Le premier pas vers l'asile

À Bruxelles, l'association étudiante LSWR offre un soutien juridique aux demandeurs d'asile

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Crédits photos : Maëlenn Nédélec

À Bruxelles, l’association étudiante LSWR offre un soutien juridique aux demandeurs d’asile

Crédits photos : Maëlenn Nédélec

Fondée en 2015 à la suite de la crise syrienne, Law Students With Refugees (LSWR) est une association étudiante qui offre un soutien juridique, administratif et humain aux demandeurs d’asile. Deux fois par semaine, ces bénévoles assurent une permanence juridique de première ligne devant les portes de l’Office des étrangers, pour informer les demandeurs sur leurs droits et leurs démarches. 

6h19

Une trentaine de personnes patientent déjà devant l’Office des étrangers. Certains dorment, recroquevillés dans des plaids ; d’autres fixent le vide. Une femme, avec deux enfants en bas âge, rejoint une adolescente endormie sur le trottoir. Ils sont quatre pourune valise. Elle détourne le regard quand j’approche, refusant poliment de parler de sa situation. 

6h24

Devant l’Office, les files révèlent des frontières invisibles : une affiche aux couleurs du drapeau de l’Ukraine indique clairement aux personnes concernées de se placer à gauche. À droite, sans explication claire, s’entassent les  »autres » demandeurs d’asile. Leur file est elle-même scindée : hommes seuls d’un côté ; familles, femmes, personnes handicapées et MENA (Mineurs Étrangers Non Accompagnés), de l’autre. Des agents veillent au maintien strict de cette organisation.

Pourquoi cette distinction entre les Ukrainiens et les « autres » ? Les Ukrainiens bénéficient de la protection temporaire activée par le Conseil de l’Union européenne en raison du conflit armé dans leur pays, qui leur donne accès après leur enregistrement à des droits : titre de séjour, accès au marché du travail, aux soins de santé, aux allocations familiales et à des revenus. 

À ce sujet, Célina, étudiante en Master 2 de droit et co-responsable de la permanence depuis un an, raconte: “Lors de la dernière permanence, j’ai dû négocier avec les vigiles pour faire passer une famille palestinienne en priorité. Leur enfant, en chaise roulante, après avoir survécu à des bombardements, pleurait de douleur dans la file ».

6h35

Les portes n’ouvrent qu’à 7h15. C’est alors qu’arrivent les étudiants, vêtus de leurs K-ways orange distinctifs. Leur travail commence immédiatement : ils se répartissent en binômes linguistiques. Chaque duo explique, fiche à l’appui, les étapes de la procédure d’asile (enregistrement, entretien, recours) et oriente vers les services essentiels : douche, soins médicaux, hubs humanitaires. Leur fiche, traduite en plusieurs langues, vise à rendre l’administration moins obscure. 

Pourtant, expliquer ne s’improvise pas. « Le droit des étrangers est une simple option à l’université, alors LSWR comble ce vide » , explique Célina. C’est pourquoi l’association organise des formations, parfois avec des avocats, pour préparer ses membres. 

6h45

Une jeune femme, seule, semble perdue. Impossible d’imaginer ce que cela fait d’être dans un pays inconnu, sans maîtrise de la langue , face à une administration opaque.  

Célina s’approche d’elle et lui explique, avec une douceur ferme : « Lors de votre enregistrement, ils vont devoir faire une radiographie pulmonaire ici, à l’Office. Il vous faudra lever votre tee-shirt pour qu’ils puissent vous examiner. C’est une procédure officielle, donc vous ne devez pas vous en méfier. Je vous avertis aussi de ne surtout pas signer de documents que vous ne comprenez pas. Si un mot ou une phrase vous échappe, ne signez pas ». C’est là que le rôle des étudiants prend ici tout son sens : expliquer, rassurer et traduire, même dans l’inconfort.  

Célina précise que la radiographie sert à établir l’état de santé, mais la présence d’un médecin n’est pas confirmée par l’Office. Seul un document de l’Ordre des médecins (2008) évoque des techniciens ou infirmiers. Mais, face aux portes closes du bâtiment, la pratique reste floue.  

Par ailleurs, certains étudiants avouent leur frustration face à la fragilité du système : « On se sent impuissants quand on doit leur dire qu’ils n’ont accès aux toilettes qu’une fois qu’ils sont dans l’Office ». Cette réalité brutale, au cœur de la capitale européenne, les révolte autant qu’elle renforce leur engagement. 

7h06

Trois vigiles ordonnent aux personnes qui débordent de la file de reculer, rappelant avec virulence la proximité de la piste cyclable. Comment respecter les limites spatiales quand le trottoir est saturé par une centaine de personnes en attente depuis plusieurs heures ?  

7h15

Les portes s’ouvrent. Les hommes entrent d’abord, puis les familles. Les vigiles régulent le flux avec une précision militaire. 

7h20

Malgré la diversité linguistique des étudiants, Google Traduction devient nécessaire. Une scène révélatrice de la complexité des échanges et de l’importance de la technologie, devenue un pont fragile entre des mondes qui, sans elle, ne se comprendraient pas.  

7h25

Abdellatif, étudiant en Master 2 de droit et co-responsable de la permanence depuis 1 an, confie sa frustration quant au temps imparti pour chaque entretien. « Avec seulement une heure, nous n’avons pas le luxe de questionner ou d’approfondir nos explications. C’est une vraie frustration, surtout pour un bavard comme moi » , avoue-t-il avec un sourire.  

Malgré tout, certains demandeurs évoquent d’eux-mêmes leur situation, comme cette dame consciente d’être en « situation Dublin » , risquant un renvoi vers le pays européen responsable de son dossier selon des critères hiérarchisés (première demande, visa, empreintes, famille…). 

7h36

Un étudiant m’interpelle : la permanence est terminée. Déjà. 

Les K-ways disparaissent. Le débriefing a lieu sur le trottoir d’en face, au lever du soleil.  

Un constat émerge : certains demandeurs sont illettrés et n’ont pas pu comprendre les documents. Il faut créer de nouvelles fiches, avec des pictogrammes et des explications simplifiées. L’accès à l’information est un droit fondamental, même pour ceux qui ne savent pas lire. 

Après l’enregistrement à l’Office, le pôle « récit de vie » prend le relais. Il aide les demandeurs à structurer leur histoire pour l’entretien au CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides), un soutien crucial aussi pour les avocats. 

Ainsi, des trottoirs de l’Office aux salles d’entretien, les étudiants accompagnent, pas à pas, ceux qui doivent affronter seuls un parcours semé d’embûches. 

8h22

Je quitte les lieux. Des traces de l’attente subsistent : gobelets, emballages, papiers. Comme si une journée entière s’était écoulée, alors qu’il n’est que 8h30. Mais peut-être que, pour certains, la journée a effectivement commencé depuis plus longtemps.

Fin. Pour eux, pas pour moi

Les héros ne portent pas de cape, mais des K-ways orange. Dans le froid de Bruxelles, ils incarnent une justice qui commence simplement par une présence humaine. 

L’engagement de LSWR continue aussi en ligne. Sur Instagram, Facebook ou TikTok, l’association partage ses actions : collectes, événements solidaires, ou l’Action d’hiver, lancée en novembre pour distribuer des kits d’hygiène et de la nourriture. 

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