Pour l'amour des lectures oubliées

Bouquiniste flamand du centre de Bruxelles, Frederik Deflo s'est installé depuis plus de vingt ans sous le regard bienveillant de l’Église du Béguinage. Il propose, à une clientèle fidèle, une collection d’ouvrages impressionnante, fruit d’années de pérégrinations littéraires.

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Photos : Divine Posadinu (CC)

Bouquiniste flamand du centre de Bruxelles, Frederik Deflo s’est installé depuis plus de vingt ans sous le regard bienveillant de l’Église du Béguinage. Il propose, à une clientèle fidèle, une collection d’ouvrages impressionnante, fruit d’années de pérégrinations littéraires.

Photos : Divine Posadinu (CC)

« Un petit vieillard aux yeux doux/ Me fit un grand salut baroque/ Et j’eus l’étrange sentiment/ De vivre un très ancien moment/ Fort éloigné de notre époque/ Je marchandais un vieux bouquin/ Dont la reliure en maroquin/ Gardait l’odeur des chambres closes. ». « La petite boutique » chantée par Edith Piaf ressemble, à l’abord, presque trait pour trait à l’atypique librairie « Het Ivoren Aapje » et son propriétaire accort à l’allure shakespearienne, Frederik Deflo.

Portrait Frédéric Deflo
Frederik Deflo échange volontiers sur ses dernières lectures avec ses clients.

Les années 2000 n’ont jamais franchi le palier de la boutique. Ouvrir la porte en bois usé et à la peinture écaillée invite à un voyage sensoriel inédit, dans une époque à la fois fanée et vivace. Le parfum singulier du papier vieilli se mêle à celui du café que Frederik Deflo sirote dans une tasse en porcelaine d’antan, le tout orchestré par un air de musique classique craché par un transistor. La chevelure éparse et désordonnée, la barbe hirsute et la veste en velours nonchalamment boutonnée de Frederik se mêlent parfaitement au décor, comme si ce personnage intriguant appartenait à cet espace figé dans le temps, sans potentialité de le retrouver ailleurs dans la ville. Les tableaux chinés dans les Marolles côtoient les bibelots amoncelés ça et là comme les recueils de poésie ou les essais philosophiques qui embrassent presque le plafond. Des lampes de style rococo dorent la scène.

Genèse de « Het Ivoren Aapje »

Avant de jouir de la compagnie des lecteurs bruxellois, Frederik Deflo a essuyé un cuisant échec auprès du public anversois : « Au début des années 90, j’achalandais ma bibliothèque personnelle de précieux ouvrages et, égoïstement, je ne partageais pas mes meilleures découvertes avec les potentiels clients de ma librairie à Anvers. J’étais un commerçant négligeant, je ne peux en vouloir qu’à moi-même. » déplore-t-il, même s’il est aujourd’hui plus épanoui dans sa tanière au charme suranné. L’œil scintillant de l’ancien étudiant en Histoire se pose ainsi quelques années plus tard, par pur hasard, place du Béguinage, juste assez isolée pour rester un bijou confidentiel pour bibliophiles.

Frederik Deflo devant sa librairie
Le côté mystérieux de la librairie est cultivé par son propriétaire.

Plus qu’une bouquinerie désuète

Le bâteau n’a jamais pris l’eau grâce à un cénacle de lecteurs passionnés et connaisseurs. « Ma proposition est simple : un miroir vers le passé. Les livres proposés ne sont plus édités depuis des lustres, les auteurs inconnus ou méconnus. Je les fais un peu renaître en soufflant sur la poussière qui les recouvre. Un lecteur qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle et un crève-cœur pour moi » précise Frederik Deflo. Il endosse avec plaisir le rôle de passeur de lectures auprès du moindre passant curieux des richesses de la vitrine. Des profils d’amateurs hétéroclites traversent la vie de libraire de Frederik et le marquent dans sa chair : « Je suis un peu un psychologue littéraire. Un jeune homme passe un jour, le regard éteint, en demandant si je possédais des livres d’amour. Incrédule, je souligne tout de même que tout ici est amour. Il avait en fait une peine de cœur finalement soignée par mes soins grâce au poète allemand Rilke. Il est sorti d’ici beaucoup plus léger. » s’amuse-t-il.

En plus d’être l’orphelinat des livres égarés, « Het Ivoren Aapje » est le reflet de l’âme de Frederik Deflo. Être reçu dans cette étrange bâtisse équivaut à pénétrer dans sa vie et surtout son bien le plus cher : sa bibliothèque.

Vitrine bouquiniste portrait
La vitrine de « Het Ivoren Aapje » évolue au gré des lectures des clients fidèles.

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