Le débat sur le profilage racial est lancé en Belgique, mais pour avancer, les plaintes enregistrées doivent refléter la réalité.
Photo : Sara Brarou (CC BY NC ND)
Le 25 octobre dernier je me suis rendue à Liège pour assister à un débat sur le profilage racial animé par les organisateurs, deux juristes mais aussi par Joshua, victime de racisme lors d’un trajet SNCB qui a fait le buzz sur les réseaux. « Si vous n’êtes pas content, retournez à Kinshasa » phrase clé de la vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux en moins de 24h. Aujourd’hui, plus besoin de vous présenter les faits ou de débattre sur la validité ou non du ticket de train de Joshua, là n’est pas la question. L’heure est à la sensibilisation. Dix jours après l’altercation, le débat organisé par le « Cercle des Étudiants Africains et Amis » de l’Université de Liège a attiré plus de 50 participants, majoritaiment racisées -personnes non-blanches- et une seule personne blanche.
Cette faible participation de personnes non-racisées m’a interpellée. Est-ce que la problématique n’intéresse pas les personnes non-racisées ? Ou veut-on éviter de tomber dans du whitesplaining commun (une personne non-racisée qui explique ce qui est raciste ou pas, à une personne racisée) ? Je pose la question au groupe, on me répond cash : « Si déjà, entre nous les noirs, on ne s’entend pas et qu’on ne se met pas d’accord, ça ne sert à rien. »
Au fil des minutes, certains prennent le micro et partagent leurs expériences, auxquelles tous s’identifient. C’est là qu’émerge un sentiment de défaitisme profond. On regrette de façon générale le dysfonctionnement de la justice belge « parce qu’au final, même si je porte plainte, ça ne sert à rien », lance une fille du public. Une vision largement partagée dans la salle.
Les chiffres confirment leur version. Depuis plus de 25 ans, Unia lutte contre la discrimination et prône l’égalité des chances. L’institution publique sensibilise les citoyens, récolte des témoignages sur des faits de discrimination et accompagne les victimes dans leurs démarches en justice. Impératives, les preuves manquent souvent, nous confirme Lode Nolf, chef de la Communication d’Unia : « sur 2198 cas recensés, 50% sont classés sans suite, faute de preuve, ou ne tombent pas dans le champ d’application de la loi qui lutte contre la discrimination ».
Pourtant, ne pas porter plainte contribue à déformer la réalité du quotidien. Cette retenue ne reflète pas la fréquence de ces attaques personnelles et diminue le nombre de dossiers qui atterrissent au Parlement.
Sur le chemin du retour vers Bruxelles, j’ai moi-même (précision : je suis d’origine maghrébine) eu le sentiment de subir un délit de faciès. Ironie du sort, la scène se passe à nouveau dans un train de la SNCB. Assise dans un compartiment de quatre personnes avec à côté de trois hommes noirs, deux contrôleurs se dirigent directement vers nous pour exiger nos billets, sans prêter attention aux autres passagers de la rame. Un de mes voisins de route me dit avec un sarcasme palpable : « Ils ont commencé par nous, on se demande bien pourquoi ? »
Certains comportements ou paroles dénotent d’un racisme ordinaire, voire structurel. Parce qu’il ne faut pas adhérer aux idéologies du Vlaams Belang ou d’Eric Zemmour pour faire preuve de racisme. Inconsciemment, l’imaginaire collectif partage des stéréotypes raciaux construits et nourris par des idées véhiculées par des films, la littérature ou les publicités… Dire d’une phrase incompréhensible que « c’est du Chinois », c’est raciste. Parler de « geishas », de « gazelles » ou de « panthères noires », c’est raciste. Qualifier nos cheveux de « différents » de la norme blanche dominante, c’est raciste. De nombreux préjugés s’entendent au quotidien. Il faut les identifier et les déconstruire pour abolir ce racisme structurel.
Rappelons que si vous êtes victime ou témoin de discrimination, Unia a mis en place un numéro gratuit : 0800 12 800.