Jury central : plus de candidats, pas plus de moyens

par et

Photo réalisée à l'aide de l'intelligence artificielle

Photo réalisée à l’aide de l’intelligence artificielle

Décrocher ses diplômes du secondaire sans passer par l’école traditionnelle, c’est la promesse du jury central. De plus en plus de jeunes choisissent cette alternative pour obtenir le certificat d’enseignement secondaire supérieur, le CESS. Cette année encore, le nombre de candidats a augmenté de près de 30%, passant de 1.059 inscrits en 2024 à 1.368 en 2025.

À l’heure où certains élèves de 6e secondaire préparent assidûment le CESS sur leurs bancs d’école pour juin prochain, d’autres avaient déjà le nez dans leurs copies en février pour le deuxième cycle d’examens du jury secondaire 2024-2025.

Mêlant autonomie, flexibilité et exigence, ce jury central enregistre un nombre croissant de participants depuis des années. Entre 2016 et 2024, leur nombre a doublé, passant de 1298 à 2622 inscrits, toutes options confondues.

Un taux d’échec conséquent

Pourquoi les jeunes ont-ils davantage recours à ce parcours pour obtenir leur CESS ? « Bonne question« , s’interroge Cindy Renard, directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. De mémoire, elle n’a pas le souvenir d’une étude réalisée sur les motivations étudiantes et elle attend avec impatience les conclusions de l’analyse qui a été lancée cette année pour la première fois depuis l’apparition des jurys de l’enseignement secondaire en 1864.

Décrochages scolaires, redoublements, concurrence de l’enseignement à domicile ou encore nécessité de conjuguer des études à une activité professionnelle. Alors que les analyses définitives sont attendues prochainement, les résultats provisoires pointent déjà certaines difficultés étudiantes. A l’image de celles qu’a connues Madelaine De Schutter, diplômée du jury en 2023. « Après une phase dépressive, qui m’a fait décrocher et qui m’a éloigné de l’école, j’ai raté ma 5e secondaire. Je ne me sentais pas bien dans mon école, je trouvais les enseignants trop sévères. Pour ne pas changer d’école et perdre un an de plus, j’ai passé mon CESS avec le jury central. »

Cette trajectoire n’est pourtant pas un long fleuve tranquille. Même si le jury central séduit de plus en plus de jeunes, sa difficulté est souvent sous-estimée. « Beaucoup s’inscrivent sans se rendre compte de l’ampleur du travail. Il y a peu de temps entre l’inscription et les examens, et la matière est énorme. Certains abandonnent en cours de route. D’autres passent seulement une ou deux épreuves à la fois« , souligne Labiba Deckers, membre de l’ASBL EAD (Enseignement à Domicile). Les résultats des épreuves pour le premier cycle d’examens de l’année 2024-2025 valident ce constat : hors absentéisme, le taux d’échec s’élève à 76,8%. « Les correcteurs parlent souvent d’un manque de préparation des candidats mais ils ne se rendent pas compte que ce sont deux ans de matière à restituer« , insiste Cindy Renard.

« Il s’agit de la faillite de l’enseignement public », tranche nettement Constantin Ullens, un des co-directeurs de l’école du Bois Sauvage, une école privée qui prépare au jury général pour le Certificat d’études du 1er degré (CE1D), le Certificat d’études du 2e degré de l’enseignement secondaire (CE2D) et le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (C.E.S.S.) pour le 3e degré de l’enseignement général.

Fabrice Aerts-Banken, directeur adjoint de la Direction générale de l’Enseignement obligatoire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, relativise ces propos et souligne la faible proportion d’élèves concernés. « Si vous rapportez les 4 000 candidats du jury secondaire aux 900.000 élèves qui sont dans le système traditionnel, ce n’est pas grand-chose. […] Ça ne représente que 0,4%. » Si ce chiffre de 900.000 correspond à l’ensemble des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles qui pourraient envisager la voie du jury lors de leur parcours scolaire, ce ratio diminue légèrement lorsque l’on ne prend en compte que les élèves du secondaire. Sur un total de 388.840 élèves inscrits dans le secondaire traditionnel en 2023, le jury du même niveau d’études comptait 3.877 candidats, soit une proportion proche de 1 %.

Pas de budget supplémentaire

Pour intégrer le jury du secondaire, plusieurs voies d’accès coexistent. Certains optent pour des écoles privées qui préparent au cursus avec des frais d’inscription qui varient de 300€ à 1.200€ par mois. D’autres se forment via l’enseignement à domicile. D’autres encore apprennent en autonomie et tablent sur l’e-learning proposé par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour acquérir les compétences nécessaires. C’est le cas de Nell Hurdebise, qui a dû quitter les bancs de l’enseignement traditionnel pour réaliser son rêve dans la danse. « Pour math et néerlandais, je trouvais que les matières dans l’e-learning étaient moins complètes qu’aux examens. J’ai passé les épreuves à trois reprises, et elles se sont toujours soldées par des échecs. »

La directrice des jurys de l’enseignement secondaire pour la Fédération Wallonie-Bruxelles connait ces lacunes mais son service manque de moyens pour les améliorer. « On prévient les participants que les modules d’e-learning pourraient ne pas être suffisants. On essaye de faire de notre mieux pour les mettre à jour. Tout ce qui peut être mis en place est mis en place. Mais sans moyens supplémentaires, nous sommes limités. On alerte le cabinet de la Ministre depuis plusieurs années mais rien ne change« . Constantin Ullens, co-directeur de l’école du Bois Sauvage, abonde dans le même sens. Pour lui, « ce service devrait être amélioré. Pour préparer les cours de l’e-learning, qui concernent un paquet d’élèves, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’a besoin que de trois profs. En comparaison avec les coûts d’enseignement à l’école, ça ne coûte pas cher !« 

Si le Cabinet de la Ministre de l’Éducation et de l’Enseignement Valérie Glatigny, contacté à plusieurs reprises, n’a jamais répondu à nos questions, la situation pourrait ne pas évoluer. Du côté de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le message de Fabrice Aerts-Banken est limpide : « augmenter les moyens n’est pas la première des options. Notre priorité, cela reste que les jeunes se scolarisent dans l’enseignement traditionnel, et qu’en cas de décrochage scolaire, ils puissent obtenir leur CESS via le jury central ».

Nouveau sur Mammouth

"Nous, on travaille"
Bruscope, une revue pour comprendre les enjeux sociaux bruxellois
Chaque cause en son temps
Regarde Charleroi dans les yeux