Interview avec Naomé Ide
Photo : Chloé Thôme
Créée pour offrir un espace de réflexion et de sensibilisation sur les questions sociales, la revue Bruscope explore des thématiques telles que l’inclusion sociale, la crise du logement et l’emploi. À la tête de cette initiative, Naomé Ide, mène ce projet avec passion et détermination. Dans cette interview, elle revient sur les défis liés à la création d’un média indépendant, sur les choix éditoriaux de Bruscope et sur les enjeux d’une presse engagée.
Mammouth : Bonjour Naomé, pour les lecteurs qui ne te connaissent pas et qui n’ont pas encore entendu parler de Bruscope, peux-tu te présenter et présenter le projet que tu as mis en place ?
Naomé Ide : Alors du coup, moi c’est Naomé Ide. Je me suis spécialisée en économie, j’étais à la Solvay Brussels School. Dès le départ, je savais que je voulais faire de la recherche. C’était vraiment le but, je voulais faire un doctorat. J’ai fait un an de recherche dans un centre de recherche d’économie appliquée et en fait j’ai très vite réalisé que personne ne lisait les papiers de recherche. Pour moi qui faisais de la recherche pour contribuer à changer le monde, ça a été une grosse désillusion et j’avais vraiment à cœur de faire des choses utiles en fait. J’ai donc quitté la recherche pour faire de la vulgarisation, pour essayer de combler le trou qu’il y avait entre les chercheurs et les citoyens. Et donc voilà, c’est comme ça qu’est né Bruscope.
Du coup qu’est-ce que c’est que Bruscope ? C’est un média de vulgarisation. On se concentre sur les problématiques socio-économiques bruxelloises. L’objectif, c’est vraiment de sensibiliser les Bruxellois aux enjeux socio-économiques de leur ville et surtout mettre en lumière les solutions des chercheurs sur ces problématiques-là, parce qu’en réalité, les solutions sont à portée de main. Et donc il ne reste plus qu’à les mettre en œuvre mais cela demande une décision politique et donc il faut que les citoyens en aient conscience pour pouvoir voter de façon consciente et pour pouvoir renforcer le pouvoir démocratique.
La vulgarisation scientifique peut poser certains dilemmes de neutralité. Est-ce que Bruscope est politisé ? Et si oui, est-ce que cela pose un problème de légitimité au média ?
Alors, c’est sûr. On essaye d’être le plus neutre possible, mais je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche. Et donc, il est assez évident qu’on adopte un point de vue qui est féministe, écologiste, progressiste. Maintenant, on va généralement traiter de problématiques qui sont connues dans les milieux d’experts depuis déjà des dizaines d’années et dont les solutions sont aussi connues dans ces milieux-là spécialisés mais qui ont du mal à sortir et à être visibilisé aux yeux du grand public et donc, moi je ne sers que de pont entre les experts et les citoyens. Là où Bruscope va peut-être un peu perdre de sa neutralité, ça va être dans le choix des thèmes qu’on va aborder.
Je pense que la neutralité n’existe pas, même dans la recherche.
Comment est-ce qu’on écrit une revue sur ces thématiques quand on n’est pas spécialement professionnel dans ces domaines ?
C’est une très bonne question. Moi, pour l’instant, je suis la principale rédactrice des revues chez Bruscope et je ne me considère absolument pas comme une experte. Et je me considère comme une experte d’aucun des sujets que je vais traiter, mais je vais, comme une journaliste, me documenter au maximum sur ces sujets-là, et me concentrer sur les papiers de recherche. Ça va être un peu la différence avec les journalistes qui vont plutôt faire de l’investigation plus qualitative sur le terrain, moi, je vais vraiment me plonger dans la documentation socio-économique, et essayer de faire le relais de façon plus vulgarisée sur des papiers de recherche qui sont assez indigestes. Cependant, je ne pourrais jamais me considérer comme une experte de ces sujets-là donc il y aura évidemment des pincettes à prendre parce que ça reste de la vulgarisation et qu’on essaye de toucher le public le plus cosmopolite qui soit.
La première revue parlait de l’état du logement locatif à Bruxelles et la deuxième revue traite de l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Comment sont décidés les sujets des revues en sachant évidemment qu’ils doivent toucher un grand nombre de personnes à Bruxelles ?
Nous chez Bruscope, on va traiter d’un sujet périodiquement. Le premier a été le logement, la deuxième revue est sur l’inclusion des femmes sur le marché de l’emploi. Alors, comment est-ce qu’on décide du sujet ? D’abord on en parle au sein de l’équipe et donc ça se fait sous un consensus, on se met d’accord sur le sujet. Tout ça dépend évidemment des opportunités, soit de financement, soit des expertises de chacun, soit de l’actualité ou des choses comme ça. Cela étant, le premier sujet qui a été l’accès aux logements abordables à Bruxelles, ça a été un peu une évidence pour nous, parce que chaque année, le poids du loyer est de plus en plus grand par rapport à notre revenu. Tout ça pour dire que les premières problématiques qu’on va traiter chez Bruscope, ça va être assez évident. Disons qu’il y a logement, emploi, mobilité, pouvoir d’achat. Et puis je pense que ce sera après où il faudra un peu plus voir notre public cible, qu’est-ce qui l’intéresse, voir comment l’intégrer à la réflexion pour voir quel sujet il voudrait qu’on traite, etc.
La création d’un nouveau média à Bruxelles peut être une tâche ardue. Quels sont les plus grands défis auxquels tu dois faire face ? Y a-t-il une grande concurrence dans le secteur des médias indépendants ?
Le plus grand défi auquel on doit faire face, c’est évidemment le financement. Nous, on a vraiment à cœur de rester un média indépendant et donc de ne pas contracter de crédit. On souhaiterait devenir un média participatif et donc d’être auto-financé par la communauté. Néanmoins ça demande d’abord d’établir une certaine crédibilité aux yeux du public, ce qu’on est en train d’essayer de faire, donc on fait beaucoup de boulot bénévole, que ce soit pour la rédaction, la promotion, etc. On essaie d’obtenir quelques financements publics, quelques subventions, mais ça viendra aussi avec le temps. Maintenant pour la question de la concurrence, je pense que comme Bruscope est une association, une ASBL et qu’on fait partie de l’économie sociale et solidaire comme la plupart des médias indépendants, on n’est pas tellement dans une optique de compétition et de concurrence mais plutôt de collaboration. Je ne suis pas sûre que les autres médias indépendants bruxellois nous connaissent déjà mais je pense que ce sera plus du donnant-donnant que de se tirer dans les pattes. Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.
La première revue a également été mise à disposition en ligne. Pourquoi avoir fait ce choix et est-ce que ça le restera ?
Effectivement, ça nous tenait à cœur que tout ce qu’on produise soit le plus accessible possible, et même gratuitement. Maintenant, il y a évidemment des coûts de fonctionnement, il y a des coûts fixes dont on ne peut pas échapper. On a donc décidé de mettre la deuxième revue payante, mais avec deux prix : c’est 15 ou 25 euros. L’objectif, c’est de pouvoir payer ces coûts fixes grâce au financement de la revue. Maintenant, pour être tout à fait honnête, notre business model, il est encore en évolution. On ne sait pas vraiment quelle activité commerciale on va prendre, qu’est-ce qui sera gratuit ou pas. On va continuer à faire de la vulgarisation sur les réseaux sociaux. On va aussi faire le tour des librairies pour voir si on ne peut pas déposer quelques exemplaires dans ces librairies-là. Et sinon, on a déjà un point de relais au Wolf, la maison de la littérature jeunesse. N’hésitez pas à passer, vous pourrez y acheter notre livre !
Je pense qu’il y a de la place pour tout le monde.