Quand la haine se porte comme un vêtement

De Fred Perry à Lonsdale: petit tour des marques plébiscitées par l'extrême-droite

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De Fred Perry à Lonsdale: petit tour des marques plébiscitées par l’extrême-droite

Objet du quotidien, le vêtement dépasse parfois sa simple fonction esthétique pour devenir un signe identitaire et d’afficher une appartenance à une idéologie extrémiste. Les marque Fred Perry, Helly Hansen ou encore Lonsdale, plébiscitées par des courants d’extrême-droite, en sont l’illustration.

En apparence, ce n’est qu’un t-shirt noir décoré de symboles runiques et d’un nom tiré de la mythologie nordique. Mais pour derrière ses coupes sportives, la marque allemande Thor Steinar est devenue l’uniforme officieux de plusieurs groupuscules néonazis qui y lisent un message identitaire caché. C’est ce qu’on appelle le dog wishtle – sifflet à chien : un message, discret intégré dans un discours ou, dans ce cas, un vêtement, compris seulement par ceux qui connaissent le code. Ainsi, derrière une apparence neutre, le vêtement peut transmettre un message idéologique silencieux.

Des logos devenus symboles


Crée dans les 1960, la marque britannique Fred Perry symbolise pour certains l’élégance sportive. Mais dans les années 2010, sa célèbre polo noir à liserés jaunes, reconnaissable à sa couronne de laurier brodé, a été adopté par les Proud Boys, un groupuscule d’extrêmes droite américain qui prône la suprématie occidentale. Face à cette récupération, la marque a décidé de suspendre ce modèle en Amérique du Nord. « Fred était le fils d’un député socialiste de la classe ouvrière, devenu champion du monde de tennis à une époque où ce sport était réservé à l’élite. Non, nous ne soutenons en aucun cas ce groupe ou ses idéaux. Cela va à l’encontre de nos croyances et des personnes avec lesquelles nous travaillons« , John Flynn, président de Fred Perry, en 2017.

Clément Méric, militant antifasciste de 18 ans, perd la vie à la suite d’une violente rixe qui marque durablement les esprits. Le 5 juin 2013, il croise par hasard la route de plusieurs membres des Jeunesses nationalistes révolutionnaires lors d’une vente privée de vêtements Fred Perry à Paris. Ce qui devait être une simple sortie entre amis se transforme en confrontation idéologique. Des provocations éclatent autour d’un t-shirt arborant un slogan néonazi, et les tensions se déplacent à l’extérieur du magasin. Les deux groupes s’affrontent violemment devant une église. Au cours de la bagarre, Clément Méric est frappé à plusieurs reprises, notamment par Esteban Morillo, l’un des militants nationalistes. Il s’effondre, grièvement touché, et succombe à ses blessures le lendemain. Cette affaire provoque une vive émotion dans l’opinion publique et entraîne des conséquences politiques immédiates. Le gouvernement décide la dissolution du groupe d’extrême droite Troisième Voie, auquel appartenaient les skinheads impliqués, ainsi que celle de son service d’ordre, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR). Ce drame illustre comment les oppositions politiques peuvent se matérialiser jusque dans le choix des vêtements, où marques et styles se transforment parfois en signes visibles d’idéologies profondément opposées.

Marque norvégienne emblématique pour ses vestes d’hiver, Helly Hansen veut incarner la robustesse nordique. En 2019, des militants d’extrême droite s’approprient son logo : les initiales « HH », interprétées par certains comme une abréviation de « Heil Hitler ». La marque a fermement condamné ces détournements et réaffirmé son refus de toute association politique.

En septembre 2024, le député du Rassemblement National Julien Odoul est apparu à l’Assemblée nationale vêtu d’une parka Helly Hansen. Le député Antoine Léaument (LFI) a publiquement dénoncé ce choix, provoquant un vif échange entre les deux élus. Le député socialiste a ensuite publié sur son compte X : « Julien Odoul arbore ici un classique des militants de l’ultra droite pour faire référence au « Heil Hitler ».« 

Aux couleurs sombres, la marque Lonsdale s’impose comme une marque emblématique du monde de la boxe, populaire parmi les sportifs et jeunes quartiers ouvriers. Dans les années 2000, en Allemagne, des groupes néonazis s’emparent du logo dont une partie des lettres (NSDA) fait référence au parti national-socialiste des travailleurs allemands , le « National Sozialistische Deutche Arbeiter Partei », autrement dit le parti nazi. Les sweats, t-shirts et blousons deviennent des uniformes non officiels portés lors des rassemblements, stades et manifestations de ces groupes. Afin de redorer son image, le géant sportif textile créée différentes campagnes pour réaffirmer ses valeurs d’exclusivité et de diversité. En 2003, la marque crée « Lonsdale Loves all colors », qui valorise la diversité ethnique de ses mannequins, soulignant ainsi son refus du racisme.

En Belgique, la marque ne suscite pas la même effervescence qu’ailleurs. Simon, vendeur chez Direct Sport à Bruxelles, n’est pas surpris de l’association de vêtements des idéologies extrémistes. « C’est une forme d’appropriation culturelle explique il. En Angleterre, l’identité culturelle est très forte. Il y a une vraie culture de la boxe, de la rue. De plus la boxe est un sport très violent. Ainsi, cela ne m’étonne pas que la marque a été associée aux mouvements extrémistes. ». Selon lui, la marque n’a pas la même réputation qu’en Belgique où elle reste plus discrète. « On la voit moins ici. » précise-t-il.

Chez nous : Schild en Vrienden

Le t-shirt bleu clair du mouvement de jeunesse d’extrême droite flamand Schild en Vrienden avec comme inscription « 1302 » dans le dos n’est pas anodin. Utilisé comme « dog wishtle », le chiffre fait référence la date de la Bataille des Éperons d’Or, en 1302, où les milices flamandes ont écrasées l’armée du roi de France Philippe IV, près de Courtrai. Le fondateur de Schild en Vrienden, Dries Van Langenove, a été condamné en mars 2025 à un an de prison ferme pour infraction à la loi sur le racisme et le négationnisme, à la suite de la diffusion d’un reportage dans l’émission Pano montrant les coulisses du mouvement.

La boutique en ligne de Schild & Vrienden propose une gamme de produits dérivés, destinés à afficher l’identité visuelle et les slogans du groupe. On y trouve notamment des vêtements comme un polo bleu marine en coton biologique ou encore un sweat-shirt fabriqué en Flandre, tous deux ornés du logo S&V. La section accessoires met en vente des objets plus symboliques, tels que des gourdes avec inscrit « Linkse Traantjes » ( « larmes de gauche » ) ou des lots d’autocollants reprenant le logo complet du collectif. Enfin, la boutique propose également des cartes et affiches au ton revendicatif, comme des cartes de vœux aux messages politiques ou des posters portant le slogan « Vlaamse Jeugd, word Weerbaar ! (« Jeunesse flamande, sois résiliente ! »), invitant à la mobilisation identitaire.

La mode agit parfois comme un miroir des tensions sociales et idéologiques, et les vêtements peuvent être porteur de sens. Quand il s’agit de l’extrême-droite, cela n’a rien d’anodin.

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