Au croisement de l’avenue Louise et de l’avenue de la Toison d’Or, une dame, assise sur une chaise roulante et emmitouflée dans ses couvertures, compte la monnaie récoltée durant la journée. La tête plongée dans ses gobelets de pièces, son visage n’est pas visible.
Photo : Valentine Jonet
Un pas après l’autre, on découvre son kit de survie : une bâche imperméable, coupée au milieu pour qu’elle soit plus longue et puisse abriter sa chienne Guapa, pour cette dernière un gros carton au sol recouvert d’une couverture « de Mathusalem », un sac de courses contenant fromage, jambon et croissants, ainsi qu’une écharpe tricotée à la main.
À ses pieds, sa récolte du jour. Parfois, le total d’un gobelet est de 5€, parfois de 50€, la somme à l’intérieur de chaque récipient diffère.
Cette dame, c’est Jacqueline. À 88 ans, elle passe ses journées dans la rue. Cela fait huit ans maintenant qu’elle fait la manche. Née d’une famille aisée, entourée de cinq frères et d’une sœur, Jacqueline perd sa maman à ses 10 ans et à ses 25 ans, c’est son père qui décède. La perte de sa mère a été très dure et c’est à partir de là que la « trainaille » a commencé. Sécher les cours était devenu une routine et sa sœur a dû la prendre en main. A 18 ans, elle devient aide-soignante dans une maison de repos et y travaille pendant 42 ans. À côté, Jacqueline fait beaucoup de bénévolat.
49 ans de vie commune et un divorce plus tard, Jacqueline a tout perdu. De sa famille, il ne reste plus personne. Elle ne peut compter que sur elle-même. Les souvenirs de sa sœur remontent, surtout à l’approche des fêtes.
La Gare Centrale a été son premier stop pour faire la manche. Ensuite, elle a arpenté les rues autour de la Grand Place dont la rue de la Colline. Elle est passée par Osseghem pour finir avenue Louise.
« Je ne demande rien à personne, ceux qui ne donnent pas, je ne les juge pas. Certains ne peuvent pas »
Jacqueline
Jacqueline a un logement pour dormir la nuit. Les loyers sont chers et elle n’a pas accès à un logement du CPAS. Chaque matin, elle fait donc le trajet depuis la place Stéphanie pour venir récolter ses deniers.
Vivre dans la rue, c’est aussi avoir des problèmes de santé. Souffrant d’ostéoporose, une affection qui entraîne une fragilisation du squelette et qui augmente le risque de fractures, Jaqueline a souvent des douleurs, surtout au niveau des avant-bras.
« Un sourire, un petit mot gentil, ça suffit »
Jacqueline
Parfois, le regard des gens est difficile à supporter. Jacqueline a déjà vécu plusieurs mésaventures et a subi des remarques désobligeantes. Cependant, la générosité et l’entraide dans le quartier sont présentes. Plusieurs personnes s’arrêtent pour laisser une pièce ou proposer une soupe de chez Exki, comme le fait Didier. Peu importe le goût, si c’est chaud, c’est bien. Toutefois, entre épinards et patate douce coco, le choix est vite fait : pas de coco ! Le pêché mignon de Jacqueline reste quand même le cramique de chez Paul ; ses yeux brillent quand elle en parle.
La vie n’est pas tous les jours tendre sur les pavés des avenues du luxe. Mais comme le résume Jacqueline, pour ensoleiller une journée, parfois « un sourire, un petit mot gentil, ça suffit ».
Par Valentine Jonet