Bxl Midi : riposte citoyenne face au PAD

La Région bruxelloise prépare un grand aménagement du quartier du Midi. Des habitant·es se sont regroupé·es en collectif, Midi Moins Une !, et luttent pour l’abandon du projet. Mammouth décrypte.

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Photo : Juliette Cordemans

La Région bruxelloise prépare un grand aménagement du quartier du Midi. Des habitant·es se sont regroupé·es en collectif, Midi Moins Une !, et luttent pour l’abandon du projet. Mammouth décrypte.

Photo : Juliette Cordemans

Une tour immense, une gare animée et pressée, beaucoup de trafic et de klaxons. Puis les blocs de béton, tous les travaux, et les tags. C’est le tableau du quartier du Midi, que l’on connaît tous et toutes. Mais un changement se profile, concocté par la Région bruxelloise : le PAD Midi.

Le « Plan d’aménagement directeur » (PAD) est un outil régional de stratégie urbaine, qui dresse les grandes lignes – règlementaires et stratégiques – de l’aménagement d’un quartier. Le PAD Midi a pour but de réaménager la gare du Midi et ses environs, et s’étale sur les communes de Saint-Gilles, d’Anderlecht, de Forest et de Bruxelles-Capitale.

Selon perspective‧brussels, la direction de stratégie territoriale urbaine en charge du projet, le PAD Midi compte « améliorer la qualité de vie du quartier et y implanter de nouvelles fonctionnalités », en menant plusieurs projets de logement, de mobilité, de création d’espaces verts, de services collectifs… Ces différents projets sont consultables sur une carte interactive, réalisée par perspective‧brussels. 

Sur papier, le PAD Midi promet de transformer le quartier en un lieu convivial, vert et qualitatif. Mais la réalité dresse un tableau différent, et plusieurs habitant·es et associations tirent la sonnette d’alarme.

Pour lutter contre le PAD Midi, le collectif Midi Moins Une ! est créé en 2019. Sous cette coupole se fédèrent plusieurs habitant·es et associations de quartier. Il y a quelques mois, ce collectif a lancé une pétition pour l’abandon du PAD et récolté plus de 2500 signatures. Les communes de Saint-Gilles et d’Anderlecht, ainsi que plusieurs associations, émettent des avis critiques, voire défavorables, envers le PAD Midi.

Autocollants "non au PAD Midi"
On retrouve ces autocollants partout dans le quartier du Midi. Photos : Juliette Cordemans

TIMELINE

*16 janvier 2016 : Le schéma directeur du Midi est approuvé par le Gouvernement bruxellois et confié à une équipe regroupant perspective‧brussels et Bruxelles Mobilité.

*8 mai 2018 : Le Gouvernement bruxellois acte la nécessité du PAD Midi

*juin 2018 : Première enquête publique (dans le cadre de la semaine des projets urbains) concernant le PAD Midi.

*octobre 2019 : Création du collectif Midi Moins Une ! en opposition au PAD Midi.

*6 mai 2021 : Le Gouvernement bruxellois approuve en première lecture le PAD Midi.

*septembre 2021 : Lancement de la pétition pour l’abandon du PAD Midi par le collectif Midi Moins Une !

*du 1er septembre au 2 novembre 2021 : Deuxième enquête publique pour lee PAD Midi avec les communes concernées (Saint-Gilles, Anderlecht).

*du 15 novembre au 14 décembre 2021 : Enquête publique concernant le futur siège de la SNCB.

Si lisse soit la communication gouvernementale autour du PAD Midi, les citoyen·nes ont soulevé de nombreux problèmes et formulé de multiples revendications. Voici les principaux points de tension.

Le Tri Postal vs. le siège de la SNCB

La rénovation du Tri Postal est le plus gros projet du PAD Midi. Il entend rénover les bâtiments du Tri Postal pour y centraliser les bureaux de la SNCB.

« Les bâtiments existants du Tri Postal sont inoccupés depuis trop longtemps et seront rénovés pour regrouper les bureaux de la SNCB. Le projet prévoit la valorisation du patrimoine historique, une extension en arrière-plan et en vis-à-vis des immeubles de bureaux qui se trouvent en face. La centralisation de la SNCB dans ces bâtiments permettra de reconvertir tous les autres sites appartenant à la SNCB dans le quartier. »

perspective‧brussels

Notons d’abord que le Tri Postal n’est pas tout à fait inoccupé : en 2020, l’ASBL Communa a réactivé ce bâtiment vide pour en faire un lieu vivant et utile aux citoyenn·es, temporairement. Le Tri Postal sert par exemple d’endroit de stockage pour Molenbike, une coopérative bruxelloise de coursier·es à vélo, ou encore de local à l’association Job-Dignity, qui gère des projets et des actions pour les femmes SDF. À côté de ces activités fixes, l’espace est utilisé pour d’autres initiatives citoyennes : festivals, expositions et projections, marchés, concerts, collectes…

La SNCB n’a pas attendu le vote du PAD pour entreprendre son projet. L’entreprise a déjà fait ses demandes de permis. « Le projet de la SNCB entre dans le cadre réglementaire existant, et ne doit donc pas attendre l’entrée en vigueur du PAD » explique Maarten Lenaerts, chargé de projet à perspective‧brussels. À peine l’enquête publique du PAD Midi terminée, celle du nouveau siège de la SNCB commence.

C’est un monstre qui va sortir de terre.

Benjamin Delori

En plus de la rénovation du Tri Postal, le PAD prévoit la construction d’une annexe pour y accueillir un hôtel et des commerces. Quant à la reconversion de ses anciens bureaux en logements, la SNCB va simplement revendre ses anciens bâtiments à des acteurs privés, « dans une optique de rentabilité » explique Claire Scohier, membre d’Inter-Environnement Bruxelles (IEB), une association qui fédère des habitant·es et associations de quartier actif·ves sur des questions urbaines, écologiques et sociales.

L’annexe du Tri Postal pose un problème majeur aux yeux des opposants au projet : celle-ci s’étendrait sur près de 230 mètres de long et s’élèverait sur 60 mètres de haut. Le Tri Postal doublerait donc de hauteur, et tout en bureaux. Il deviendrait ainsi le plus long bâtiment de Bruxelles. « C’est un monstre qui va sortir de terre, et qui va boucher toutes les perspectives saint-gilloises » explique Benjamin Delori, habitant du quartier et membre du collectif Midi Moins Une !

Vers un quartier de tours ? 

Un bâtiment d’une telle hauteur est contraire aux règles urbanistiques en vigueur à Bruxelles. Cependant, les PAD ont une particularité : ils peuvent déroger à toutes les réglementations urbanistiques préexistantes. C’est ce qui permet au PAD Midi de prévoir la construction de multiples bâtiments et tours géant·es, aussi immenses que la Tour du Midi, qui plafonne à 152 mètres. 

Les gabarits des bâtiments sont négociés au cas par cas, entre les propriétaires et la Région, sur la base d’analyses et de comparaisons. « Je trouve dommage qu’on soit dans un débat caricatural, les gabarits hors normes ne sont pas toujours une mauvaise chose » déclare Maarten Lenaerts. Les hauteurs indiquées dans le PAD sont hypothétiques, car le PAD ne rentre pas dans le concret.

Densité vs. mobilité

« La gare du Midi est l’une des principales gares internationales d’Europe et la première de Belgique. Ce hub métropolitain et les quartiers qui l’entourent justifient une approche territoriale à la hauteur de leur importance pour Bruxelles. »

perspective‧brussels

La circulation autour de la gare du Midi est déjà très engorgée. Le PAD prévoit une réorganisation de la circulation, mais pas de nouvelles voiries. Ce point est problématique car les nombreux projets de construction vont fortement densifier l’espace déjà saturé par la circulation. 

Selon Maarten Lanaerts, il est normal que le quartier autour d’une gare soit dense. « On le voit partout, il y a un tissu urbain plus dense autour des gares, il y a une certaine concentration, parce que c’est très accessible. »

Une gare habitante, mais pour qui ?

« Le PAD s’appuie sur le concept de « gare habitante ». […] Le projet régional prévoit de rééquilibrer les fonctions du quartier en renforçant son caractère résidentiel, dans un objectif de 50% de logements et 50% de bureaux. »

perspective‧brussels

Le PAD prévoit effectivement de faire passer le nombre de logements de 12% à 39%. Si leur slogan « 50%-50% » est vendeur, c’est loin d’être une bonne solution pour le quartier, car le PAD ne prévoit aucun logement social. C’est pourtant de cela qu’ont besoin les habitant·es des communes adjacentes, qui sont majoritairement locataires et dont le revenu moyen  est faible.

De plus, la pandémie de Covid-19 a accentué le besoin de logements sociaux, et, en parallèle, a permis de relativiser le besoin de bureaux. Selon l’Atelier de recherche et d’actions urbaines (ARAU), le PAD Midi nécessite « un virage à 180 degrés » : il faudrait développer une offre de logements abordables, dont un minimum de 25% de logements sociaux. Pour l’instant, la construction de bâtiments résidentiels privés pousse le quartier vers la gentrification.

Maarten Lanaerts tempère les critiques sur ce point : « Le PAD oblige les propriétaires à faire du logement, mais il ne peut pas spécifier quel type de logement, ce n’est pas dans notre compétence. Le PAD Heyvaert vient d’être approuvé et prévoit un certain pourcentage de logements sociaux, donc peut être qu’on pourra l’inscrire aussi dans le PAD Midi. »

"People before profit" taggé sur un mur du Tri Postal.
Le message des occupant·es du Tri Postal est clair. Photo : Juliette Cordemans

Les espaces verts vs. des toitures vertes

C’est une des revendications citoyennes les plus demandées, et pourtant, un seul aménagement d’espace vert est prévu dans tout le PAD.

« L’ambition du projet est d’aménager un parc linéaire le long de la Senne, accessible au public. Entre le réseau ferré et les nouvelles constructions, la promenade offre un nouvel espace vert pour le quartier. »

perspective‧brussels

À l’heure actuelle, ce nouvel espace vert se limite à une friche longue d’1,2km et très étroite, prise en tenaille entre les chemins de fer et divers bâtiments d’entreprises privées. Cela pose deux problèmes : d’une part, celui de la sécurité du parc, à côté voies ferrées, et de l’autre, le risque de privatisation de cet espace par les logements privés, qui le jouxteront.

Des toitures vertes ne vont jamais remplacer une vraie biodiversité.

Claire Scohier

À côté de ça, le plan prévoit des toitures vertes. Selon Claire Scohier, membre de l’IEB, ce ne sont que des arguments de vente : « Des toitures vertes ne vont jamais remplacer une vraie biodiversité. Vous imaginez laisser jouer des enfants sur des toits ? En fait, ils veulent juste créer des jardins rooftop pour y mettre des terrasses » déclare-t-elle. « Ce ne sont pas des espaces verts de qualité » complète Benjamin Delori, membre de Midi Moins Une !

Maarten Lenaerts, chargé de projet, nuance : « Le PAD soutient la verdurisation, mair l’élaboration de ces espaces ne relève pas de notre compétence. Donc on se limite à dire que les toits sont une opportunité de verdurisation. »

Ces espaces sont pourtant primordiaux. Comme le pointe le BRAL, un mouvement urbain pour un Bruxelles durable, la Région bruxelloise a adopté un Plan Nature, qui préconise pour tous·tes les bruxelloix·ses un espace vert à moins de 400 mètres du domicile. « Nous en sommes encore loin pour les environs de la gare du Midi ! »

L’impact écologique vs. greenwashing

Si la communication gouvernementale promeut la création d’espaces verts et la durabilité de ses bâtiments, le PAD ne prend pas en compte l’impact environnemental de ses projets.

Plusieurs associations dénoncent le greenwashing du PAD Midi. « Les PAD donnent une amplitude inégalée à cette pratique d’obsolescence du bâti bruxellois. Ce sont de vastes opérations de démolition-reconstruction de centaines de milliers de m2 de bureaux » explique Claire Scohier, membre de l’IEB.

Pourtant, la Région bruxelloise prévoit que la démolition doit rester une mesure « tout à fait exceptionnelle ». Ici encore, le PAD se permet de déroger aux règles urbanistiques régionales, quitte à faire payer au quartier une facture environnementale salée. Ce point sera mis à jour dans le PAD, promet Maarten Laenarts : « Au moment du PAD, il y a quatre ans, l’impact environnemental du bâti n’était pas encore clair. C’est davantage une priorité aujourd’hui, on doit actualiser le PAD à ce propos. »

Le processus de démolition-reconstruction est en effet très énergivore et polluant. Il suppose la récupération des tonnes de déchets générés, leur transport, leur recyclage éventuel, l’extraction de nouvelles matières premières, leur acheminement… De plus, le secteur du bureau est particulièrement concerné par l’obsolescence programmée.

Malgré l’urgence climatique, très peu d’outils existent pour analyser l’impact écologique de la démolition-reconstruction. Notons que les quelques outils existants sont créés et utilisés par les citoyen·nes, et non par les promoteurs immobiliers, qui pourtant sont les premièr·es concerné·es.

La participation citoyenne comme alibi ?

Le PAD est élaboré par des architectes et des urbanistes, en concertation avec la région bruxelloise et les propriétaires fonciers, et avec la participation des habitant·es du quartier.

Pourtant, peu d’habitant·es semblent informé·es du PAD Midi. « On a tenu un stand, mi-octobre, sur la place Bethléem, pour interpeller les gens, mais personne n’était au courant de ce méga projet dans le quartier » explique Benjamin Delori, membre de Midi Moins Une ! Les habitant·es et commerçant·es que Mammouth a rencontré n’avaient pas non plus connaissance du plan d’aménagement. Or, celui-ci aura un impact profond sur le quartier et ses habitant·es. Une erreur de communication de la part de la Région ?

Notons qu’il existe une obligation légale de communiquer autour des enquêtes publiques. Ce sont les avis affichés en rouge dans l’espace public. « On a fait comme on a pu avec nos moyens, mais ce n’est pas une chose évidente. On a distribué des flyers dans les boîtes aux lettres avant les enquêtes publiques, et on avait prévu une exposition au Tri Postal avant que le Covid arrive, déclare Maarten Lenaerts. On a encore un cap à franchir au niveau du dialogue avec le quartier. »

Des avis communaux aux alentours de la gare du Midi
Les alentours de la gare du Midi sont parsemés de ces avis communaux, souvent ignorés. Photos : Juliette Cordemans

Les enquêtes publiques sont souvent insuffisantes pour impliquer les citoyens. En l’occurrence, les 60 jours prévus ne suffisent pas aux habitant·es pour lire et comprendre le dossier du PAD, soit 1800 pages de termes techniques et d’explications floues. Selon le collectif Midi moins une, le PAD Midi est fait « par et pour les promoteurs », et la participation citoyenne ne sert qu’à faire avaler la pilule.

Maarten Lanaerts pointe que ni le PAD, ni la Région, ne sont tous·tes puissant·es. Le PAD donne un cadre, et dans ce cadre interviennent des projets spécifiques, qui sont menés par les propriétaires du terrain concerné. Si le terrain est public (c’est-à-dire qu’il appartient à la commune ou à la Région), le projet reviendra à Bruxelles Mobilité. Mais si le terrain est privé, le projet revient aux propriétaires fonciers, et la force de frappe publique est limitée.

On voit très bien qu’on est dans une logique de rentabilisation immobilière et non de développement urbain

Claire Scohier

Certaines associations ne sont pas convaincues des bonnes intentions de la Région. « La Région agit comme un promoteur immobilier qui doit rentabiliser. Les habitant·es sont écouté·es, tant que ça ne gêne pas la rentabilité ; ou bien à condition de faire pression sur le gouvernement. On voit très bien qu’on est dans une logique de rentabilisation immobilière et non de développement urbain » explique Claire Scohier.

Malgré cela, les habitant·es ont le pouvoir de faire basculer le PAD Midi, notamment grâce aux enquêtes publiques. 

Et maintenant ?

La deuxième enquête publique du PAD Midi s’est clôturée le 2 novembre 2021. L’enquête a soulevé de nombreux avis et revendications, de la part d’habitant·es, d’associations et de communes. À présent, l’équipe en charge du projet doit les analyser et décider lesquels prendre en compte. Il y aura une troisième enquête publique, sur la base d’un nouveau document. Avant d’entrer en vigueur, le PAD doit être approuvé en deuxième, puis en troisième lecture, définitive, par le gouvernement. Le PAD Midi nécessite encore du travail.

En attendant la prochaine enquête publique du PAD Midi, celle concernant le Tri Postal et le futur siège de la SNCB est ouverte jusqu’au 14 décembre 2021. Une permanence physique est prévue dans un local à l’entrée de la gare du Midi, côté Fonsny.

Le PAD Midi n’est pas le seul plan d’aménagement directeur en cours à Bruxelles. Les PAD et leurs projets sont consultables en ligne. Chaque citoyen·ne habitant dans le quartier peut donner son avis, émettre des revendications ou des recommandations lors des enquêtes publiques. Le PAD pose une question fondamentale : Quel modèle de ville veut-on voir émerger à Bruxelles ?

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