Justice accélérée, procédures d’enquête bâclées ?
De plus en plus d’affaires sont traitées via des procédures accélérées pour tenter de lutter contre les lenteurs du système judiciaire belge. Mais la vitesse à laquelle sont menés les devoirs d’enquête questionne. Peut-on vraiment rendre la justice plus rapide et plus efficace sans bâcler les enquêtes ?
9h14, un jeudi de fin octobre, à la chambre des comparutions immédiates du Palais de Justice de Bruxelles, début de la première audience de la journée. Dans le viseur de la justice : trois hommes suspectés de vendre cannabis et cocaïne. Un peu démunis et accompagnés d’un traducteur, ils n’osent adresser un regard à la présidente. À la barre, trois avocats. Parmi eux, une grande dame blonde vêtue de noir, de blanc… et de rose. Tout ce qui n’était pas le tissu de sa robe d’avocate est fuchsia : le col roulé, les chaussures, la farde et même le stylo. La dame en rose se distingue par son accoutrement, mais aussi par sa voix, la seule à se faire entendre dans cette salle à l’acoustique franchement mauvaise. L’avocate reste impassible pendant que la juge rappelle les faits, puis interroge les suspects. Jusqu’à ce que vienne son heure. Maitre Gallant, de son nom, se lève brusquement pour se placer au centre de la pièce et déclame. Démontant une à une les préventions retenues par le Parquet contre son client, elle s’insurge du caractère accéléré de l’enquête qui, selon elle, a été « faite à la va-vite« . Elle plaide pour l’acquittement en ce qui concernent plusieurs chefs d’accusation, puis s’éclipse, l’avocate est attendue dans une autre salle.
Quelques heures plus tard, Me Gallant doit à nouveau rejouer le même scénario, mais dans une autre affaire de drogue. Aidée cette fois par une confrère, elle surenchérit : « Monsieur Lefranc (nom d’emprunt) pourrait être le vendeur ! En fait, on le croit sur parole, mais rien n’a été vérifié ! » Elle se déplace au centre de la pièce, adresse un regard au public et continue : « Encore une fois, comme ce matin, on se base sur la seule constatation des services de police et sur les dires de M. Lefranc… que l’on considère comme une victime. Je ne veux pas me répéter, mais, madame la présidente, j’ai vraiment l’impression que dans ces processus de justice accélérée, l’enquête n’est pas aboutie… « . Silence. L’audience continue, puis se termine. Et l’avocate vêtue de rose s’en va comme elle était arrivée.
Force est de constater, au regard de ces deux affaires, que ces procédures accélérées peuvent poser question. Devenues de plus en plus courantes ces dernières années, elles se veulent être la solution adéquate pour rendre la justice moins lente et résoudre plus rapidement des faits simples, comme des vols ou des coups et blessures perpétrés en présence de témoins.
La justice accélérée, une préoccupation de longue date
En Belgique, les lenteurs du système judiciaire sont une préoccupation constante. Le législateur planche continuellement sur de nouveaux moyens de rendre la justice plus efficace. Mais légiférer n’est pas toujours aisé, les majorités successives ne partageant pas toujours la même conception de la justice.
C’est pourquoi, dans le code d’Instruction criminelle, plusieurs dispositions ont été ajoutées au fil du temps pour résoudre certains types de dossiers, comme le trafic de stupéfiants ou les violences intrafamiliales. L’une d’entre elles est la procédure accélérée, soit la convocation par procès-verbal d’une personne en liberté dans les deux mois après son audition devant le procureur du Roi. Ces affaires ne nécessitant que des devoirs d’enquêtes légers, le Ministère public peut décider d’instruire via ce processus et ainsi éviter des procédures longues, parfois fastidieuses.
Des affaires bâclées ?
Si certains sont de fervents défenseurs de la procédure accélérée, reste qu’à la barre, elle est attaquée par les avocats : la rapidité du traitement de l’affaire devient un argument brandit par la défense pour acquitter un client. Enquêtes réalisées à la va-vite, bâclées… dans leurs plaidoiries, ils sont nombreux à remettre en cause la légitimité des devoirs, lesquels ne seraient pas assez approfondis.
Un discours que le Parquet réfute. « C’est faux. Par définition, ce sont des dossiers très simples, souvent avec des flagrants-délits…. Cela n’est peut-être pas favorable à leur client, mais les dossiers sont généralement complets, il y a assez que pour pouvoir poursuivre », nous glisse un substitut du Procureur du Roi. Dans les affaires traitées via des procédures accélérées, les devoirs sont en moyenne réalisés plus rapidement puisqu’ils consistent le plus souvent en des enquêtes de voisinage ou des auditions de témoins.
Une augmentation liée à la réalité de terrain
Ces dernières années, le nombre de procédures accélérées est augmentation. « Ce n’est pas un choix réfléchi, c’est assez mécanique« , indique le Parquet. « Il y en a de plus en plus, mais c’est le reflet de la criminalité« . Les faits « simples » le plus souvent traités via des procédures accélérées sont les vols et le trafic de stupéfiants. En 2023, 97.793 affaires de vols et extorsion sont entrées dans le système judiciaire belge contre 93.196 l’année précédente. La tendance est similaire pour les dossiers de stupéfiants (+7%).
La justice est-elle capable d’absorber cette augmentation ? « Pour toute une série de dossiers, oui, au niveau du Parquet. Mais au niveau du tribunal, les délais sont plus longs parce qu’il n’y a pas assez d’audiences », estime notre substitut.
Procédure accélérée ou pas, le principal problème resterait donc le nombre d’audiences, toujours insuffisant. Au 1er janvier 2023, on dénombrait 182.598 affaire pendantes en Belgique, soit des affaires auxquelles aucune décision clôturante n’a été attribuée à cette date.