Face à la violence contre le personnel, les Hôpitaux Iris Sud réagissent
Dans les services d’urgences bruxellois, les épisodes d’agressivité se multiplient depuis plusieurs années et pèsent lourdement sur le travail des équipes. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte social tendu, où la frustration et la pression sur les services de soins s’accentuent. Elle oblige l’hôpital à renforcer ses dispositifs de sécurité et à adapter son organisation pour protéger le personnel. Dans cette interview, Kevin Hambursin, conseiller en prévention au sein du Service Interne pour la Prévention et la Protection au Travail (SIPPT), revient sur les raisons de cette hausse et sur les mesures mises en place pour soutenir les équipes.
Pouvez-vous expliquer votre rôle aux Hôpitaux Iris Sud ?
Je suis conseiller en prévention pour les Hôpitaux Iris Sud. Mon rôle consiste à conseiller l’employeur sur tout ce qui touche au bien-être au travail : la sécurité, l’hygiène, la santé, l’ergonomie, l’embellissement des lieux, l’environnement et les risques psychosociaux.
Avez-vous constaté une évolution de la violence aux urgences ces dernières années ?
Oui, clairement. On observe à la fois plus d’agressivité et des faits plus graves. Il faut savoir que les violences sont encore largement sous-déclarées : plus on y est confronté, plus on les banalise.
Mais les faits récents montrent une escalade inquiétante. Il y a quelques années, un médecin PG a été poignardé avec une paire de ciseaux. Ce genre d’acte était impensable auparavant. Dans d’autres hôpitaux bruxellois du réseau, on constate la même tendance, avec des agressions physiques de plus en plus violentes.
Quels types d’agressivité observez-vous ?
On distingue trois types d’agressivité : l’agressivité pathologique, liée à des troubles mentaux ou à la consommation de substances. Il y a aussi l’agressivité de frustration, quand une émotion déborde parce que la personne attend trop longtemps par exemple, et enfin l’agressivité instrumentale, quand la violence devient un moyen d’obtenir quelque chose en retour.
Qu’est-ce qui explique cette tension croissante dans les services d’urgences ?
Pour moi, c’est avant tout un phénomène social. La violence augmente dans la société en général, et l’hôpital en est le reflet.
Les gens supportent de moins en moins la frustration : on vit dans un monde où tout va vite, où tout est instantané. Aux urgences, c’est impossible. Il faut parfois attendre plusieurs heures, et cette attente est difficile à accepter pour certains.
Beaucoup de personnes consultent aux urgences sans réelle urgence médicale. Cela joue-t-il un rôle ?
Oui. C’est ce que les gens du terrain appellent la “bobologie”. On a des statistiques là-dessus et cela représente une grande partie des passages, jusqu’à 90 %. Les patients viennent chercher un avis médical rapide, alors que leur situation ne relève pas d’une urgence vitale.
Heureusement, un système de tri est en place. Les cas graves sont pris en charge immédiatement. Mais vérifier chaque patient demande du temps : même pour une plainte bénigne, il faut parfois faire des examens pour s’assurer qu’il n’y a rien de plus grave derrière. C’est ce cumul qui alourdit la charge et rallonge les délais.
L’alcool et la drogue sont-ils des déclencheurs fréquents ?
Tout à fait, l’alcool et la drogue accentuent ces comportements agressifs, mais il n’y a pas que cela.
Le manque d’effectifs joue aussi : moins de personnel, c’est plus d’attente, donc plus de tension. Et ces tensions sont encore amplifiées par certaines lenteurs organisationnelles, comme le fait que les analyses soient envoyées en même temps vers le laboratoire pour centraliser les traitements. Ce regroupement provoque des délais supplémentaires, ce qui alimente l’impatience et renforce la frustration, souvent à l’origine des comportements violents.
Comment soutenez-vous le personnel après un incident violent ?
Lorsqu’un membre du personnel est victime d’un incident violent, plusieurs dispositifs sont prévus. D’abord, un formulaire d’incident peut être rempli sur l’intranet, de manière anonyme ou nominative. La personne peut y signaler les faits et, si elle le souhaite, demander à être recontactée pour bénéficier d’un accompagnement psychosocial. Si l’incident a provoqué une blessure physique ou psychologique, il est alors déclaré comme un accident du travail. Cette déclaration ouvre un droit à un suivi psychologique, généralement entre cinq et sept séances, pris en charge par l’assureur.
Et si plusieurs personnes sont touchées ?
Dans ce cas, un débriefing collectif peut être organisé. C’était le cas après l’agression au ciseau d’un médecin : chaque témoin a été accompagné individuellement, et un suivi de groupe a permis à l’équipe de partager son expérience et de retrouver un certain équilibre.
Quelles mesures concrètes ont été mises en place pour renforcer la sécurité ?
Ces cinq dernières années, plusieurs mesures concrètes ont été mises en place pour renforcer la sécurité aux urgences. La collaboration avec la police a été renforcée, avec la création de numéros prioritaires permettant une intervention plus rapide en cas d’appel depuis l’hôpital. Une safe room a également été construite sur le site de Molière et devrait bientôt être déployée sur les autres sites. Cet espace sécurisé permet au personnel de se réfugier en cas de danger : les portes y sont renforcées, une issue de secours permet d’évacuer et des systèmes d’appel rapide sont installés pour prévenir la police ou les agents de sécurité.
La présence sur le terrain a-t-elle aussi changé ?
Oui, la présence de gardiens a aussi été augmentée, notamment la nuit, afin d’assurer une surveillance constante sur les trois sites. En parallèle, le box de tri IOA (infirmier d’orientation et d’accueil) a été introduit : il permet à un infirmier d’évaluer rapidement chaque patient, souvent en moins de quinze minutes. Ce premier contact permet de réaliser une première prise de paramètres vitaux pour détecter les urgences réelles, de rassurer les patients et de réduire la frustration liée à l’attente.
Et du côté de la sensibilisation ?
Des formations à la gestion de l’agressivité, verbale et physique, ont été proposées à l’ensemble du personnel, avec une version spécifique pour les équipes des urgences. Ces formations ont été très bien accueillies par le personnel. Une campagne d’affichage a également été lancée, accompagnée d’une vidéo explicative sur le fonctionnement des urgences, pour mieux informer le public et apaiser les tensions.
Quels sont aujourd’hui les freins à une meilleure prévention ?
Beaucoup d’incidents ne sont pas déclarés, souvent parce que le personnel finit par banaliser la violence. On essaie de sensibiliser à l’importance de signaler chaque fait, même mineur.
Il y a aussi le manque de moyens humains et financiers. Comme beaucoup d’hôpitaux bruxellois, nous faisons face à des restrictions budgétaires et à une rationalisation des coûts. Cela complique la mise en place de certaines mesures de sécurité pourtant nécessaires. Construire une safe room, par exemple, représente plusieurs centaines de milliers d’euros. C’est évidemment plus difficile à financer qu’une campagne d’affichage.
Quelle est aujourd’hui la priorité du SIPPT face à la violence aux urgences ?
Notre priorité actuelle, c’est de mettre en place une procédure permettant de signaler les patients violents directement dans le logiciel de gestion des urgences. L’objectif est que le personnel soit averti du comportement potentiellement dangereux de certains patients avant d’aller à leur rencontre et d’entamer les soins.
À terme, nous voulons que ce système de signalement s’applique dans tous les services. Dans certains cas, il pourrait même conduire à exclure un patient des urgences, sauf bien sûr si son pronostic vital est engagé. Dans une situation critique, il sera évidemment pris en charge, sans discussion. Mais pour des soins non urgents, comme des consultations en polyclinique, un patient ayant déjà eu plusieurs comportements violents pourrait se voir refuser l’accès à l’hôpital.


