Mystère, étoile montante du drag à Bruxelles

Rencontre avec une drag queen engagée

par

Clara Ligot

Rencontre avec une drag queen engagée

Clara Ligot

La jeune drag queen Mystère incarne une nouvelle génération d’artistes bruxellois qui mélangent créativité, humour et engagement. En à peine un an de performances, elle s’impose comme une figure montante du drag bruxellois, repoussant les frontières du genre et offrant une réflexion sur la société.

Lorsqu’il n’incarne pas Mystère, son personnage de drag queen à l’univers clownesque, Hugo, 22 ans, est étudiant en sciences politiques. Depuis ses débuts sur scène il y a moins d’un an, Mystère s’impose déjà comme l’une des étoiles montantes du drag à Bruxelles. Son look est unique : make-up de clown féminin, boule à facettes, talons à plateformes et costumes faits main. Dans un climat où les identités LGBTQIA+ font encore débat, Mystère incarne un drag à la fois artistique et engagé. À travers ses performances, elle interroge les codes sociaux et repousse les frontières du genre.

Hugo, l’artiste derrière Mystère, sans son maquillage de drag queen
Le visage d’Hugo, étudiant en sciences politiques, avant de se transformer en Mystère, une drag queen aussi pleine de revendications que son créateur.

Pour toi, qu’est-ce que c’est le drag ?

Pour le résumer assez simplement, le drag c’est l’art queer de jouer avec le genre et avec le corps. Jouer avec le corps, parce que c’est souvent lié à la performance scénique : danse, chant, lipsync, etc. Et genre, parce que c’est jouer avec les codes du genre. Les drag queens sont très connues et jouent avec les codes de la féminité. Mais il existe également des drag kings qui jouent avec les codes de la masculinité. Et à Bruxelles, on a aussi beaucoup de drag queers qui jouent avec le genre en général et qui ne se mettent pas dans une définition de masculin ou féminin.

Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans le drag ?

Cela fait très longtemps que j’adore le drag. Je l’ai découvert grâce à l’émission RuPaul’s Drag Race, une téléréalité célèbre aux États-Unis, et désormais dans le monde, qui a vraiment contribué à populariser le drag. J’avais 16 ans et cette émission m’a fait beaucoup de bien car on y voyait des personnes queer, des personnes comme moi. Et puis, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’ai commencé à aller voir des shows. J’y ai rencontré Mentalo, qui faisait déjà du drag et m’a un peu poussé à sortir en drag à mon tour. Au début, on se maquillait seulement et on allait voir des shows. Puis au bout d’un moment, je suis monté sur scène moi aussi.

Qu’est-ce qui rend la scène drag bruxelloise et belge unique ?

La scène drag bruxelloise, c’est d’abord une scène ultra bienveillante, où de plus en plus de nouvelles personnes s’essayent au drag, dans un environnement diversifié et vraiment accueillant. En Belgique, le drag reste aussi très humble et créatif. Il est donc moins dans l’obsession des paillettes et du look de star comme on peut le voir aux États-Unis depuis RuPaul’s Drag Race. Ici, c’est axé sur l’art, le message, et la liberté d’explorer d’autres univers.

Peux-tu préciser ce que cette diversité signifie concrètement ?

À Bruxelles, la scène est vraiment diversifiée, et on veille à ce qu’il y ait de la place pour tout le monde. Cette diversité va des drag kings du collectif Barakakings, aux artistes freaks explorant les thèmes de l’horreur et de la monstruosité, jusqu’aux collectifs comme Peaux de Minuit, qui offrent une visibilité aux personnes racisées dans un milieu qui reste majoritairement blanc, il faut l’avouer. Tout cela se mélange, chacun s’invite dans l’univers des autres. Aussi, de nombreux de shows intègrent des revendications politiques. C’est donc cette bienveillance, cette diversité, et cet engagement qui rendent la scène drag belge unique.

Place maintenant à la question bateau du journaliste : le drag est-il politique ?

D’un côté, j’ai envie de dire oui, car le simple fait qu’on existe crée débat. Si on regarde les plateaux en France par exemple, dès qu’une drag queen fait une apparition publique, on parle de « wokisme » et d’endoctrinement des enfants. Nos existences et notre travail sont politiques parce qu’on n’a clairement pas encore notre place. Je pense aussi que beaucoup d’entre nous dans la communauté sont très politisés, et que nous avons un peu dû le devenir, car nous avons des revendications non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les autres. Et finalement – c’est mon côté étudiant en sciences politiques qui parle – qu’est ce qui n’est pas politique ? J’ai une performance notamment qui parle du genre masculin qui peut être très toxique et violent, et une autre en préparation sur la montée de l’extrême droite. Donc oui, je pense que le drag est politique, même si cela reste un concept large et peut parfois vouloir dire tout et n’importe quoi.

Nos existences et notre travail sont politiques parce qu’on n’a clairement pas encore notre place.

Comment réagis-tu à la montée des discours haineux et des mouvements extrémistes en Europe ? L’art en est-il influencé ?

Ah oui, il en reste très influencé parce qu’en fait on réagit. Il y a vraiment un climat ambiant où les personnes queer et surtout les personnes trans et non-binaires sont le bouc émissaire de l’extrême droite. Et ce qui est très énervant dans ce débat, c’est qu’on ne nous laisse jamais la place et la parole. Par exemple, suite au sketch queerphobe du Grand Cactus [NDLR : En septembre 2024, un sketch du Grand Cactus parodiant les identités trans et non-binaires a suscité des critiques et des plaintes auprès du CSA, conduisant la RTBF à présenter ses excuses], ou encore la polémique des drag queens présentes à la cérémonie d’ouverture des J.O., on ne nous a jamais invités sur un plateau télévisé pour créer un dialogue et donner notre avis. Il suffit que chacun fasse un pas vers l’autre : à nous d’aller vers ceux qui ne nous comprennent pas, et à eux de faire l’effort de s’intéresser.

Comment Mystère joue-t-elle avec les normes et les codes sociaux ?

Je pense qu’au départ, Mystère a beaucoup brisé les normes pour Hugo, dans le sens où elle m’a vraiment permis de jouer avec mon genre à moi. Elle brise les normes rien qu’en existant, parce que le drag n’est pas dans les normes. Et puis c’est surtout en performance et parfois aussi par message.  Elle essaye de mettre du flou sur le genre dans le sens large, et sur le genre qu’elle représente. Elle a clairement un genre féminin avec les habits qu’elle porte, son make-up et ses attitudes. Mais j’aime aussi beaucoup jouer avec l’androgynie car je n’ai pas forcément envie qu’elle se résume simplement aux codes de la féminité. Parce que c’est possible, on peut jouer avec tout et c’est très drôle. Au final, le genre c’est une performance. Judith Butler, une philosophe américaine, explique d’ailleurs que chacun est en quelque sorte une drag queen en adoptant les codes du genre qui lui ont été assignés.

Quel regard portes-tu sur ton avenir en tant que drag queen ?

J’ai surtout envie que ça dure ! Cela fait moins d’un an que j’ai commencé la scène, et le drag est un art dans lequel je me sens vraiment bien, qui a ravivé ma créativité. J’aimerais trouver un métier compatible avec le drag, car pour l’instant, en Belgique, il ne permet pas d’en vivre. Je souhaite pouvoir continuer à l’explorer longtemps.

Au final, le genre c’est une performance.

Mystère, maquillée et prête à monter sur scène
« Mystère a clairement un genre féminin avec les habits qu’elle porte, son make-up et ses attitudes. Mais j’aime aussi beaucoup jouer avec l’androgynie car je n’ai pas forcément envie qu’elle se résume simplement aux codes de la féminité. »

Nouveau sur Mammouth

L'internat, une alternative pour les jeunes
Avenir incertain pour LaVallée
Petites maternités en danger
Étudiant : quel vélo choisir ?