Cette scène que beaucoup d’élèves connaissent par cœur : la veille de recevoir un bulletin, les mains tremblent un peu, le cœur s’emballe, les parents attendent. Et ce chiffre qui prétend résumer des mois d’efforts, d’erreurs et d’apprentissage. Mais aujourd’hui, un vent de changement souffle sur des écoles. En Belgique, plusieurs établissements expérimentent un monde… sans bulletin. Un monde où la progression compte plus que le classement. Une révolution pédagogique fragile, ambitieuse et profondément humaine.
Ce n’est pas la note qui va définir qui tu es
Tristan Nottet (enseignant à l’Athénée Léonie de Waha de Liège)
Le bulletin : rassurant pour certains, stressant pour d’autres
À l’origine simple outil de suivi, le bulletin scolaire est une sorte de boussole pédagogique : notes, compétences, appréciations. Pour certains élèves et parents, il reste rassurant voir même un repère clair. Mais pour d’autres, il est synonyme d’angoisse, de comparaison et de sentiment d’échec. Il illustre ce que Thomas Michiels, professeur à l’UCL et Chargé d’études à Changement pour l’égalité, décrit comme les effets destructeurs du classement et de l’humiliation liés aux notes. L’enseignant évoque « des classifications humiliantes » et « le stress des épreuves » imposés par la logique de compétition scolaire. « Si l’évaluation stimule certains élèves, elle en démotive beaucoup d’autres et cause de l’anxiété ». Thomas Michiels (UCL, CGé)
Facile à dire, pas facile à faire
En Belgique, certaines écoles ont sauté le pas : Saint-Dominique (Schaerbeek), Frangelico (Evere) ou encore l’Athénée Léonie de Waha et la Cité École Vivante (Liège).
Certaines de ces institutions n’ont pas encore assez de recul pour porter un regard critique sur cette nouvelle approche mais une idée commune les relie : arrêter de réduire les élèves à des points.
Sur le terrain, la mise en place n’est pas si simple. Pour les enseignants, cela implique une autre manière d’évaluer. Et pour certaines familles, la suppression de notes n’est pas compréhensible. Habitués au modèle traditionnel, beaucoup de parents sont encore attachés aux moyennes et aux pourcentages.
Les écoles repensent entièrement leurs approches afin de les accompagner dans cette nouvelle dynamique, moins centrée sur la « mise en case » et davantage sur les progrès individuels.La communication école-famille doit donc être repensée : expliquer, rassurer, accompagner.
Les parents sont habitués à se raccrocher à une note, ça peut donc être frustrant pour eux
Tristan Nottet
Comment les professeurs présentent ce système aux élèves? Le passage d’une notation traditionnelle vers une pédagogie active est plus facilement compréhensible pour certains élèves.
C’est ce que nous dit Tristan Nottet : « Les points n’existent plus, mais à la place on met un commentaire écrit pour chaque exercice qu’il a fait »
Enseignant, Alain, s’intéresse à cette nouvelle approche. Il est membre du CEMÉA (Centre d’Entraînement aux Méthodes d’Éducation Active) qui promeut une pédagogie misant sur la participation active et l’autonomie des élèves. Il nous confie qu’aujourd’hui, les bilans ne servent presque plus aux élèves ou aux parents. Ils sont principalement un outil permettant aux enseignants de situer le niveau et vérifier les apprentissages. » Ces bilans servaient à 70% pour moi, 20% pour l’élève et à 10% pour les parents. » Alain
Qu’est-ce que ça veut dire avoir 51 % ? Le CEMÉA le rappelle, le système éducatif traditionnel a formaté les élèves à se demander : « Est-ce que ça compte ? », « Ça vaut combien ?». Supprimer les notes sans repenser l’approche pédagogique comporte plusieurs risques. Parmi eux, le manque de motivation, la comparaison et la triche.
En effet, les attributions de couleurs sont des chiffres déguisés, si on supprime les notes mais qu’on garde la même manière d’enseigner, l’élève est en perpétuelle comparaison avec ses camarades. « La preuve c’est qu’on a des élèves qui veulent tricher. » Tristan Nottet
Humaniser l’enseignement
Supprimer les bulletins fait partie d’un mouvement international appelé l’ungrading. L’idée est de remettre l’apprentissage au centre. L’élève progresse sans objectif chiffré, ce qui renforce la motivation intrinsèque. Ainsi, le feedback individualisé est pensé pour cela : commenter, expliquer, guider l’élève.
Tanguy Wéra enseignant à l’Athénée Léonie de Waha de Liège est conscient que l’auto évaluation est un bon moyen car elle permet à l’élève d’apprendre à s’évaluer lui-même. «Pour certains c’est un bon outil et on voit que ça les fait progresser. Pour d’autres c’est naturel mais c’est même une charge. »
Si les notes disparaissent, comment les enseignants valident-ils alors les acquis des élèves ?
Tristan Nottet est co-auteur d’un projet de décret sur l’évaluation pendant ces études de sciences de l’éducation. La transition vers un système sans notes n’est pas évidente, le problème n’est pas le bulletin mais la manière dont on évalue.
L’objectif ? L’abandon des notes chiffrées au profit d’un feedback informatif, rédigé de manière constructive et individualisée. « Á la place d’un 8/10, les élèves doivent ramener un acquis : ce n’est pas une solution».
Le bulletin ne devrait être qu’une feuille de route pour guider l’élève vers un apprentissage plus long
Tanguy Wéra
Japon : le prix de l’excellence
Au Japon, la course aux notes est telle qu’elle alimente des phénomènes dramatiques : ijime (harcèlement), hikikomori (isolement), anxiété chronique…
En 2023, plus de 513 collégiens et lycéens se sont suicidés, d’après l’étude de Nippon. Même là où des bulletins ont été supprimés, la pression sociale, omniprésente, continue d’écraser les élèves. Un miroir extrême, mais révélateur puisque même sans bulletin il y a toujours une pression sociale culturelle.
D’après l’Unicef, le taux de suicide des jeunes japonais figure comme le quatrième plus élevé du monde étant classé 32ᵉ sur 43 pays par rapport au bien-être.
« Ça ne changera pas grand-chose»
La transition vers un système sans bulletin est prometteuse, mais elle reste complexe : enseignants, élèves et parents doivent désapprendre des réflexes profondément installés. Le bien-être scolaire dépend de l’accompagnement, pas de l’absence de notes. Les bulletins peuvent évoluer : notes, couleurs, feedback, auto-évaluation… La question centrale n’est pas de supprimer ou de garder, mais de donner du sens à l’apprentissage.
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