8h30, le soleil vient à peine de faire son apparition et pourtant on s’active déjà devant le Petit Château. Depuis maintenant une quinzaine de jours, des hommes sont à la rue faute de place dans des centres Fedasil (l’agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile). Le Petit Château, ancien centre de recrutement de l’armée, accueille désormais un centre d’accueil pour demandeurs d’asile et des bureaux de l’office des étrangers.
Photos: Nadia Vossen CC BY NC ND
L’entrée pour les candidats à l’asile se situe dans la rue de Passchendaele. Devant cette grille, un plan logistique a été mis en place : à droite la file pour les familles, mineurs et personnes vulnérables et à gauche ce sont les hommes qui patientent. Jusque-là, rien de très extraordinaire si ce n’est que des femmes et hommes sont encore obligés de demander l’asile pour leur sécurité.
Désormais, il n’y a plus assez de places pour tout le monde. Selon les dires de Fedasil, la cause est liée aux inondations, à la crise du coronavirus, aux rapatriements d’Afghanistan et tout simplement une augmentation du nombre de demandes d’asile. La conséquence visible depuis une quinzaine de jours, c’est que, chaque jour, des hommes se retrouvent à attendre pour obtenir un lieu d’hébergement pour le soir, parfois en vain.
Un schéma qui se répète
Ce matin-là, la file est longue du côté des hommes. Les personnes vulnérables sont, elles, déjà rentrées au Petit Château. Un membre de Fedasil sort et commence à distribuer un papier aux hommes dans la file. Il divise la file par bloc, et chaque bloc reçoit une feuille d’une couleur différente. Cette feuille et sa couleur varie selon la place dans la file, chaque couleur équivaut à une heure à laquelle les hommes doivent se présenter le jour même, pour espérer obtenir un centre.
En quittant la file, certains sont confus et ne comprennent pas la feuille qui est pourtant traduite dans de nombreuses langues. Des bénévoles de différentes associations leurs expliquent : « Vous devez revenir aujourd’hui à 11h30. Yes, today ! »
Catherine* du HUB humanitaire nous explique : « vous savez, même les membres de Fedasil apprennent le jour même le nombre de places disponibles. Personne ne sait combien de personnes auront une place et si certains devront dormir à la rue cette nuit. ».
Ces bénévoles, qui ont déployé un stand sur le trottoir d’en face, offrent du café, du thé et même quelques sandwichs. Plusieurs associations sont présentes pour venir en aide aux demandeurs d’asile. Une petite dizaine de bénévoles de la Plateforme citoyenne arbore une veste blanche avec le logo de l’ASBL pour les identifier. L’association dispose de plusieurs lieux d’accueil de nuit à Bruxelles et ailleurs en Belgique. Le problème, c’est qu’ils sont presque tous complets. On retrouve également Médecins du monde et Médecins sans frontières qui travaillent main dans la main avec la Plateforme citoyenne.
Une annexe mais pas de centre
Dans la file des personnes venues de différents pays, Afghanistan, Syrie ou encore Palestine dont est originaire Anas*. Il cherche quelqu’un qui parle arabe. Je lui réponds que j’ai des bases. Il commence alors à me poser des questions : « J’ai reçu mon annexe ; j’ai introduit ma demande, mais on ne m’a pas donné de centre. Où est-ce que je suis sensé dormir ? ». Autant de questions auxquelles il m’est difficile de répondre.
L’annexe 26 dont me parle Anas est le papier qui confirme qu’il a bien déposé une demande d’asile en Belgique. En temps normal, ce papier s’accompagne d’information sur le centre attribué. On compte 9 centres à Bruxelles sur les 80 environ que compte sur le territoire belge. Certains de ces lieux d’accueil n’ont pas été épargnés pendant les inondations, ce qui rend la situation encore plus compliquée. L’attribution automatique d’un centre n’est plus possible par manque de places. Certains n’arrivent même plus à demander l’asile.
Dans l’après-midi, on retrouve des personnes barricadées derrières des barrières Nadar, essayant de dormir malgré le froid et l’humidité. Une petite dizaine de personnes sont regroupées autour d’une femme bénévole qui leur vient en aide depuis plusieurs jours. Elle essaye de leur trouver un abri pour la nuit. Ce soir certains dormiront malgré tout dehors.
A côté, trois travailleurs de rue sont dépités par la situation. « Ce n’est pas notre travail. Nous, on travaille sur le long terme et le relationnel, mais on ne dispose pas de lieux pour accueillir les gens ». Ils passent des appels, discutent avec les personnes dans le besoin. Ils constatent la gravité de la situation et espèrent pouvoir faire pression sur le pouvoir politique en se joignant à d’autres associations.
Conseils juridiques inespérés
Done Dagyaran est avocate spécialisée dans le droit des étrangers. Elle vient devant le Petit Château quand son horaire le lui permet, pour apporter une aide juridique directe et des conseils sur la gestion des situations personnelles. La communication n’est pas toujours simple, d’autant plus quand les discussions portent sur le jargon juridique, alors elle fait avec les moyens du bord. Parfois, elle trouve quelqu’un pour traduire. Dans d’autres cas, elle se contente des bases d’anglais qu’elle et ses interlocuteur.e.s maitrisent.
Le lendemain, l’avocate et une bénévole de l’association Mineurs en exil sont confrontés à une situation dramatique. Neuf MENA, mineurs étrangers non accompagnés, se sont retrouvés sans place. Aucune place pour eux dans des structures spécialisées. Des travailleuses de Fedasil cherchent une solution en vain. C’est finalement la Plateforme citoyenne qui leur trouvera un abri.
8h30, et ce matin comme depuis plus d’une quinzaine de jours maintenant le même schéma : l’attente, le froid, la police, l’espoir et la désillusion. La situation de ces hommes et ces femmes est problématique et si des places d’urgence sont créées par la ville de Bruxelles, celles-ci restent trop peu nombreuses. Une mobilisation de la société civile permet d’atténuer les difficultés que ces personnes rencontrent, mais rien n’y fait. Sans mobilisation politique, la situation ne pourra pas se régler.
* Pour des raisons de sécurité, il s’agit de prénoms d’emprunt.