Madame,
Votre courriel adressé à Sa Majesté le Roi est bien arrivé au Palais Royal et j’ai été chargée de vous répondre.
J’ai reçu pour mission de transmettre votre requête à Monsieur Y. COPPIETERS, Ministre wallon de la Santé, de l’Environnement, de l’Economie sociale, de l’Action sociale, du Handicap, de la Lutte contre la pauvreté, des Familles, de la Santé, l’Egalité des chances et du Droit des femmes, à Madame F. LANNOY, Administratrice générale de l’AVIQ, et à Monsieur S. LAQDIM, Délégué général de la Communauté française aux Droits de l’Enfant.
Il vous est également loisible de faire appel à un avocat qui est la personne la mieux placée pour vous assister dans cette affaire.
Jour MOINS 4224
Il y a quelque chose qu’elle ne dit pas. Qu’elle n’ose pas formuler. Élodie a vingt-trois ans. Sa fille, Charline, a dix-huit mois. Et depuis des semaines, des mois peut-être, elle sent un truc. Pas encore un mot. Juste ce nœud au creux du ventre. Charline ne parle pas. Ne montre pas. Ne répond pas. Ne cherche pas l’autre du regard. Toujours les mêmes gestes. Elle mange le même pot à la carotte, la même marque. Sinon elle ne mange pas. Autour d’elle, les gens disent que c’est rien. Que c’est peut- être son caractère, qu’elle est dans sa bulle. Qu’elle s’éveillera plus tard. Elle l’entend cent fois. Mille. Mais rien ne colle. Elle regarde les autres enfants dans les parcs. Elle voit bien. Mais elle ne pense pas au mot. Pas à celui-là. Handicap. Trop dur. Trop grand. Trop définitif. Alors elle se tait. Elle se dit qu’elle exagère.
Charline intègre une petite école du quartier. Classique. Sourires. Bonne volonté. Jusqu’à ce que Charline commence à crier. À mordre. À fuir. Les autres enfants ont peur. Les adultes ne comprennent pas. On appelle Élodie. Tous les jours. On lui dit qu’il faut « adapter », mais l’établissement n’a pas les moyens, pas le personnel, pas les outils. Et pas le temps. S’ouvre alors un tunnel. Long. Sans panneaux. Elle appelle. Elle cherche. Elle insiste. Les centres spécialisés, les écoles adaptées. Elle apprend le langage du refus. « Liste d’attente », « pas adapté », « dossier incomplet », « pas de notre ressort ». Et collectionne les brochures.
Le diagnostic tarde. Des années. Charline grandit. Les colères deviennent des tempêtes. Les nuits sont toujours blanches. Quand enfin on pose les mots — trouble du spectre de l’autisme — Élodie ne pleure pas. Elle pense à ce garçon autiste dans sa classe, autrefois. Celui qu’on évitait. Elle se demande ce qu’il est devenu. Et pour la première fois, elle se demande qui étaient ses parents. S’il en avait deux. S’ils dormaient, eux aussi, par tranches de vingt minutes. S’ils avaient crié dans leur voiture, un jour, fenêtres fermées. Puis elle pense à elle. À Charline. Et elle s’en veut. Elle culpabilise. Beaucoup. Tout le temps.
J-2557
Élodie a tenté de trouver un établissement scolaire pour Charline. Encore. Encore. Jusqu’à l’épuisement. « On a essayé plusieurs écoles. On est même allé jusqu’à Liège pour présenter Charline à une école inclusive. » Charline avait déjà été scolarisée en maternelle, « et ça s’était très mal passé ». Son diagnostic n’est tombé qu’à 4 ans. Le délai d’attente pour une prise en charge : deux ans. Résultat, « elle n’a jamais eu de vraie scolarité ». Élodie a expliqué tout ça. À chaque école. Elle a reçu des refus. Partout. « À Liège, on m’a dit oui. Ils connaissaient bien l’autisme, m’ont-ils dit. Mais quand Charline est arrivée, ils m’ont rappelée : « Elle ne reste pas assise ? Ah non, ça ne va pas être possible, madame.” Ils n’avaient aucune idée de ce que ça voulait dire, l’autisme. » À l’école suivante, Élodie a pris les devants. « Je suis entrée dans le bureau et j’ai dit : vous devez savoir une chose. Mes enfants ne sont pas propres. Mes enfants poussent. Mes enfants crient. Mordent. » Elle marque une pause. « La directrice m’a regardée, calmement, et m’a dit : “Vos enfants sont autistes, Madame.” J’ai crié : ENFIN. J’étais à bout. J’avais fait des dizaines d’écoles. » Beaucoup d’enfants autistes peinent à trouver leur place à l’école. Certains sont exclus dès les premières difficultés, d’autres sont isolés, mal compris des autres élèves, parfois harcelés. « Ma fille est non-verbale et aime rester seule. À l’école, elle se fait harceler à cause de ça », souffle une maman.
Aujourd’hui, 1 personne sur 100 est concernée par un trouble du spectre de l’autisme. Un chiffre qui a explosé en trente ans. Selon Cap48, en Belgique, 1 enfant sur 66 naît avec un TSA. Les rendez-vous sont rares. Les listes d’attente s’allongent, autant pour le diagnostic que pour obtenir une place dans un centre. Parfois plusieurs années. En Wallonie, il est impossible de savoir combien de places sont réellement disponibles pour les enfants atteints de TSA. Les services agréés le sont pour des « catégories de handicap” mixtes, et ne sont donc pas exclusivement réservées à des enfants autistes.
En mars 2013, le Comité européen des droits sociaux (CEDS), organe du Conseil de l’Europe, a condamné l’État belge pour manquements graves dans l’accueil des personnes handicapées de grande dépendance, parmi lesquelles les personnes autistes.
Trouver une place dans un centre ne suffit pas. Il faut trouver la bonne. Celle qui correspond aux besoins de l’enfant. Il y a ceux qui parlent. Ceux qui ne parlent pas. Ceux qui s’automutilent. Ceux qui ne mangent pas. Ceux qui sont violents. Ceux qui s’enferment dans le silence ou dans des gestes stéréotypés… Et les places pour les profils les plus complexes, comme Charline, sont les plus rares. « En Wallonie, on est dans une logique éducative et de projet de vie. Chaque institution a un projet propre adapté à des besoins spécifiques. Il y a des analyses en concertation avec les parents pour évaluer les besoins de l’enfant, des rencontres avec les responsables, les pédopsychiatres… un travail de grande ampleur pour assurer la prise en charge la plus pertinente. Il arrive que des centres ne soient pas adaptés à certains profils, et donc que les familles doivent en chercher un autre », explique Lara Kotlar, porte parole de l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ)
Mais ces principes peinent à se traduire sur le terrain. Une étude menée en 2019 par le GAMP, un groupe de pression citoyen qui défend les droits des personnes autistes et de leurs familles, auprès de dizaines de centres de réadaptation fonctionnelle, de services d’accompagnement et de structures psycho-socio-thérapeutiques, révélait que le personnel est encore insuffisamment formé à ces bonnes pratiques. Que ce soit dans le cadre des études supérieures ou de la formation continue, ces approches fondées sur les données probantes restent trop peu enseignées. Et du côté des familles, rares sont les parents bénéficiant d’une guidance qui leur permettrait d’appliquer, à la maison, les mêmes méthodes éducatives. Résultat : une chaîne d’accompagnement trop souvent rompue dès le départ. Et des enfants à qui l’on refuse, faute de moyens et de formation, la possibilité d’apprendre autrement.
Depuis 2016, les écoles ordinaires peuvent ouvrir des classes inclusives destinées à accueillir des élèves avec autisme. Ces classes, soutenues par des écoles spécialisées, visent à offrir un accompagnement adapté tout en permettant aux enfants handicapés de côtoyer leurs pairs. Maïté, mère de Victor, a longtemps essayé. « Il ne fallait généralement qu’une demi-journée pour qu’on me rappelle en me disant que l’établissement n’était pas capable de prendre en charge mon fils. »
J-2124
Le bureau est grand. Des tableaux au mur, des meubles en bois massif, une chaise en cuir de l’autre coté, une pour elle, moins confortable. Tout brille. Elle s’installe face au directeur. Le Corto, un centre psycho-socio thérapeutique de jour pour enfants et adolescents atteints du trouble de spectre autistique avec ou sans handicap associé, à Charleroi. L’assistante sociale est déjà là. Elle explique l’essentiel. Charline. Nolan. Deux enfants autistes à la maison. Pas de prise en charge. Plus d’école. Plus rien.
Et puis, dans cette pièce qui sent le bois ciré et le silence, la phrase tombe : « on n’a qu’une place. » Une. Pas deux. Elle doit choisir lequel de ses enfants elle veut sauver. Ce sont ses mots. Ce sont ses larmes. Elle inscrit Charline. Parce qu’elle est la plus grande. Parce que ses troubles sont plus lourds. Parce qu’elle hurle plus fort. Qu’elle fait plus de trous dans les murs. Nolan attendra.
J-917
Nolan est accepté au Corto.
Entre J-4224 et pour le reste de la vie d’Elodie
Derrière les grilles, il y a les trajets, les suivis, les réunions, les dossiers à remplir, les crises à contenir, les nuits à veiller. Et presque toujours, ce sont les mères qui tiennent. Qui absorbent. Qui encaissent.
L’Institut de recherche en sciences psychologiques (IPSY) de l’UCLouvain a mené une étude, en 2019, auprès de 53 mères d’enfants autistes. Il en ressort que le stress chronique, la dépression, l’anxiété généralisée y sont monnaie courante. Entre 50 et 80 % de ces mères présentent des niveaux de stress et de dépression élevés. Pas surprenant. Pas pour Élodie. Elle dit simplement : « On n’a pas le droit d’être fatiguées. Si on tombe, tout tombe. »
La même étude explique que ce sont souvent les mères qui subissent le plus. Parce qu’elles sont en première ligne. Parce qu’elles portent tout. Les soins. Les démarches. Le lien social. Elles mobilisent ce que la psychologie appelle un coping individuel : un ensemble de ressources mentales, émotionnelles, physiques pour tenir le coup. Tenir malgré tout. Mais ce n’est pas toujours suffisant. L’étude montre que les mères déprimées ruminent plus, se sentent plus coupables, et expriment davantage leurs émotions… faute d’avoir des solutions concrètes à mettre en place. « Même si ces stratégies de coping individuel ne s’avèrent pas suffisantes, elles démontrent néanmoins leur importance en ce sens qu’elles servent à exprimer un besoin de soutien », indique l’étude. Elles agissent seules. Sans relais. Et souvent, sans conjoint. Le soutien du partenaire joue pourtant un rôle décisif. Mais quand la mère reste seule à gérer l’enfant, quand l’autre travaille plus ou s’éloigne, la pression monte. Certaines mères perçoivent alors le comportement de leur enfant comme plus exigeant, plus violent, plus « trop”. Et elles n’ont plus l’impression d’être de bonnes mères. Juste des gardiennes. Des infirmières. Des barrières humaines.
J-187
Un courrier arrive au Centre. Un recommandé de l’AViQ. La convention qui lie l’agence au Corto est rompue. Trois mois de préavis. Sans justification particulière. Juste un article du contrat qui permet la rupture unilatérale. L’Agence précise tout de même : « difficultés liées au fonctionnement thérapeutique et à la gouvernance ».
J-162
Le Corto saisit le Tribunal du Travail. Trois mois de préavis, pour des enfants autistes, c’est trop court, trop brutal, argumente-t-il. La juge suspend la décision de l’AViQ en attendant un jugement sur le fond.
J-90
Élodie n’a pas dormi. Enfin si, une heure. Peut-être deux. Pas d’affilée. Charline s’est réveillée à 3h, malgré les cinq cachets qu’elle prend pour s’endormir, en hurlant. Nolan tapait contre le mur à 4h. Isaline a mouillé le lit. Encore.
Élodie parle peu, ce matin. Elle pense à la tenue des enfants, prie pour qu’ils acceptent de les enfiler. Les brioches, pour le trajet. Indispensables. Sinon c’est les coups, les morsures. La bagarre avec sa fille, plus grande, plus forte qu’elle. Elle pense au tribunal. Aujourd’hui, le Corto, celui qui accueille deux de ses trois enfants autistes, est devant le juge. Une histoire de subsides, de problème de gouvernance.
Elle baisse les yeux vers ses baskets. Deux pointes de lacet traînent dans une flaque de lait, tombé plus tôt, quelque part entre le petit-dej et une crise. Dans le salon, tout est en plastique. Par sécurité. Rien qui casse. Plus de télé. Charline l’a lancée contre le mur il y a quelques mois. Les canapés viennent d’être livrés. Des modèles d’occasion rachetés via une annonce. Ça ne résiste jamais bien longtemps aux assauts de la grande qui s’y laisse tomber. Trois mois, au mieux. Les structures finissent par céder, les mousses éventrées. Depuis peu, les fauteuils ont été remplacés par des palettes en bois. Moins beau, mais plus solide.

Sur le mur, un lambeau de papier peint se soulève. On voit la trace des anciens motifs, et les bouts déchirés autour. C’était joli, au début. Puis Charline a gratté. Nolan a suivi. Isaline a crié. Quatre fois, ils ont tout refait. À la cinquième, ils ont arrêté. Depuis, le mur reste comme ça, à nu par en- droits. Ça tient, c’est tout ce qui compte.
Ce qui rend tout ça encore plus difficile, c’est ce qu’on ne voit pas. La solitude. Le dehors qui se ferme. Élodie ne dit pas « Nous sommes isolés ». Elle dit : « Je ne peux pas emmener Charline chez des amis qui ont des enfants. Ni au parc. Ni au magasin. Parce que ça finit mal. » Elle détaille comme si elle énonçait une recette : « Déjà, je verrais le regard des gens. Les parents. Ceux qui ne savent pas. Qui pensent que c’est mal élevé. Que je laisse faire. Qui ne comprennent pas que c’est un handicap, pas un caprice. En plus, je dois la surveiller tout le temps. Je ne peux pas détourner les yeux. Et si je sors avec elle, je dois emmener Nolan et Isaline aussi. Et puis il y a le risque. Charline ne crie pas pour dire qu’elle a peur. Elle frappe. Elle mord. Elle pousse. Elle ne prévient pas. Et s’il arrive quelque chose, c’est ma faute. C’est ma responsabilité. Alors je n’y vais plus. » Comme elle, beaucoup de mères d’enfants autistes s’effacent du monde social. Les invitations se raréfient. Les anniversaires se font sans elles.
Le tribunal l’attend. Là-bas, d’autres parleront. Ils liront des dossiers, rappelleront que l’ASBL Corto accueille aujourd’hui 18 gamins. Qu’il est reconnu comme Centre de Revalidation Fonctionnelle (CRF), et qu’il est subsidié par l’Agence pour une Vie de Qualité (AViQ) via une convention qui encadre notamment le suivi thérapeutique, la présence de personnel qualifié, la qualité des soins…
Les CRF sont des institutions dont l’objectif est « d’accompagner chaque patient, au cas par cas, dans la construction d’une solution personnelle à ce qui fait lui problème, solution exportable en dehors de l’institution, qui lui permette de restaurer ou maintenir un lien social apaisé et de prendre ou reprendre une place dans la société tout en préservant sa santé »
Un CRF doit respecter une série de conditions. Lorsqu’ils s’adressent à un public porteur de troubles du spectre de l’autisme (TSA), les CRF proposent une approche pluridisciplinaire, individualisée et intensive, centrée sur la rééducation fonctionnelle et l’amélioration de l’autonomie au quotidien.
Concrètement, un CRF pour enfants autistes rassemble sous un même toit des professionnels issus de différents horizons : pédiatres, neuropsychologues, logopèdes, ergothérapeutes, éducateurs spécialisés, assistants sociaux, etc. Ensemble, ils établissent un bilan fonctionnel complet, destiné à cerner les besoins, les compétences et les difficultés spécifiques de chaque enfant. Sur cette base, un programme d’accompagnement personnalisé est mis en place et la progression de l’enfant est évaluée.
Aujourd’hui, on juge la fin de cette convention.
Un audit révèle que le cadre médical n’était rempli qu’à 15 %. Sur quarante heures de prestations attendues, seules six étaient assurées. Le cadre thérapeutique n’était pas non plus rempli comme il le devait. Pour ces missions, entre autres, le Corto percevait 289 euros par enfant et par jour. « Lors de plusieurs inspections et sur base de témoignages d’anciens membres du personnel, de plaintes formulées par un ancien pédopsychiatre du centre… il est apparu que ce qui s’y faisait relevait davantage de la garderie que de la revalidation fonctionnelle. Et 289 euros par enfant, par jour, pour ça, c’est inacceptable, tranche Lara Kotlar, porte-parole de l’AViQ, Dans ces institutions, il doit y avoir un pédopsychiatre référent. Il n’y en avait même plus. »
Sur ce dernier point, Pierre Hannard, le directeur du Corto, plaide la « pénurie totale » de pédopsychiatres. Cinzia Agoni, présidente d’Inforautisme et porte-parole du GAMP, dénonce quant à elle des pratiques thérapeutiques « d’un autre temps, marquées par la psychanalyse et en décalage avec les recommandations nationales et internationales », au Corto. « Je ne peux plus cautionner cela, mais je suis prête à soutenir les parents auprès de l’AViQ s’ils acceptent de chercher une autre solution que le Corto. »
L’AViQ, après avoir annoncé la rupture, avait proposé une alternative : Oxalis, un nouveau centre, intégré au Grand Hôpital de Charleroi. Une partie des familles et du personnel avait accepté d’y être transférée. D’autres, dont Élodie, avaient refusé. Ils sont restés, défendent le Corto corps et âme, parlent de « nous » en évoquant le centre, malgré les critiques, malgré les doutes. Ils disent avoir vu des évolutions chez leurs enfants. « Au Corto, on respecte vraiment le rythme de nos enfants. Ailleurs, dans les autres centres de revalidation, on les évalue tout le temps, ils doivent suivre toutes les thérapies prévues, peu importe leur état émotionnel ou leur fatigue… Ils sont forcés d’entrer dans un moule », confie une mère d’un enfant accueilli au Corto.
Puis il tranchera. Le 25 mars 2025, le Tribunal du Travail estime que le recours du Corto est infondé sur tous les points. Il déboute l’ASBL de toutes ses demandes, et souligne qu’il est regrettable qu’aucune mesure n’ait été prise pour assurer une transition pérenne aux enfants.
Plus de subsides, plus de titre. Le Corto annonce l’arrêt des soins. Dix membres du personnel indépendant sont licenciés. L’accueil, lui, se poursuivra sur la trésorerie du centre. Pendant trois mois. 90 jours. Élodie, qui avait mis tous ses espoirs dans ce combat, qui pensait que le Corto allait gagner, qui avait refusé Oxalis, pense à l’après. Aux brioches, aux crises. Aux enfants, surtout. Toujours les enfants.

J-ZÉRO
Le centre est fermé. Elle n’a pas peur. Elle le disait en posant une assiette en plastique sur la table. « Je n’ai pas peur de m’occuper de mes enfants. Je ne suis juste pas compétente pour le faire. » Elle pensera peut-être au confinement d’il y a quelques années. Quand Nolan, enfermé trop longtemps, tournait en rond sans s’arrêter. Quand il hurlait, se cognait aux murs. Quand elle l’avait retrouvé, un matin, sur le rebord de la fenêtre. Puis un autre jour, chez le voisin d’en face. Quand les voisins ont déménagé, fatigués des cris, des meubles renversés, des objets lancés par-dessus les haies. Elle, ne peut pas partir. Elle se souviendra peut-être de ce moment précis. Celui où elle n’a plus tenu. Et où, pour la première fois, elle l’a médicamenté. Juste un peu. Pour qu’il s’assoie.
Élodie se souviendra, sûrement, de ce courrier du Palais Royal. Celui qu’elle avait reçu quand elle croyait encore que le combat pour le Corto pouvait aboutir. Elle pouvait, si elle le souhaitait, faire appel à un avocat. Le papier peint aura cédé. Charline l’aura gratté, Nolan l’aura suivi, Isaline aura crié.