MÉDIATHÈQUE NOUVELLE : 55 emplois et près de 70 ans de culture menacés

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© Photo bannière : Martine De Michele/ © Photo article : Dominique Houcmant

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Le 13 octobre 2025, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a annoncé son intention de ne pas renouveler le contrat-programme de Médiathèque Nouvelle à partir du 1er janvier 2027. Cette décision, qui mettrait fin au financement de l’institution, soulève des questions quant à l’avenir de 55 emplois et d’un vaste patrimoine audiovisuel. David Mennessier, médiateur culturel et représentant syndical SETCa, raconte le choc, les enjeux et l’urgence d’agir.

Si on n’agit pas maintenant, il n’y aura plus de retour en arrière possible

David Mennessier

Le 13 octobre 2025, vous apprenez le non-renouvellement de votre contrat-programme. Qu’est-ce que cela signifie ?

En somme, ça signifie que 55 personnes seront licenciées et que les activités de Médiathèque Nouvelle vont s’arrêter. Au-delà de la disparition d’un service public, c’est une conception du travail culturel qui s’efface : le lien entre œuvres et publics, des compétences accumulées. Ce serait la disparition de nos métiers de médiation, de programmation, de documentation, de création d’outils pédagogiques : des savoir-faire humains que nous considérons comme irremplaçables. C’est aussi un signal politique désastreux, parce que la médiation culturelle est l’un des principaux leviers d’accès à la culture pour toutes et tous.

Avant cette annonce, la Médiathèque était déjà fragilisée par les évolutions technologiques…

Oui. Depuis que j’y travaille, en 2009, la Médiathèque a connu énormément de mutations. À la base, c’était un réseau de prêt de médias : CD, DVD, vinyles, jeux vidéo… On avait des antennes un peu partout en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Aujourd’hui, le prêt est mis à disposition du secteur de la lecture publique, donc du réseau des bibliothèques. Et on continue à alimenter la collection – en supports physiques et digitaux – parce que sinon, elle deviendrait muséale.

Avec l’arrivée du numérique puis du streaming, les habitudes du public ont changé et la Médiathèque a connu des restructurations successives. On a progressivement quitté le modèle du prêt pour se concentrer sur la médiation culturelle, l’éducation aux médias et l’accompagnement des publics. C’est un changement complet de paradigme.

Quelle part de votre budget dépend du subside de la Fédération Wallonie-Bruxelles ?

Aujourd’hui, ce subside représente pratiquement 99% de nos rentrées financières. Alors qu’au début des années 2000, le rapport, c’était environ 80% de nos rentrées liées aux prêts et 20% liées aux subsides. L’institution a dû changer ses pratiques et ça a nous a rendus complètement dépendants du financement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Et c’est pour cela qu’il y a eu des contrats-programmes avec des missions très claires qui ont évolué aussi.

Et quelles sont vos missions aujourd’hui ?

Depuis quatre ans, nos missions n’ont jamais été aussi pertinentes au regard de ce que le secteur attend de nous : concevoir des outils, ateliers et dispositifs qui permettent à chacun·e d’apprendre à lire et comprendre images, sons, jeux vidéo — ce que les bibliothèques, par exemple, ne peuvent pas offrir.

Nous valorisons aussi les artistes et les œuvres de la Fédération Wallonie-Bruxelles à travers des sélections commentées, des médiagraphies, des playlists ; nous collaborons avec des institutions d’éducation permanente.

David Mennessier

Moi, par exemple, j’anime des salons d’écoute : sur un thème comme hymnes de la révolte ou la fin du monde, les gens viennent écouter une sélection musicale que j’explique et recontextualise. À Bruxelles, nous organisons aussi des séances d’écoute avec des personnes qui ont difficilement accès à la culture : des sans-abri (asbl DoucheFlux), des seniors (Centre Marconi), des personnes détenues. Au total, pour 2024, cela représente plus de 500 activités de diffusion et de médiation : projections, concerts, ateliers, stages, festivals, collaborations avec universités et musées ; et un travail avec 400 partenaires, dont 131 bibliothèques.

C’est tout cela qui est menacé par la décision de la ministre Élisabeth Degryse. La fermeture de Médiathèque Nouvelle provoquerait un désert de médiation culturelle.

La décision de la ministre est tombée à quelques mois du 70e anniversaire de la médiathèque. Comment avez-vous appris la nouvelle ?

On allait passer à notre nouveau contrat-programme en 2027, donc il nous restait encore un an sur celui en cours, de 2026. Ce qui se passe dans ce genre de cas, c’est que des négociations sont entamées avant la date de renouvellement. Le 1er octobre, la cheffe de cabinet reçoit ma directrice, Edith Bertholet, et lui annonce qu’il va falloir travailler sur des pistes de diminution budgétaire. Pendant une semaine, ma directrice et sa directrice des ressources humaines vont travailler sur plusieurs pistes de réflexion.

Le 13 octobre, lors d’un second rendez-vous, ma directrice revient avec trois propositions et là… on ne les analyse même pas. On lui dit simplement : « Ce n’est pas la peine, on arrête de vous subsidier ». Environ une semaine plus tard, le courrier officiel arrive : pas de renouvellement, décision irrévocable. C’est le choc.

Avec un autre représentant, nous avons dû annoncer la nouvelle aux collègues… Il faut remettre de l’humain et de l’émotionnel derrière tout ça, parce qu’aujourd’hui, je ressens une forme de déshumanisation du monde politique. Dans ses lettres, Mme Degryse ne parle jamais des 55 travailleurs et travailleuses, dont certain·es ont 30 à 40 ans d’ancienneté.

Cette décision pose aussi la question du devenir du patrimoine conservé par la Médiathèque.

Oui. On existe depuis 1956, et notre collection représente 400 000 médias : CD, vinyles, DVD, VHS… C’est une collection d’une valeur inestimable, car ce qu’on trouve sur les plateformes n’est qu’une infime partie de ce qu’on peut réellement écouter ou regarder. Une grande partie de nos vinyles n’a jamais été rééditée. Par exemple, le jazzman Sun Ra, qui est l’un des plus grands musiciens au monde : on a des originaux qui ne figurent dans aucune autre collection publique. Nos films représentent 60 000 titres, dont beaucoup ne sont disponibles sur aucune plateforme, surtout les productions belges. Il n’y a qu’à chercher les films de Chantal Akerman… Tout cela, on ne sait pas ce que ça va devenir.

Le budget 2026 de la Fédération Wallonie-Bruxelles sera voté avant fin 2025. Quels sont vos moyens d’action ?

Le temps presse. Chaque mois qui passe nous rapproche de la disparition complète de nos collections et de nos activités. Si on n’agit pas maintenant, il n’y aura plus de retour en arrière possible.

Les syndicats nous soutiennent. Une pétition citoyenne sur Change.org a dépassé 6 000 signatures en deux semaines. Sur notre site, un espace recueille les témoignages de soutien de celles et ceux qui ont collaboré avec nous ou qui veulent témoigner de leur lien à Médiathèque Nouvelle. Lors de nos activités, on informe nos publics de la situation ; on a tenu un stand à Bozar lors du concert de Zaho de Sagazan ; la direction a écrit au Roi, qui pourrait solliciter un symposium avec Mme Degryse ; de mon côté j’ai écrit une lettre à Bob Dylan, remise à son staff lors de son passage à Bruxelles… Voilà, il faut faire des choses un peu folles quand on est dans une situation pareille.

En tant que représentant syndical, que demandez-vous ?

Comment exiger de personnels engagés qu’ils poursuivent sereinement leurs activités alors que la fin de leur institution est déjà annoncée ?

Nous demandons la réouverture d’un dialogue avec le cabinet, la suspension de la décision de non-renouvellement, une évaluation contradictoire et publique, et le respect de la dignité du personnel jusqu’à la fin du contrat actuel. Car pour l’instant, les moyens qui restent jusqu’à la fin de notre contrat-programme (le budget 2026) ne suffisent même pas à dédommager les travailleur·ses. Si Mme Degryse maintient sa décision, elle doit nous relever de nos missions. C’est un minimum pour qu’on parte avec nos anciennetés et les dédommagements auxquels on a droit dans le cadre d’un licenciement sec et brutal.

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