallonie, publiée en septembre 2023 montre que 67 % des élus locaux ont déjà été victimes d’insultes, 23 % des élus ont subi du cyberharcèlement, et 18 % ont été victimes d’actes de violence. La violence est souvent plus fréquente chez les jeunes, les femmes, les personnes issues de l’immigration ainsi que les personnes faisant partie de la communauté LGTBQ+ selon cette même étude.
Racisme banalisé
Larbi Kasmi, 27 ans, qui se présente sur la liste des Engagés à Mons, a été victime de racisme: « Des violences racistes, j’en ai vécu toute ma vie, qu’elles soient directes ou indirectes. »
Il savait qu’en s’engageant en politique, il y a 4 ans, il allait faire face à ces injustices: « Le délit de faciès est monnaie courante. » Mais c’est pour combattre certaines injustices et faire évoluer les mentalités qu’il a choisi de se lancer.
Il y a du travail. Face à certaines injures, il a dû se résoudre à déposer plainte.
Joey Kumps est lui aussi confronté à des centaines de messages d’insultes. À côté des commentaires désobligeants liés à son engagement politique, il reçoit énormément de haine liée à son orientation sexuelle: « C’est compliqué. D’une part, ça m’atteint fort et d’une autre, je vois qu’il y a encore plein de combats à mener. »
Joey dénonce l’attitude de certains politiques qui tiennent des discours discriminatoires sur les réseaux sociaux et qui ont, d’après lui, un effet direct sur le public. Cette violence a des conséquences directes sur sa vie: « Quand je me balade seul ou quand je vais en auditoire, je ne suis pas hyper à l’aise, par peur qu’on me reconnaisse. »
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« Quand t’es jeune, t’es une proie facile »
La violence ambiante, jusque dans l’intimité des candidats, freine les jeunes qui veulent se lancer, estime Joey: « Dommage que les jeunes aient à subir ça. Ce sont des freins pour se lancer. J’ai quelques connaissances qui s’impliquaient aux jeunes socialistes et ils arrêtent parce que c’est trop violent. La politique est un milieu violent de par sa nature. Mais en plus de ça, quand t’es jeune et que tu veux te lancer, que t’as plein de bonnes ambitions, tu es vite cassé, t’es une proie facile. »
Delphine Blouard, 9e sur la liste du MR à Namur, fait campagne pour la première fois. À seulement 21 ans, les formes de violence qu’elle rencontre sont directes, en rue par exemple, ou indirectes, notamment avec du vandalisme sur ses panneaux: « Quand on va au marché, on est amené à faire face à des gens qui se lâchent, qui ont besoin de se libérer et de dire ce qu’ils pensent du MR ou des candidats. Il y en a qui sont plus crus en attaquant directement une personne.J’ai vraiment peur de retrouver ma vitre cassée quand j’arrive devant ma voiture. »
Bienveillance au sein du parti
Pour soutenir leurs candidats, des partis ont mis en place une personne de référence ou misent sur la solidarité interne.
« Il n’y a pas de psychologue dans le parti à proprement dit, mais si je n’avais pas le soutien des personnes de la liste ou de mes parents, ça serait peut-être différent », précise Delphine Blouard.
« Ce sont des personnes du parti qui sont venues tout naturellement. La cheffe du PS à Wavre m’a pris sous son aile, elle essaie de m’aider, de m’aiguiller et de me protéger au mieux. Je me suis senti soutenu par le parti », poursuit Joey.
Julien Lemoine, 9e sur la liste des Engagés à Namur, a été positivement surpris d’avoir un référent au sein du parti auquel il pouvait se confier: « Une personne qui est réellement dédiée à ça… Je trouve ça très sain. »
La haine, un coup de boost
« Toute cette haine, même si quelque part, ça aurait tendance à me freiner, ça me booste. J’ai envie de continuer, j’ai envie d’y aller et puis, je ne me laisse pas faire. C’est une critique qu’on me fait beaucoup parce qu’en général quand on reçoit des critiques, on nous dit de pas parler, mais moi je réponds avec beaucoup de sarcasme en général », explique le sixième sur la liste à Wavre.
Quand Larbi a été sujet à des commentaires haineux, il a d’abord été dans un état de choc et a ensuite réussi à relativiser et à transformer la haine en force.
« Je suis encore très innocente, je ne me rends peut-être pas compte de ce que les attaques représentent, on verra à l’usure. Peut-être que dans 15 ans, j’en aurai ras le bol, mais pour l’instant avec mon innocence et mon humour, ça me fait rire. Les gens haineux, je me dis même pas que ça existe parce qu’on fournit tellement de bon travail, et c’est ça qui prend le dessus », nous déclare Delphine.
Le Wavrien se veut fédérateur : « J’en parle avec d’autres jeunes d’Ecolo, du MR, des Engagés. Je pense qu’ on a tout intérêt à se soutenir là-dedans. Même si on n’est pas d’accord sur les idées et que parfois la discussion est difficile, quand il s’agit de violence, elle n’est jamais justifiée. »