crédits photos : Tanguy Cloetens
Kristel Wakim est animatrice à la maison de repos Adagio, à Berchem-Sainte-Agathe. Tous les jours elle met en place des activités pour stimuler et faire sourire les résidents. Dans un secteur où le personnel est souvent en sous-effectif et où certaines maisons disposent de moins de moyens, ces moments de convivialité prennent une importance capitale, alliant bien-être, mouvement et échanges sociaux.
“Motiver sans imposer”, voilà le mantra de Kristel qui fait le tour des chambres. Chaque matin, elle passe chez Eline, Ludmilla ou Pierre dans l’espoir qu’ils se motivent à descendre pour l’activité physique du jour.
En plus de son rôle d’animatrice, Kristel joue un rôle social. Chacun de ses passages rime avec discussions. On lui parle du goût (douteux) du café, de visites de proches, de vêtements ainsi que du prochain goûter.
“Et les crêpes, c’est pour quand ?”, demande l’un des résidents.
“On en a fait la semaine passée”, rit Kristel. “Vous en voulez déjà encore ?”.
Ce lundi, Kristel est seule pour animer la journée, son collègue kiné est en congé. Le week-end il n’y a pas d’animations dans le home, faute de personnel.

Kristel et son stagiaire du jour, Aurélien, font le tour des chambres pour annoncer l’activité du matin.
Le tour des seniors se termine et il est temps de préparer l’activité du matin, une gym des bras. Kristel se rend vers la salle de matériel, suivie de très près par Yvonne qui, bien qu’elle soit en chaise roulante, aide quasi tous les jours à l’installation des activités.
L’activité peut commencer. Cinq résidents ont décidé d’y participer, tandis que d’autres sont simplement descendus pour s’occuper autrement. Kristel se réjouit de les voir descendre malgré tout. Pour elle, l’important est qu’ils sortent de leur chambre, qu’ils partagent un moment, même sans participer pleinement.
Bras en haut, bras en bas, bras en haut, bras en bas. 30 secondes de pause. A peine les haltères distribuées que tout le monde s’exécute. Une musique pop entrainante, façon take on me, se mêle aux bruits de respirations qui accélèrent. Catherine, l’une des participantes, se démarque par sa motivation. Elle est tellement enthousiaste que Kristel lui demande de ralentir lors de ses mouvements.
Les haltères cèdent leur place aux élastiques. Il est temps de s’étirer. Kristel aide Yvonne qui ne peut utiliser qu’un seul de ses bras.

Les exercices terminés, place à un petit jeu. L’animatrice gonfle un ballon et l’envoie. D’un coup, l’atmosphère change, les visages s’éclairent, les rires éclatent. On tape avec les mains ou les pieds, peu importe, seul le plaisir compte. Yvonne, qui est sourde, est la plus expressive, ses yeux pétillent, suivant chaque mouvement de cette bulle d’air.
Après ce beau moment, il est temps de se reposer avant de manger. Kristel raccompagne Eliane dans sa chambre. Celle-ci a fait une chute il y a deux semaines. Elle réapprend doucement à marcher sans peur.

Pour le choix des activités, Kristel prend le temps de sonder les résidents sur leurs envies, ajustant les exercices et les jeux en fonction de ce qui les motive vraiment.
Elle espère que le jeu de cet après-midi fera descendre plus de résidents que ce matin. Kristel le reconnaît, dans une maison de repos, sans activités à faire, on peut vite s’ennuyer ou se sentir seul.e. Malheureusement les personnes atteintes de démence ou de douleur participent peu aux animations.
Kristel n’a travaillé qu’ici, au centre Adagio. Elle sait que dans d’autres maisons de repos, plus grandes, il existe toute une équipe d’animation. Là-bas, les activités dépassent souvent les murs du home avec des sorties au cinéma ou encore des excursions à la mer.
Ici, c’est différent. “Oui, j’aurais aimé qu’on fasse des activités en dehors du home, mais ce n’est pas évident, explique Kristel. Il faut considérer l’envie, les capacités physiques et mentales des résidents, ainsi qu’un transport spécial pour eux.” Organiser de telles activités seule relève presque de l’impossible. Pour combler, elle organise souvent des tournois de pétanque, ou des petites activités au parc pour changer du quotidien du home. En dehors des animations, chacun est libre de sortir quand il le souhaite pour prendre l’air ou faire des courses. Malheureusement, par sécurité, les personnes démentes ne le peuvent.
Une odeur tomatée s’empare de la pièce, c’est l’heure de manger. Aujourd’hui, on mange des spaghettis. Kristel prend son assiette et s’isole pour manger. Quand on donne toute la journée, il est important d’avoir du temps pour soi. Mais à peine son assiette terminée qu’elle retourne dans la salle principale.
Une partie d’UNO s’improvise en attendant 14h. Elle anime même dans les heures creuses. Mais pour elle, ce n’est pas une corvée, elle y prend un réel plaisir. Ici on joue avec les règles des seniors. Un +2 sur un +4 sur un + 4 de nouveau sur un +2 et Yvonne doit maintenant piocher 12 cartes. Pierre plaisante : “Surveillez-la, elle va encore tricher !”

La salle se remplit, l’activité va pouvoir commencer. Les jeux de société attirent plus de monde que la gym. Sur demande d’un résident, Kristel sort le Trivial Pursuit.
Avant de lancer la partie, Kristel monte voir Geneviève, la doyenne de la maison. Sur le chemin, des puzzles accrochés aux murs, fruits des résidents d’hier et d’aujourd’hui. Un magnifique 1500 pièces dénote. Il représente les moulins des Pays-Bas, la tranquillité, la patience.
Geneviève a le nez dans son placard. Elle choisit soigneusement sa tenue. Malgré ses 96 ans, elle n’a pas perdu le goût du style. Ses cheveux ont blanchi mais ses vêtements refusent la grisaille. Elle descendra jouer, le temps de se préparer.

Le premier dé est lancé, le pion avance, couleur bleu. Géographie : “Quel pays actuel portait le nom de Siam ?” Silence dans la pièce. Mais rapidement le niveau s’élève et les bonnes réponses s’enchaînent. Si bien que Constantin, qui n’était pas venu ce matin, gagne le premier camembert de la partie.
De l’autre côté de la table, on s’occupe autrement. Ludmilla écoute tranquillement des musiques de son temps. Selon Kristel, ces mélodies permettent de faire remonter des souvenirs, de raviver des émotions. C’est important de se remémorer, de penser. Cela stimule le cerveau.
D’autres jouent aux cartes en intervenant parfois dans le jeu. Comme ce matin, l’essentiel est d’être ensemble. Le café, lui aussi, a son importance. Kristel est multitâche : elle sert les tasses en connaissant par cœur les habitudes de chacun. Deux sucres pour Pierre, sans sucre ni lait pour Constantin.

La partie se termine en même temps que la journée de Kristel. Elle a aimé sa journée. Demain elle essaiera de faire mieux. De motiver plus de résidents pour qu’ils ne s’isolent pas. Grâce à des mots échangés, à des instants partagés, elle tentera de nouveau d’adoucir la souffrance de ceux qui peinent ou d’apporter un peu de lumière à ceux que la démence isole. C’est pour cela qu’elle fait ce métier qu’elle décrit comme une passion. Pour mettre des sourires sur le plus de lèvres possibles.

