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Derrière la toge et l’image d’un métier prestigieux, les futurs avocats affrontent une réalité moins visible : dossiers lourds, pression constante et charge émotionnelle. Une avocate-stagiaire, un étudiant en droit et une avocate expérimentée, dessinent un fil rouge révélateur : la formation prépare au droit, mais peu à l’humain. Malgré l’existence de dispositifs d’aide, le malaise reste souvent silencieux.
Pour Léa*, avocate-stagiaire au Barreau de Bruxelles, la première immersion dans le métier remonte à la rhéto, lors de trois jours d’observation chez un juge d’instruction. Chez Noé Henryon, étudiant en bac 2 à l’UCLouvain, la passion pour le droit vient de sa famille. Quant à Maître Catherine Marreau*, avocate en droit immobilier, droit civil et droit d’entreprise forte de 36 années de pratique, elle a grandi dans un environnement où le droit était omniprésent.
Trois générations, trois époques, mais un constat commun : l’entrée dans le métier est un choc. Léa découvre l’intensité du quotidien et la responsabilité directe sur chaque dossier. Noé anticipe déjà la pression qui accompagne la moindre décision. Maître Marreau se rappelle lors de ses débuts de son sentiment d’impréparation après ses études. Un rythme qui peut rapidement les submerger. Comme résume Léa : « On fait du 50 heures semaine, c’est un rythme soutenu. On a de vraies responsabilités, de vrais clients, de vraies vies entre les mains. »
Quand la théorie rencontre la réalité
Pour Léa, le choc est immédiat : les dossiers sont concrets, les responsabilités directes, et chaque décision a un impact réel. Il faut apprendre à gérer le stress, à prendre du recul face à la gravité des affaires et à dissocier l’humain de l’acte. Noé, encore étudiant, constate que le droit universitaire reste très théorique et loin de la dimension humaine. Il se prépare à intégrer cette dimension émotionnelle en étudiant l’être humain autant que le droit.
Pour Maître Marreau, le constat est identique, mais avec le recul de l’expérience. Après ses études à l’ULB, elle se sentait « nulle part », incapable de maîtriser tous les aspects du métier d’avocat. Il lui a fallu du temps pour trouver sa zone de confort et gérer fatigue, syndrome de l’imposteur et pression constante. « Comme un médecin doit s’habituer à la vue d’un cadavre, l’avocat doit apprivoiser la charge émotionnelle. La toge, on l’enfile vite. L’équilibre, c’est plus long. »
Elle apporte également un éclairage sur la « violence » des dossiers : « La violence, il y en a partout dans les affaires, pas seulement dans le pénal, où il y a plus de “violence de sang”. Il n’y a pas vraiment de distinction. Par exemple, lors d’une faillite d’entreprise, il y a des retombées et des conséquences qui dépassent le simple cadre financier. La distinction se fait plutôt dans la complexité de certains dossiers, que ce soit au niveau des faits, du juridique, de l’émotion ou autre. »
Le fossé entre théorie et pratique impose un apprentissage intense : maîtriser les textes n’est qu’une partie de l’équation ; la gestion de l’humain et du stress s’acquiert avec l’expérience.
Des dispositifs d’aide limités
Le Barreau a mis en place des dispositifs pour soutenir ses membres : cellule d’écoute, commissions et services d’aide psychosociale, boîtes à outils anti-stress, et cellules spécialisées contre le harcèlement. Mais ces initiatives restent souvent limitées dans le temps et perçues comme ciblant seulement les situations extrêmes. La cellule d’écoute d’Avocats.be, l’ordre des barreaux francophone et germanophone, le rappelle elle-même dans une tribune : « Il ne s’agit pas d’une prise en charge thérapeutique de long terme. »
Mais Maître Marreau nuance : « Les jeunes ne sont pas livrés à eux-mêmes. Un maître de stage les encadre, et les chefs de colonne les assistent : une structure existe.» Pour autant, beaucoup restent incertains sur la manière de gérer leur santé mentale. Léa avoue ne pas avoir fait appel à ces aides et prend sur elle.
Noé ajoute : « On nous parle beaucoup du fait qu’il faut savoir encaisser la pression, qu’il faut savoir avancer sans reculer et ne pas laisser tomber, mais je trouve que la santé mentale et le fait qu’on reste avant tout des êtres humains, dotés d’émotions, ayant nos propres failles et nos propres difficultés, c’est quelque chose qui n’est pas assez mis en avant, et j’aimerais que cette sensibilité soit plus mise en avant dans la fac de droit. »
Trouver sa distance, un apprentissage long
Tous s’accordent sur un point : apprendre à gérer la dimension émotionnelle prend des années. Maître Marreau compare : « La toge s’enfile rapidement, mais trouver un équilibre face à la charge émotionnelle demande du temps. »
Même après 36 ans, certaines injustices la touchent encore, mais elle a appris à gérer ses émotions en se concentrant sur l’action : répondre, réparer, avancer. Pour Léa, ce travail avait commencé dès les premières visites en prison pour son stage. Du côté de Noé, l’expérience reste encore théorique, mais la conscience de la pression est déjà présente.
Devenir avocat ne se limite pas à maîtriser le droit : c’est un apprentissage de l’humain, qui se construit avec le recul, l’entourage, la pratique quotidienne et une capacité à se protéger émotionnellement.
Comme le résume Maître Marreau : « Je conseille surtout aux jeunes avocats de bien s’entourer et, s’ils ont la chance de tomber dans un bon cabinet, d’y trouver soutien et accompagnement. »
Le droit s’apprend dans les livres, mais devenir avocat s’apprend dans la vie, et jamais seul.
*Le nom a été modifié pour protéger la confidentialité de la personne.

