Photo : Anne Mettlen CC BY NC SA
À l’occasion de l’ouverture de la saison de chasse, Mammouth a chaussé ses bottes et s’est rendu en Communauté germanophone, au cœur de la forêt, où la chasse en battue n’est plus permise. Là-bas, les chasseurs prônent la traque-affût, un procédé encore peu connu en Wallonie francophone.
Un matin brumeux, bottes aux pieds et pommettes rougies par la fraicheur de l’air, nous marchons dans la forêt de Möderscheid, en compagnie de chasseurs avec lesquels nous allons passer une journée. Trois chasseurs, deux dont nous ne pouvons citer les noms pour leur sécurité, ainsi que Patrick Spies, député wallon et lui-même chasseur, ont accepté que nous les suivons pour une traque et chasse à l’affût. Ce sont les méthodes actuellement privilégiées en Communauté germanophone, qui se distingue de ses voisins en optant pour une vision progressiste de la chasse.
Il y a 30 ans, on exerçait quasi exclusivement la chasse à la battue, qui consiste à poursuivre un animal sauvage avec une meute de chiens courants, jusqu’à le perdre ou le tuer. Les chasseurs buvaient parfois dès l’aurore ; certains étaient ivres. Aujourd’hui, tout cela n’est plus imaginable selon René Dahmen, garde forestier et chef de cantonnement de la Nature et des Forêts en Communauté germanophone. La chasse à la battue n’a plus la côte. Elle est peu à peu remplacée par la traque ou la chasse à l’affût, considérées « plus éthiques » et « respectueuses du bien-être animal » par les chasseurs de la Communauté germanophone.
La chasse en battue : ni éthique, ni efficace
Majoritairement pratiquée en Wallonie francophone, en France et en Espagne, la chasse en battue, c’est la chasse traditionnelle telle que on se l’imagine. Elle se déroule collectivement, avec un grand groupe de traqueurs qui rabat le gibier vers une zone où plusieurs chasseurs sont postés pour les abattre. Ce type de chasse peut se dérouler avec des chiens et des cors de chasse. Elle est très anxiogène pour les animaux et impose de fermer les forêts aux randonneurs.
Quand on questionne les chasseurs sur la chasse en battue, on constate directement que celle-ci en met plus d’un mal à l’aise. Parce que dans ce type de chasse, il arrive fréquemment que la balle ricoche et que l’animal soit « mal tiré ». En d’autres termes, l’animal est blessé, mais pas tué. Il est donc exposé à des souffrances, en plus du stress, voire à une longue et douloureuse agonie.
Le tir instinctif de battue s’effectue en effet sur des animaux en mouvement. Il est dangereux car le tireur se concentre sur la cible en mouvement et non pas sur une zone précise où il pourrait « enterrer sa balle », c’est-à-dire la diriger vers le sol.
On reproche aussi à la chasse en battue le nombre de tirs est très élevé qu’elle génère. René Dahmen fait le bilan et prend l’exemple de 4 battues réalisées en 1998 : 13 animaux tués pour 115 balles tirées, ce qui équivaut à 8,8 tirs par animal. Suite à une battue, 30 à 50 % de la viande de gibier va à la poubelle : trop abimées, les carcasses sont impropres à la consommation.
La chasse-affût, la plus slow
A l’inverse de cette pratique, la chasse à l’affût est plus calme et moins violente. Pratiquée en Flandre et en Communauté germanophone ainsi que dans les pays germaniques, tels que l’Allemagne et l’Autriche, Elle s’exerce le plus souvent en solitaire et en silence. Le chasseur est installé dans un endroit fixe en hauteur, appelé mirador ou perchoir, et il attend que le gibier se présente naturellement pour l’abattre. On y entend les oiseaux, le bruit du vent dans les branches glacées.
Alors que nous patientons à l’étroit dans son mirador, Patrick Spies, député wallon et chasseur, nous rappelle que s’il s’agit toujours de tuer du gibier, la chasse à l’affût est la forme de chasse la plus respectueuse, puisque le chasseur abat l’animal en lui épargnant DU stress inutile.
La traque-affût, le compromis ?
La chasse-affût exige patience et immobilité, ce qui ne convient pas à nombre de chasseurs. Certains prônent une pratique qui se situe à mi-chemin entre les deux précédentes : la traque-affût. Les animaux sont mis en mouvement par des traqueurs calmes, provoquant leur déplacement. Les tireurs estiment avoir plus de temps pour tirer. Ils sont placés sur une perche ou une hauteur naturelle.
René Dahmen s’est engagé depuis les années 1990 à réformer la chasse en communauté germanophone. Il a popularisé la pratique de la traque-affût dans son canton et, selon lui, c’est la clé pour développer une chasse qui soit à la fois acceptée par les chasseurs et plus éthique. « La traque-affût, c’est la chasse de l’avenir, car elle combine les aspects positifs de la chasse en battue et de la chasse à l’affût.” D’aucuns affirmeraient que l’avenir c’est, plus simplement, l’absence de chasse.
Il se félicite que le nombre de battues n’ait cessé de diminuer depuis le début de son engagement. Depuis cette année, les battues sont tout simplement interdites dans toutes les forêts domaniales et dans certaines forêts communales de la Communauté germanophone.
Les chasseurs de la région, qui ont demandé à ne pas être identifiés, estiment que ce type de chasse permet de minimiser la souffrance animale, tout en respectant la chaîne alimentaire naturelle. Le risque de manquer la cible ou de provoquer des blessures diminue grandement.
Les chasseurs reconnaissent toutefois que, même pendant une traque-affût, tout ne se passe pas toujours comme prévu. “C’est arrivé qu’un de mes collègues rate un animal qui, pris de panique, s’est précipité dans une clôture. J’ai alors dû tuer l’animal au couteau et mettre fin à ses souffrances. Cette situation m’a hanté pendant un certain temps”, explique Patrick Spies. De telles situations sont beaucoup plus fréquentes lors des battues. Comme le Parlement wallon est compétent en matière de chasse, Patrick Spies apporte son expérience pratique et s’engage pour la fin des battues en Wallonie. Lors de notre balade en forêt, il nous raconte être devenu chasseur sur les traces de son grand-père, par amour pour la forêt. Le député ne peut concevoir sa pratique de la chasse sans une réflexion éthique. Dans son mirador, Patrick Spies nous montre de magnifiques bêtes sans sortir son arme.
Dans la pratique de la traque-affût, toute comme dans la chasse-affût, le nombre d’animaux abattus est faible en regard du nombre d’heures passées sur le terrain. Nous aurons suivi ces chasseurs durant 13 heures dans la forêt sans qu’aucun animal n’ait été abattu. “Ne soyez pas surpris, neuf fois sur dix, nous rentrons chez nous sans avoir tiré. C’est la réalité d’un bon chasseur !”.
Un autre avantage de la traque-affût par rapport à la battue, est qu’elle est plus sécurisée. Pendant une traque-affût, le chasseur ne peut tirer que lorsque l’inclinaison de tir permet à la balle de s’enfoncer dans le sol après avoir percuté l’animal. Ceci permet de chasser sans avoir à fermer la forêt. Les chasseurs mettent en avant cet argument pour faire accepter la chasse au grand public. La cohabitation entre chasseurs, randonneurs et promeneurs n’est en effet pas toujours chose aisée. “Les tensions sont croissantes, il y a un réel besoin de compromis pour une utilisation respectueuse de la nature”, explique un chasseur.
La traque-affût permet d’atteindre les quotas
“La chasse n’est pas seulement un loisir ou un acte d’approvisionnement en viande locale », précise un chasseur, « Il s’agit aussi de protéger la forêt et de réguler le nombre d’animaux dans les zones forestières”. Les chasseurs s’accordent à dire que la chasse est « nécessaire » pour atteindre les objectifs de régulation de populations de gibier. La chasse viendrait combler l’absence de prédateurs, comme les loups, qui jouaient historiquement ce rôle de régulation. Gerhard Reuter, secrétaire du CA d’Aves, ASBL de protection active de la nature, précise : “Trop de gibier détruit la nature, les plantes et organismes sensibles qu’il faut protéger. Nous avons besoin de la chasse”. Cette affirmation reste sujette à discussion, d’autant plus que la profusion de gibier s’explique en partie par leur nourrissage à destination de la chasse.
Dans chaque région forestière, le nombre d’animaux à abattre au cours d’une année est fixé par l’office des forêts. La plupart des chasseurs ne peuvent donc pas chasser exclusivement depuis leur perchoir pour atteindre la quantité fixée, mais ils se réunissent pour des traques-affût, plus efficaces.
Nous attendons deux chasseurs dans leur mirador. L’ambiance est au silence et à l’observation des alentours. Ces deux-là n’ont nul besoin de pratiquer la traque-affût sur leur territoire. Jusqu’à présent, leur activité immobile et silencieuse de chasse affût a été suffisante pour atteindre les objectifs indiqués par le garde forestier. “Mais nous savons aussi que les directives sur le nombre d’animaux à abattre peuvent mettre les chasseurs sous pression selon les zones”, nous chuchotent-ils.
“Les changements climatiques exigent également une adaptation des pratiques de chasse, favorisant les forêts mixtes pour soutenir la biodiversité. Ces forêts doivent être protégées par la régulation des animaux ”, ajoute un chasseur.
Même la traque-affût reste controversée
Plusieurs chasseurs rencontrés ont répété qu’en Belgique, la Communauté germanophone a pris de l’avance dans la réflexion sur une chasse plus éthique : la majorité des chasseurs accordent énormément d’importance au respect des mesures de sécurité, à la protection de la nature et à un abattage le plus digne possible.
Gerhard Reuter confirme que la chasse en Communauté germanophone évolue positivement. Cependant, selon lui, la formation à la chasse devrait inclure un cours sur la manière de traiter un animal abattu. La consommation d’alcool, qui est interdite, doit également être encore plus sévèrement contrôlée, en raison d’un nombre réduit de cas isolés. « La sécurité est ce qu’il y a de plus important à respecter lors d’une chasse, c’est pour cette raison qu’il est nécessaire de suivre une formation très stricte pour obtenir un permis” insiste-il.
Qu’elle soit en battue ou à l’affût, la chasse aura toujours ses détracteurs. Les critiques se multiplient et apparaît une nécessité d’éducation et d’information quant au rôle de la chasse dans l’écosystème forestier, insiste René Dahmen.