Anderlecht : Résister à la peur au quotidien

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La nuit tombe sur Clémenceau, plongeant ce quartier d’Anderlecht dans une atmosphère lourde et oppressante. Les commerces ferment les uns après les autres, les grilles métalliques claquant avec un bruit sec. « Excusez-moi, je ferme aussi !  » , lance précipitamment le propriétaire d’un restaurant, pressé de rentrer chez lui. Le long de la rue, les commerçants se dépêchent, les enseignes s’éteignent une à une. « Personne ne peut rester après 20 heures, tout peut arriver ici« , avertit Rayan, un Pakistanais connu pour son humour. Mais ce soir, il est sérieux. « C’est une scène inhabituelle dans ce quartier, d’habitude si animé jusqu’à des heures tardives. Ce qui m’inquiète, c’est le chemin pour rentrer chez moi« , confie-t-il.

À quelques mètres de là, un autre commerçant se montre moins alarmiste. « Fermer pour faire quoi à la maison ? C’est une fuite en avant. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’on puisse régler les problèmes de ce quartier en s’enfermant. En fuyant. Nous devons nous unir autour des autorités pour trouver une solution durable« , propose Zayn, déterminé.

Un terreau propice à l’insécurité : densité de population, mixité sociale et difficultés économiques

Ces dernières semaines, des événements graves ont secoué les quartiers d’Anderlecht, en particulier Clemenceau. Des tirs d’armes de guerre ont fait un mort et plusieurs blessés. Si de tels incidents n’avaient pas une telle ampleur auparavant, les signes avant-coureurs étaient déjà perceptibles. 

« Oui, ces dernières années, des problèmes comme la délinquance, les trafics illicites de drogues et d’armes se sont intensifiés, alimentant des tensions sociales qui couvaient déjà« , explique Amadou, 42 ans, dont onze passés à Clémenceau. 

« Il ne faut pas perdre de vue que cette insécurité est lucrative, car des lobbies gagnent beaucoup d’argent. La drogue vient de la ville française de Marseille« , nous confie I.B, 28 ans, ancien dealer de drogue. « J’ai très tôt commencé à m’en procurer et ensuite je suis devenu une sentinelle. Je passais des heures à guetter dans le quartier, et dès que je voyais les policiers s’approcher, j’appelais le Boss. Pour ce travail, je gagnais entre 70 et 100 euros si la marchandise était bien écoulée.« 

Résultat : les quartiers d’Anderlecht sont devenus difficiles à vivre.  « Je vis un vrai calvaire ici. Je risque de perdre mon travail car, depuis deux semaines, je suis obligé de conduire moi-même mes enfants à l’école, de peur qu’il leur arrive quelque chose. j’arrive toujours en retard au travail. Avant ces fusillades, ils y allaient seuls« , avoue Albert, un père de famille, épuisé par cette situation. 

Entre peur et résilience : les habitants face à l’insécurité

Dans ce contexte, les habitants de Clémenceau oscillent entre peur et résilience. Certains se barricadent chez eux dès la tombée de la nuit, tandis que d’autres, comme Zayn, appellent à la solidarité et à l’action collective. Les autorités, quant à elles, tentent de répondre à ces défis par une présence policière accrue et des initiatives sociales, mais les problèmes de fond – précarité, exclusion et manque d’opportunités – persistent, laissant les habitants dans une attente anxieuse de changements concrets.

Face à cette situation, les autorités locales, régionales et fédérales ont mis en œuvre plusieurs actions pour améliorer la qualité de vie des habitants et lutter contre l’insécurité. Certaines mesures rassurent, mais d’autres suscitent la colère. « Ce dispositif sécuritaire est franchement exagéré. Nos enfants sont paniqués chaque fois que nous passons devant ces forces de sécurité« , révèle Adrian, un jeune père de famille d’Anderlecht. 

Des initiatives pour apaiser les tensions et renforcer la cohésion sociale

Les autorités travaillent en partenariat avec des associations locales pour ne pas céder à la peur. Une vie est encore possible, et tout le monde ne quitte pas le quartier.  Des médiateurs sociaux et des travailleurs de rue sont déployés pour apaiser les tensions et favoriser le dialogue entre les habitants, les jeunes et les autorités. Ces initiatives visent à renforcer la cohésion sociale et à prévenir les conflits. 

Dans plusieurs quartiers d’Anderlecht, comme à Saint-Guidon, les habitants veulent montrer un autre visage d’Anderlecht

Dans l’après-midi du 27 février, des actions conviviales ont été organisées dans différents endroits comme Aumale, Clémenceau, Peterbos et Saint-Guidon, avec des tables festives placées dans les rues. Objectif ? « Nous réapproprier l’espace public, de recréer du lien et affirmer ensemble que nos quartiers sont avant tout de lieux de vie, de solidarité et de respect« , expliquent les organisateurs de l’initiative « Un moment de pause pour Anderlecht« .

« Nos quartiers ne sont pas des espaces de violences.  Non, ce ne sont pas des champs de tirs à l’aveuglette. Il y a mieux que ces dérives éphémères qui surviennent dans bien d’autres cités. On fait seulement de la fixation médiatique sur Anderlecht. Nous sommes tranquilles ici« , explique Omar, un participant à la rencontre joint par Mammouth Média. Ce que confirme Ousmane, un habitant du quartier Aumale. « Tout comme les autres quartiers, il y a de l’ambiance ici, des gens qui rient, qui sont heureux de vivre ici« .

Ces événements qui visent à recréer du lien social et à montrer que, malgré les difficultés, la vie continue et que la solidarité reste un pilier essentiel pour surmonter les épreuves, « vont continuer les 6, 13 et 20 mars de 16 h à 18 h à  Aumale, Clémenceau, Peterbos et Saint-Guidon« , a précisé Edurne, membre de l’organisation de cette initiative.

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