Africa Museum : un musée face à son passé colonial

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Crédit photo : Bastien Hanot

Crédit photo : Bastien Hanot

Le « dernier musée colonial au monde ». Voici comment était encore décrit le Musée royal d’Afrique centrale, il y a peine plus de dix ans. Depuis le musée a été « décolonisé », ses expositions rénovées et son nom rebaptisé en Africa Museum. Mais est-il réellement possible de décoloniser un musée colonial ?

En passant la grille d’entrée, on découvre à gauche l’impressionnante bâtisse néoclassique dominant le parc de Tervuren. À droite, le pavillon du directeur, où Bart Ouvry nous attend. Avant de prendre le tête du musée en mai 2023, ce diplomate de carrière avait passé dix ans en Afrique en tant qu’ambassadeur au Kenya et représentant de l’Union européenne en RDC, puis au Mali. Pour lui, le plus grand succès du musée est qu’il attire maintenant un public afro-descendant et africain, un public largement absent auparavant. Ce manque de public diversifié par le passé s’expliquerait en partie par l’absence de modernisation du musée au siècle dernier. « Même si officiellement, le processus de décolonisation a commencé en 1960, rien n’a changé avant le début des années 2000 », analyse le directeur. Le musée présentait le colonialisme comme un élément essentiel de développement pour un pays africain. Or, le musée de Tervuren est l’une des portes d’entrée des Belges vers l’Afrique, façonnant les conceptions du continent.

Lorsque Guido Gryseels prend la direction du musée en 2001, il constate cette absence de changement dans les différentes expositions permanentes, et fait de la rénovation du musée une priorité absolue. « Il y a 25 ans, 95 % des Belges étaient convaincus que la colonisation du Congo par la Belgique constituait une bonne chose. Puis petit à petit, un débat s’est formé au niveau sociétal et la vision de la population a progressivement changé ». En 2013, les choses bougent enfin, le musée ferme pour des travaux de rénovation d’une durée de cinq ans.

King Kasaï

Après avoir traversé le tunnel blanc qui mène du nouveau bâtiment d’accueil à l’entrée des collections du musée, on traverse la première partie musique et langue où l’on entend de multiples sons de tambours et autres instruments traditionnels. Quelques centaines de pas plus loin, une famille d’Okapi, giraffidé aux allures de zèbre, accueillent les visiteurs dans la partie paysage et biodiversité. Le musée possède une collection de 10 millions de spécimens, qui s’apparente pour la plupart à des trophées, la chasse étant étroitement liée au projet colonial. Au bout du couloir, se trouve le plus célèbre d’entre eux : King Kasaï. L’imposant éléphant est l’exemple parfait du trophée colonial, abattu en 1956 lors d’une mission, il sert de pièce maîtresse pour l’exposition universelle de Bruxelles en 1958. 

Sous les yeux de Kasaï, se trouve la rotonde, grande coupole ornée de marbre et de dorures. Voici sans aucun doute la pièce la plus problématique du musée, un temple dédié à Léopold II, rappelant les heures les plus sombres du colonialisme. Aux quatre coins de la salle, de grandes statues en bronze doré véhiculent des stéréotypes racistes comme l’absence de civilisation avant l’arrivée des colons ou la sexualisation des femmes africaines. Le monument étant classé, le musée se trouve dans l’impossibilité de les enlever. Pour réinventer la pièce, le musée a invité l’artiste congolais Aimé Mpane à concevoir deux statues en bois se faisant face, le crâne de Lusinga se référant aux horreurs du passé et Nouveau souffle se référant aux promesses de l’avenir. Mpane a ensuite travaillé avec l’artiste bruxellois Jean-Pierre Müller pour réaliser un ensemble de seize voiles, superposés aux statues, proposant ainsi une nouvelle lecture de la pièce. Ne faisant pas partie intégrante du bâtiment, le buste de Léopold II qui trônait au milieu de la rotonde a, lui, pu être enlevé. Cependant, une enquête du musée a démontré que beaucoup de gens ne comprennent pas la signification de ces nouvelles installations. Le message de déconstruction véhiculé à travers ces œuvres est nettement plus efficace avec les explications d’un guide.

Collaborations difficiles

Comme dans la rénovation de la rotonde, les liens avec la diaspora sont essentiels pour redéfinir les objectifs du musée. Dans cette optique, l’ancien directeur Guido Gryseels et les différentes associations de la diaspora mettent en place le Comraf (comité de concertation du musée avec les associations africaines) au début des années 2000, une structure associant douze membres africains issus d’associations et cinq membres du musée. La consultation mise en place par le musée pendant les travaux de rénovation s’est articulée autour de six experts élus au sein de la diaspora. Mais la structure a cessé de fonctionner avant la réouverture du musée, « je pensais que nous allions élaborer des choses ensemble mais j’ai vite déchanté ; le musée n’attendait que des validations de notre part. Il a fallu négocier fermement pour apporter du contenu » s’exprimait Anne Wetsi Mpoma, membre des six experts de la diaspora, dans Médor quelques mois avant la réouverture du musée en 2018. Guido Gryseels explique : « suite au mouvement black lives matter, une différence de vue s’est formée entre les attentes de la diaspora et les possibilités du musée. Le rôle de conseiller ne leur suffisait plus, le Comraf voulait de la cocréation ». Pour les associations africaines, le musée ne peut pas réellement rompre avec l’optique coloniale sans s’appuyer sur la collaboration avec la diaspora. Le président du dernier Comraf, Billy Kalonji, déclarait dans un entretien pour la revue Ensemble : « Tout ce qui se fait pour nous sans nous, se fait contre nous ».

Décision politique

Certaines exigences de la diaspora ne peuvent pas être réalisées par le musée. « Le musée est une administration fédérale et possède trop peu d’autonomie, ce statut devrait évoluer pour pouvoir permettre plus de dynamique dans le fonctionnement de l’Africa Museum », glisse l’actuel directeur. Cette autonomie souhaitée semble encore lointaine, le budget de BELSPO (l’organisme responsable des politiques scientifiques au niveau fédéral) décline d’année en année avec notamment une réduction de 25 % de ses crédits suite aux efforts d’assainissement budgétaire. « Il y a un manque d’ambition énorme au niveau politique, faisant écho à des ambitions politiques, notamment au niveau de la N-VA visant à démanteler les collections fédérales et de les renvoyer aux entités fédérées », explique Martin Hullebroeck, chercheur postdoctorant à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et collaborateur à l’ULB.

Malgré les complications financières, le musée a des ambitions. Le travail de décolonisation est un travail sans fin, « Ce qui peut sembler décolonial et équitable aujourd’hui, peut ne plus l’être dans 10 ans, c’est une question sociale. L’important est d’évoluer afin de ne pas se retrouver à la traîne de la société », conclut Bart Ouvry.

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