Évidence pour ceux qui en souffrent, maladie psychosomatique pour ses détracteurs, l’électro-hypersensibilité (EHS) n’en reste pas moins une souffrance qui peut détruire certaines vies. Plongée dans le quotidien d’une personne atteinte d’EHS, pour qui l’exil s’avère être la seule solution.
Photos : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)
Il est des façades où souffle l’esprit du propriétaire. Celle de Catherine (nom d’emprunt), établie dans la périphérie de Laeken, en fait partie. À l’ombre d’un camping-car tout droit sorti des années 80, affiches et stickers s’y bousculent et sont autant de traces de dix ans d’activisme contre les traités de libre-échange, le nucléaire et, plus récemment, la 5G.
Quand la porte d’entrée s’ouvre, c’est une femme d’une cinquantaine d’années que l’on découvre, tenue brunâtre sur le dos et pantoufles élimées, couleur terre, aux pieds. Poignant de cette couche d’habits, un visage au teint particulièrement frais. « Je viens de prendre une douche » déclare Catherine. « Je le fais chaque matin pour me décharger des ondes. Ce n’est pas miraculeux, mais ça aide. »
« Bienvenue au club »
C’est un rituel auquel elle s’est habituée après s’être auto-diagnostiquée électro-hypersensible en avril dernier. Confinée, l’alors comédienne et scénariste doit passer des heures sur son ordinateur et sent poindre maux de têtes, nausées et une intense fatigue. Des douleurs qui disparaissaient une fois l’ordinateur et le Wi-Fi éteints. « C’est apparu du jour au lendemain, et de manière exponentielle » affirme-t-elle en nous menant à son jardin. « Depuis, ça ne m’a plus jamais quittée… ».
Alors qu’elle déambule pieds nus dans la terre et les feuilles, elle avoue n’avoir compris son mal qu’après avoir été dirigée vers l’AREHS (Association pour la reconnaissance de l’électro-hypersensibilité). « Je leur ai décrit mes symptômes et ils m’ont dit : « Bienvenue au club » ». Selon cette ASBL, l’EHS toucherait plus de 500.000 Belges, intolérants aux ondes électromagnétiques et victimes de symptômes plus ou moins aigus. « C’est difficile à décrire, mais c’est comme si on était électrifiés et qu’on nous plantait un couteau dans le crâne. »
UNE AVANCÉE POUR LES EHS ?
En cette période de généralisation du télétravail et alors que le Sénat se penche sur la reconnaissance de l’électro-hypersensibilité, l’ISSEP (l’Institut Scientifique de Service Public wallon) vient de lancer une étude sur le sujet. L’objectif : « améliorer les connaissances sur les liens possibles entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes de l’électrosensibilité. »
La 5G, folle alliée
De retour à l’intérieur, on découvre le salon qui lui sert de salle à manger-chambre-bureau et dont le désordre ne semble être que le reflet de la vie que les ondes l’ont forcée à mener : « C’est le bordel dans ma vie en ce moment ». Alors, enfoncée dans un matelas où dort paisiblement son chat, elle défend sa cause en égrenant les statistiques, dessinant des graphes et passant du volt par mètre au microwatt par centimètre carré. Un discours précis, renseigné, mais souvent moqué, dénigré et assimilé au complotisme.
Un complotisme dont elle s’en défend et qu’elle estime contre-productif et contraire à ses intérêts. « Ces théories farfelues, elles déforcent notre message qui est de dire que si on supprime les zones blanches, autant nous tirer une balle dans la tête, parce que ce sera invivable. Et pas que pour nous, pour plein d’autres gens ! » précise-t-elle avant d’annoncer : « Et c’est triste à dire, mais grâce à la 5G, au moins, on parle de nous. »
La privation au quotidien
C’est donc de la visibilité que cherchent Catherine et tous ceux touchés par un mal qui, par sa nature, passe sous les radars et est parfois accueilli froidement dans le cercle familial. Un mal qui peut aussi se montrer handicapant sur le marché de l’emploi. « Certains craignent de dire qu’ils sont EHS parce qu’ils perdraient leurs indemnités de chômage, vu que cette maladie n’est pas reconnue ! »
Pendant qu’elle se fraie un chemin dans son séjour câblé et où s’accumulent rapports et études scientifiques sur sa maladie, Catherine énumère les privations auxquelles elle doit faire face. À commencer par sa profession, qu’elle craint de ne plus pouvoir exercer par peur d’être exposée aux ondes. « Je ne peux plus me déplacer. La dernière fois que j’ai pris le train, je me suis réfugiée aux toilettes pour me protéger des téléphones des autres passagers ».
Protection qui passe aussi par une tenue en fils d’argent, qu’elle a constamment sur elle, tout comme son détecteur d’ondes. « J’aimerais bien mettre une petite jupe, être coquette. Mais ce n’est pas possible… Je ne peux plus aller au restaurant non plus, ou dans des festivals, je ne peux presque plus sortir. » Pour elle, ces renoncements sont autant de preuves de la souffrance qu’elle dit endurer et d’arguments face à ses détracteurs.
Demain, dès l’onde…
Après avoir aménagé son intérieur, placé son lit stratégiquement et demandé à ses voisins de réduire leur consommation de Wi-Fi, la cinquantenaire a décidé qu’elle quitterait bientôt Bruxelles. « Il faut que je parte. Sinon, je risque de dépasser un stade d’exposition irréversible » déplore-t-elle . Fin 2020, elle fuira donc au volant du camping-car qu’elle a récemment acquis.
Datant de 1984 et pour l’instant rangé en face de chez elle, ce sera son moyen de locomotion, en quête d’un ailleurs moins exposé. Elle dit vouloir se rendre « là où il n’y a rien », dans la campagne de Saint-Ghislain. « C’est à un kilomètre de la frontière française, et avec d’autres EHS, on va y construire nos propres habitations, loin de tout. »
Au-delà des jugements accusateurs, malgré le manque de consensus scientifique, et même si le cas de Catherine n’est pas représentatif de tous les EHS, l’électro-hypersensibilité n’en reste donc pas moins une souffrance poussant certains à voir la fuite comme seule solution. Un exil en quête d’un kilomètre carré de tranquillité. Histoire de trouver refuge, échapper aux ondes et passer, encore un peu plus, sous les radars.