Au-delà des tentes

Sur les coteaux liégeois, l'asbl "Sortir du bois" offre un toit à ceux qui n'en ont plus

par

Alice Puissant

Sur les coteaux liégeois, l’asbl « Sortir du bois » offre un toit à ceux qui n’en ont plus

Alice Puissant

Au-delà des tentes, il y a des vies. Dans les coteaux liégeois vivent ceux que la ville a laissés de côté : anciens ouvriers, migrants, alcooliques ou simples naufragés du quotidien. Philippe Mercenier les connaît tous par leur prénom. Avec l’association « Sortir du bois », il essaie de rebâtir un peu d’ordre dans le chaos, d’offrir un toit à ceux qui n’en ont plus. Des tiny houses, des roulottes, parfois une colocation ; peu importe la forme, tant que ça permet de tenir debout. Comme Noureddine, qui espère qu’une maison en bois sera, enfin, un vrai départ.

« Bart, t’es là ? », crie Philippe à travers la toile grise de la tente de son vieil ami. Après un long silence une voix fatiguée finit par répondre : « Je dors encore un peu … après j’irai au Start ». « Le Start, c’est un peu comme une salle de shoot », m’explique le bénévole. « Bart y va pour tenter de vaincre son addiction à la cocaïne en diminuant les doses petit à petit ».

Sans plus le déranger, on reprend notre ascension dans les coteaux liégeois. De Bart, je n’aurais vu que les dizaines de cannes qu’il taille dans les bois aux alentours pour passer le temps et le désordre qu’il accumule depuis des années.

« Ils ne sont pas tous aussi bordéliques je te rassure », me glisse Philippe en riant. « Chez lui là en haut il fait aussi propre que chez toi ou moi », dit-il en désignant une tente dressée sur une herbe rase, presque digne d’un terrain de golf. « Il trie même ses poubelles ! »

Dans les hauteurs de Liège, ils sont des dizaines à vivre ainsi, cachés dans des campements de fortune, à l’abri des regards. Beaucoup ont perdu leur emploi, leur santé, ou leur couple… et ont glissé, lentement, dans le cercle vicieux de la rue.

L’ASBL « Sortir du bois », née en 2021 d’un élan solidaire dont Philippe Mercenier est à l’initiative, tente de leur redonner une place dans la société. Au-delà des distributions d’eau et de nourriture, l’association met surtout l’accent sur le logement durable : certains vivent désormais en colocation ou en appartement, d’autres profitent de roulottes ou de tiny houses construites avec l’aide de bénévoles.

Ces habitats légers sont peut-être une nouvelle façon de reloger dignement ceux qui n’ont plus rien. Une école leur a offert une roulotte, un architecte bruxellois a fait livrer une tiny house, des couvreurs viennent prêter main-forte, des entreprises donnent des fenêtres, et d’anciens sans-abris participent eux-mêmes aux rénovations.

« Le plus dur, c’est de trouver des terrains privés pour poser ces abris en toute légalité », soupire Philippe avant d’ironiser. « Je peux comprendre que quand t’es un jeune couple qui vient de t’installer t’as pas envie d’un toxico dans une roulotte au fond de ton jardin ».

Pour lui, la clé d’une vraie réinsertion, c’est la mixité : « Moi, ce que je veux, c’est pas des ghettos sociaux », dit-il.

Car isoler les plus fragiles entre eux, surtout quand ils luttent contre l’alcool ou la drogue, c’est souvent les condamner à replonger. « Je crois à la colocation entre un étudiant, une personne âgée et un ancien sans-abri », confie-t-il enfin.

Sur le sentier, on croise un vieil homme. Téléphone à la main, il photographie les tentes une à une. « C’est la première fois que je vois ça », me glisse Philippe à voix basse. L’homme, surpris dans sa tournée, relève la tête et nous fixe. « Moi, c’est Albert, je viens de la part de la police », dit-il simplement. Je remarque alors son prénom écrit en rouge sur le talkie-walkie accroché à sa ceinture. Philippe fronce les sourcils : « Ils vont les déloger ? » Albert hésite, puis répond : « On leur demande juste d’être propres… Si ce n’est pas le cas, alors oui, ils devront partir. » Puis ajoute comme pour s’excuser : « Vous savez, je suis pensionné dans deux mois. Je fais juste ce qu’on me dit. »

Midi approche, la tournée des tentes s’achève doucement. Philippe peut rentrer, rassuré de savoir que tout le monde va bien.

Samedi, jour de chantier

À mon arrivée, tout le monde s’affaire déjà. Gino, l’ébéniste, découpe des planches pour les finitions des fenêtres de la tiny, épaulé par son acolyte, Valéry. Ancien sans-abri, Valéry ne manque jamais une occasion de donner un coup de main. C’est même lui qui règle l’abonnement téléphonique de plusieurs habitants des coteaux. Philippe est là aussi évidemment. En chef de chantier confiant, il gère sa petite équipe de travailleurs.

Et puis il y a Noureddine, le futur propriétaire de cette « maison en bois ». Clope au bec, il pioche et bêche pour transformer la terre en de futurs escaliers. « Faudrait pas que je me pète la gueule en rentrant le soir », dit-il en s’épongeant le front.

Parti du Maroc en 2008, il rêvait d’un European dream qui s’est vite effiloché. « J’ai essayé de trouver du travail, mais sans papiers, c’est compliqué, tu sais », me confie-t-il. Comme près de 150 000 autres, Noureddine est sur liste d’attente, dans l’espoir qu’un jour, des papiers lui permettent enfin de construire ici, une vie stable et à lui.

C’est l’heure de la pause, Philippe tend à Noureddine de quoi nous acheter à boire. Il le sait, pour son ami, ce sera une Cara. Si la rue ne lui a pas volé son humour et son sourire, elle a laissé à Noureddine une profonde addiction dont il essaye de se défaire. « Pendant le Ramadan il arrête de boire, c’est un nouvel homme, un vrai sportif », dit Philippe en riant. « Mais y a toujours un moment où je recommence », lance Noureddine.

Les addictions à l’alcool et aux drogues constituent une réalité omniprésente dans la rue, souvent perçues comme un obstacle majeur à l’action sociale. Pourtant, pour l’ASBL « Sortir du bois », la priorité reste claire : offrir un logement, premier pas vers la stabilité et la reconstruction. Redonner dignité et humanité à ces femmes et hommes en détresse, voilà le cœur de leur engagement.

Au retour de Noureddine, on discute tous les deux, bercés par la radio qui tourne sur la Makita de Gino. « J’ai perdu ma santé, ma compagne, ma famille », m’avoue-t-il. « Même ma religion j’ai du mal à la pratiquer », ajoute-t-il. « Comment faire mes ablutions alors que la seule eau qu’on me donne je dois l’utiliser pour boire ? » Dans la tiny, il aura accès à l’eau courante et même à l’électricité.

Il espère que ce nouveau chez soi sera un nouveau départ. L’envie, elle, est déjà bien là.

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