Derrière les rideaux de l’Opéra Royal de Wallonie (ORW), à l’abri des regards du public, si les chanteurs attendent le verdict des mélomanes à la fin de la représentation, l’équipe technique prépare déjà le prochain spectacle.
Photo : Romain Janclaes (CC BY NC ND)
Les premiers applaudissements surgissent, c’est le soulagement. C’est la dernère représentation d’Il Turco in Italia, une pièce peu connue de Rossini mise au goût du jour à Liège par le metteur en scène Fabrice Murgia. Sur la chevelure d’Elena Galitskaïa (dans le rôle de Fiorilla), tombant jusqu’à ses sourcils, puis plus bas à la hauteur de sa gorge, s’étendent des perles de sueur. Elles laissent paraitre l’effort fourni pour atteindre autant de brillantes vocalises. Le soulagement est tel après cette représentation qu’on peut voir dans l’obscurité des coulisses les visages éblouissants des chanteurs satisfaits du déferlement de hourras, bravos et autres cris d’extase. Dans la fosse d’orchestre, le séjour dans l’obscurité prend fin et c’est une foule d’admirateurs qui vient féliciter interprètes et musiciens.
Allant à la rencontre de Véronique Leroy, assistante de la mise en scène, celle-ci raconte cette « expérience très prenante. On vit un peu H24 dans une bulle, et lorsque celle-ci explose, c’est le grand saut dans le vide ». Première spectatrice et médiatrice entre les chanteurs, elle tente d’amener les protagonistes à la vision de Fabrice Murgia qui a souhaité remettre en question le caractère archaïque de la pièce Il Turco in Italia de Rossini en situant l’action sur un plateau de tournage aux allures de Cinecittà. Fiorilla se retrouve ainsi transformée en star du grand écran, son soupçonneux mari Don Geronio devient producteur, le pacha Selim en invité vedette tandis que le poète en scénariste en mal de copie. Tout cela donne sur scène une époustouflante vitalité.
A côté de la mise en scène, un tel opéra est surtout une machine constituée par une armée de techniciens et pléthore de métiers d’arts cachés par le rideau. Du directeur musical Giuseppe Finzi aux costumiers, des chefs de chants aux cadreuses, du réalisateur aux régisseurs, c’est une véritable société au travail qui, comme dans n’importe quelle société, a ses rapports de pouvoir, de hiérarchie et son règlement. Mais avec la particularité que le produit est d’une fragilité extrême. En effet, chaque soirée est un miracle car le résultat n’est jamais acquis. C’est fascinant, presque magique aussi. A chacune des représentations, il y a une quête de perfection que les artistes tentent à chaque instant de posséder.
Sur scène, cela négocie entre le metteur en scène Fabrice Murgia et des chanteurs qui préfèrent être en ligne de mire plutôt qu’en diagonale. En coulisses, les techniciens frémissent à l’arrivée de deux camions de trois tonnes et autant de problèmes de sécurité à gérer de leur côté. C’est aussi une course effrénée pour remplacer, à quelques heures de la représentation, deux chanteurs malades. Voilà soudain la soprane Elena Galitskaïa, arrivée en dernière minute, afin de substituer l’ancienne Fiorilla, qui doit apprivoiser le rôle dans cette nouvelle mise en scène. Au milieu d’une dispute, on entend crier Flavia à la régie : «Maintenant Key 223 » pour rappeler les acteurs à l’ordre.
Cette immersion dans les coulisses permet également de comprendre quel défi se joue aujourd’hui à l’Opéra Royal de Wallonie et dans le monde du spectacle en général. Secouée par la pandémie, l’institution a été frustrée par l’interdiction des spectacles et les mesures de confinement. Résultat : plusieurs dizaines de soirées annulées et un déficit chiffré à environ quatre millions d’euros. Sombre perspective pour l’avenir de l’institution. Sans le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de quelques sponsors, l’opéra wallon aurait déjà dû mettre la clef sous le paillasson.
Un challenge à plus long terme attend aussi l’institution, celui de rendre l’opéra plus attractif, de déconstruire les clichés qui lui collent encore à la peau. « Le défi à l’heure actuelle est de rendre un souffle de jeunesse à l’opéra. Comment des livrets du 18ème siècle peuvent-ils faire encore écho à ce que nous vivons, nous habitants du 21ème siècle ? Il faut absolument rapprocher l’œuvre du spectateur » témoigne Véronique, l’assistante à la mise en scène. Les divas de l’opéra elles-mêmes admettent être contentes de travailler dans des mises en scènes plus contemporaines. Bien conscientes de ne pouvoir rester figées dans le passé comme d’antiques déesses qui président de loin aux jeux des divinités inférieures, elles entendent secouer la Belle au bois dormant qui sommeille dans leurs rôles.
Mais à l’opéra, la Belle au bois dormant ne dort jamais longtemps. Nous sommes jeudi, il est 7h du matin et toute l’équipe technique, avec Jonathan, Christophe ou encore Théophile, se met au travail pour monter le prochain spectacle.
Dans deux jours, une star débarque à Liège. Il s’agit de Placido Domingo. Autant dire que l’effervescence est à son comble. Il faut que tout soit parfait pour cette arrivée. « Bordel de merde ! Bouge toi. On n’est pas là pour se tourner les pouces », crie un technicien. « Par ici, par ici ! », lance Bruno, le régisseur orchestre, tandis que des costumes colorés passent sur scène. Dans les coulisses, c’est un joyeux bazar où se mêlent ouvriers en salopette et prima donna à l’allure de Fée Dragée. C’est un ballet en lui-même qui n’attend plus que son public.