crédit photo : @Long covid Belgium
« Covid long nous existons Belgique« , derrière le nom d’un groupe Facebook se cache une désillusion. Celle d’une prise en charge défectueuse par le corps médical, couplée à un trajet de soin inadapté. Ses membres s’appellent Léo, Candice ou Fanny et leurs vies ont basculés depuis une infection au covid-19 dont ils ne se sont jamais remis.
« Mon médecin ne comprend pas et ne me donne pas d’explications ». Le témoignage de Fanny reflète la réalité de nombreuses personnes atteintes d’un covid long. Lorsque l’on tombe malade, un réflexe naturel est d’aller chez le médecin. Un problème émerge lorsque celui-ci ne sait pas de quoi vous souffrez. Si le manque d’information et de compréhension s’approfondit, un second réflexe est de changer de médecin. Et si ce dernier ne sait pas non plus, on change encore et encore, jusqu’à trouver celui qui écoutera, et qui saura. Cette recherche constante, c’est l’errance médicale. « J’ai vu comme tout le monde 36 000 spécialistes de covid long ou autres », lance ironiquement Léo. Même constat chez Candice. « Je continue encore aujourd’hui à me rendre à de multiples rendez-vous médicaux qui souvent ne mènent pas à grand-chose. Les différents médecins se renvoient souvent la balle, sans pour autant trouver quoi que ce soit ».
Le corps médical se révèle souvent impuissant face à ces malades, confirme le docteur Marc Jamoulle. « Le problème, c’est qu’avec le COVID, ce qu’on pense, c’est un peu tout et n’importe quoi puisque le patient présente un ensemble de symptômes qui ne rentrent pas dans la connaissance habituelle », explique ce médecin traitant de Charleroi, en ajoutant que « l’association des symptômes de long covid pour un médecin, au départ, ne fait pas sens ». L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a recensé, en 2022, plus de 200 symptômes post-covid. Autant dire que ça peut être tout et rien en même temps. Dans un souci de clarté, l’organisation onusienne a essayé de regrouper les 19 symptômes les plus communs : la fatigue, les difficultés respiratoires, les problèmes de mémoires et de concentration, des douleurs musculaires, etc. Mais le covid long reste encore relativement nouveau. Et développer une meilleure compréhension de la maladie et la recherche de traitements nécessite du temps.
Burn-out et stress comme premier diagnostic
Le constat est clair : les médecins sont démunis vis-à-vis du covid long. Face à un manque de connaissances, certains se limitent à parler de « stress » ou de « burn-out ». « C’est psychologique », entendent parfois les patients. Fanny en a fait les frais. « Les kinés me disent que ces malaises sont dus au stress et que je devrais le savoir depuis longtemps vu que je suis psychologue ».
Du côté de Sophie, le constat est encore plus douloureux. Elle a fait face à quelques médecins qui ne croyaient pas au covid long. « Le pire, ce sont des médecins ou des paramédicaux qui refusent de nous soigner en disant qu’ils n’y connaissent rien ou que ça n’existe pas » confie-t-elle. Pourtant, elle a subi une pneumonie avec épanchement pleural (accumulation de liquide sur les poumons) et les séquelles sont avérées par des examens médicaux. « On n’arrive pas trop bien à comprendre ce qu’il se passe et pourquoi mes poumons sont dans cet état-là. Une chose est sûre, c’est que les dégâts sont faits ».
En attendant une prise en charge et une évolution positive, les malades prennent sur eux et adaptent leur vie à cet état invalidant. Sophie, kinésithérapeute pédiatrique, doit « travailler au sol, car je ne sais plus travailler debout ». Elle a également dû diminuer son temps de travail. Léo, quant à lui, a carrément arrêté le travail. « Je ne travaille plus depuis août 2022 », dit-il. Depuis un an et demi en somme. Il enchaine les certificats médicaux et arrive bientôt à la fin de son quota de congé maladie prit en charge par sa mutuelle.
« Je suis au moins à 6 à 7000 euros de frais »
Cette errance médicale des malades du covid long a aussi un coût financier. Il faut en effet payer tous ces médecins consultés. Si la plupart des malades ont puisé dans leurs jours de maladie comme Léo, d’autres ont quittés leur boulot ou ont pris un mi-temps. Selon une étude menée par l’ASBL covid long Belgique auprès de 700 malades, 17 % des patients ont fait l’objet d’un licenciement, et 6% sont menacés de perdre leur emploi.
Le gouvernement fédéral a décidé en juillet 2022 d’ouvrir un trajet de soin pluridisciplinaire pour aider financièrement les malades. La mesure a été accueillie positivement, mais ces derniers ont vite déchanté. En effet, pour bénéficier du trajet de soin, il faut que le médecin traitant ouvre un dossier « covid long ». A priori, rien de compliqué. Mais l’INAMI dressait un triste constat en décembre 2023 : « Le plus frappant est le fait que la plupart des dispensateurs de soins ignoraient tout du trajet de soins », rapporte-t-elle. Sur 1.032 dossiers ouverts, seuls 90 ont abouti. Une fois la procédure entamée, les malades bénéficient d’une liste de praticiens censés les aider. On y retrouve les psychologues, kinésithérapeutes, ergothérapeutes, logopèdes, neuropsychologues, … Par exemple, au lieu de 18 séances de kiné remboursées par an, les personnes atteintes de covid long en disposent de 60. Sur papier, le trajet de soin proposé est adapté. La réalité est tout autre. Entre bataille avec la mutuelle, des codes à entrer par le personnel médical ne fonctionnant pas ou le refus de ce dernier de les utiliser, le trajet de soin n’est plus une aide, mais devient une corvée.
Faute de remboursement par la sécurité sociale, certains décident d’y mettre de leur poche. « Pour ne pas mentir, je suis au moins à 6 à 7000 euros de frais en comptant les consultations et les médicaments », confie Léo. Dans la famille de Sophie, la chance manque. Là où 35% des personnes ayant eu le covid ont contracté un covid long, chez elle, tous sont touchés. Elle, son mari et sa cadette. Malgré un état de santé précaire, « mon mari doit quand même continuer à travailler, il est mort crevé, au bout de sa vie, mais on doit le faire financièrement ». La santé passe au second plan.
Le trajet de soin, prévu pour 6 mois (renouvelable une fois) ne tient pas compte du temps d’attente pour obtenir des rendez-vous chez des praticiens spécialisés. « Quand on voit la durée limitée du trajet et quand il faut des mois pour avoir un rendez-vous, on arrive vite à la fin » confie un autre témoin. Le ministre fédéral de la santé, Franck Vandenbroucke, exprimait son souhait de prolonger le trajet de soin mis en place sur le plateau de « rendez-vous » sur RTL il y a quelques semaines.
Aller chercher les réponses ailleurs
Face au manque de prise en charge en Belgique, certains cherchent des réponses ailleurs. C’est le cas de Candice, qui a trouvé des réponses au Luxembourg. « Après de multiples examens (test de force, de concentration, d’effort …) passés dans un secteur spécialisé du covid long au Luxembourg, j’ai pu rencontrer une infectiologue. Celle-ci m’a dit que je correspondais à un profil atteint par le covid long ». La prise en charge est-elle meilleure à l’étranger ? Dès l’arrivée du covid-19, plusieurs pays ont lancés des recherches sur le virus et ont rapidement proposés un suivi médical. C’est le cas du Canada, de la France, de l’Angleterre, etc. Nos voisins français semblent mieux lotis que nous. En France, 130 cellules de prise en charge « covid long » ont été crées en 2022.
« La ligne d’arrivée est encore loin »
Sophie regrette sa vie d’antan. « Le plus épuisant, c’est de ne plus avoir le même rythme de vie qu’avant, d’être restreint ». Le sport ? Impossible. La cuisine ? Quand l’énergie le permet. Les soirées ? Hors de question. La vie « normale » semble si éloignée. Les activités sociales se trouvent extrêmement réduites et la compréhension de certaines personnes dans l’entourage s’atténue au fil des refus. Tous les témoins partagent ce sentiment. « Ça reste compliqué de voir les autres continuer leur vie et moi de rester souvent derrière ma fenêtre » confie Fanny. La vie continue et eux restent handicapés par leur maladie, dans l’attente d’un traitement.
D’après le Dr. Jamoulle, malgré des recherches (souvent dans d’autres pays par manque de financements en Belgique), aucun traitement n’a été mis sur le marché. Des médicaments antiviraux sont actuellement en phase de test en Suisse et aux États-Unis.
Dans l’attente d’un traitement, les malades trouvent du réconfort en partageant entre eux, notamment sur les réseaux sociaux où des communautés se sont formées. Des groupes de parole s’organisent aussi dans toute la Belgique. Entre encouragements, témoignages et échanges d’informations médicales, la solidarité entre malades prend tout son sens. « Je ne sais pas si je serai guérie un jour, mais je suis contente de chaque avancée. La ligne d’arrivée est encore très loin », conclut Fanny, avec optimisme.