Boutiques désertées, factures qui s’accumulent et faillites inévitables. Tel est le lot de nombreuses enseignes en ces temps de crise sanitaire. Presque tous les secteurs semblent avoir souffert. Et pourtant, un marché parvient à tirer son épingle du jeu, en revendant ce que d’autres ne veulent plus.
Photo : Xander Vlassenbroeck (CCBY NC SA)
Il est 15 heures dans le centre de Wavre, le temps est gris et humide et les passants peu nombreux. Dans la ville, une atmosphère maussade règne depuis le début du second confinement. Au loin, les cris des enfants qui sortent de leur journée d’école rappellent une vie insouciante qui s’efface peu à peu dans les souvenirs. Dans les rues, les signes « liquidation totale » et les rideaux de fer fermés se succèdent, dessinant une ville quasi-fantôme, au commerce endormi. Parmi eux, seuls quelques-uns s’en sortent sans trop de soucis, dont le magasin Oxfam.
Un argument, le prix
Passé le seuil de la boutique située Chaussée de Bruxelles, on se retrouve au milieu de dizaines de racks de vêtements soigneusement triés par les bénévoles de l’association. Ici, on trouve de tout : des robes de soirée aux chaussures pour enfants, des vestons pour homme aux jouets en tous genres. L’assortiment est varié, l’étalage, propre, éclairé par un austère néon blanc et les prix, accessibles. 10€ pour une robe, 4€ pour un foulard, et ainsi de suite. Christiane, bénévole depuis huit ans, explique que les prix sont gardés au plus bas pour ne pas discriminer. Même si parfois elle fait de vraies trouvailles parmi les dépôts. « J’ai vendu un foulard Burberry en parfait état hier, pour 4€, comme les autres. » Sur les sites de seconde main de luxe en ligne, il aurait pu trouver preneur pour dix fois ce prix, mais cela va à l’encontre de la mentalité de l’organisation, qui veut permettre à tous de s’habiller décemment. Ici, on vient pour les bas prix.
Acheter, un geste caritatif
Dans le magasin qui a déménagé pour faire face à la demande croissante, les valeurs d’Oxfam trônent partout : l’humanitaire et l’égalité. « Tout ce qu’on vend vient de dons », explique encore Christiane. Derrière le comptoir, le tri s’organise dans un garage rempli de marchandises. Ce qui peut être vendu reste au magasin, le reste ira au CPAS de Wavre ou au recyclage. Le personnel est entièrement constitué de volontaires, un gros atout pour Oxfam dans ce secteur de la vente aux coûts salariaux élevés. Les recettes des ventes financent le loyer et les charges, et les bénéfices sont reversés à l’organisation mère pour mener à bien ses actions humanitaires.
Le boom de la seconde main
Dans les Marolles à Bruxelles, un paysage similaire se dessine. Près d’une quinzaine de friperies s’y font concurrence. Spécialisées dans la fripe au kilo, la mode des 70’s, le vêtement ancien, ou plus généralistes, elles connaissent chacune un relatif succès. Selon l’Institut Français de la Mode, le business de la seconde main représenterait ainsi près d’un milliard d’euros en 2018 rien qu’en France. La tendance est similaire en Belgique. « Les clients viennent chercher une qualité qui a disparu dans le neuf. » Laura a lancé il y a deux ans sa boutique de vêtements du début du 20ème siècle. Dans l’atelier, elle répare et recoud les pièces et leur redonne vie. Chez elle, c’est quelque chose d’original et d’unique que vient chercher une clientèle lassée de la fast-fashion.
Unanimement, les commerçants disent ne pas ressentir d’effets négatifs suite à cette concurrence. Il y a en effet de plus en plus de magasins de ce type. Mais selon eux, ceux qui y perdent sont les commerces classiques et les grandes chaines internationales. Dans les friperies, la marchandise est abordable pour le commerçant qui fixe ensuite ses prix. C’est souvent au poids que se fournissent les magasins, qui contrôlent ainsi leur budget facilement. Seul le loyer et les salaires viennent s’ajouter aux frais. La demande augmentant constamment, les ventes sont en croissance continue.
Acheter pour revendre
Parmi tous les acheteurs croisés dans les friperies, certains fouillent inlassablement, à la recherche de la perle rare. Pas pour eux, mais pour Vinted. L’application de vente entre particuliers lancée en 2012 connaît un essor sans pareil et compte 1,75 million d’utilisateurs en Belgique. Certains se plongent ainsi dans les bacs à 2 euros, chez les Petits Riens par exemple, afin de trouver une pièce qu’ils revendront parfois jusqu’à dix fois plus cher ensuite. C’est un réel business qui se développe. « Ce top, je ne le porterais pas, mais sur Vinted, ça va partir direct. » Malgré la logistique nécessaire pour préparer l’envoi, les plus futés peuvent se faire un revenu complémentaire considérable grâce à leurs trouvailles.
Ce nouveau mode de consommation n’est donc plus uniquement privilégié par les plus démunis. Pour certains, il est devenu un style de vie à part entière ou un juteux business. Et malgré les réticences de certains, le marché n’est pas près de s’essouffler. H&M, deuxième entreprise mondiale de la mode, a récemment investi deux millions d’euros dans la société suédoise de seconde main Sellpy. Il semblerait donc même que les géants du secteur suivent la tendance. De quoi réduire leur lourd impact environnemental et social ?