Entretien avec un ancien parrain
Photo : Pierrot Lespagnard
À 91 ans, le papy braqueur le plus connu du pays revient, un brin nostalgique, sur sa carrière de gangster. Douze condamnations, vingt-huit ans derrière les barreaux. Celui qu’on appelait le parrain n’a qu’un seul regret : ne pas avoir été un père présent. Dans un entretien exclusif qu’il accorde à Mammouth, il revient sur sa vie de braqueur, sans un mot pour ses victimes.

Avant d’entrer dans ses confidences, découvrez le portrait de Marcel Habran qui retrace son parcours.
Y a-t-il un moment où l’on se dit : « je vais entrer dans l’illégalité » ?
Progressivement. Tu commences par faire des bêtises sans conséquence judiciaire…Une bagarre dans mon cas. Puis, tu te retrouves en prison avec des gens qui t’apprécient, qui voient que tu n’es pas un lèche-cul. Ces gens ont un autre pedigree que toi. Tu les revois, tu les fréquentes, tu apprends des choses et tu deviens finalement comme eux. C’est le danger de la prison… Malheureusement, elle n’est pas un centre d’éducation. Comme il n’y a plus de place, c’est totalement contre productif pour la société.
Quand décide-t-on de faire un casse ? Quand on n’a plus d’argent ?
Au contraire, quand tu es à l’aise. Quand tu n’es pas obligé de courir pour avoir quelque chose qui demande du temps, de la réflexion. Si t’as faim, tu fais des bêtises. Si tu n’as pas faim, que t’as dix millions devant toi, t’as le temps de bien te préparer. C’est dans ces moments-là qu’on fait les meilleurs coups. Mais parfois, si une grosse affaire se présente, avec vingt millions à prendre, même si t’en as pas besoin dans l’immédiat, tu réfléchis à la possibilité : quoi, comment, avec qui ? Sur les grosses affaires, beaucoup touchent de l’argent, puis partent, dépensent, et tu ne les vois plus. Ils reviennent quand ils sont fauchés. C’est une mauvaise chose, car ils sont pressés.
Une personne de confiance, c’est un ami qui n’a pas besoin d’argent
Comment intègre-t-on une bande criminelle ?
Par réseautage. Comme je l’ai dit, tu vas “bêtement” en prison et tu rencontres des gens. En Belgique et en France, il y a de nombreux personnages intéressants dans ce milieu. Il est tout de même indispensable, pour les connaître, d’avoir une certaine proximité, un peu d’amitié, du respect pour eux. Surtout, il faut savoir comment ils sont avec leurs femmes, si tout se passe bien dans le couple, s’ils leur parlent de leurs activités… On ne s’associe jamais avec quelqu’un qui raconte sa vie à son épouse. C’est difficile, mais il faut tout lui cacher. Sinon, elle devient complice, et le jour où il y a un problème dans le couple, elle menace de te balancer, même si elle peut aussi être poursuivie.

Comment concilier une vie dans le crime, en marge du système, avec une existence ordinaire ?
Tu ne sors pas du système. Tu restes un bon citoyen dans la vie de tous les jours. Une attaque à main armée, ce n’est qu’une question de préparation, et l’attaque ne dure que quelques minutes. La vie continue de la même façon. Un escroc, ce n’est pas pareil… Il est aux abois tous les jours. Mais faire des attaques, c’est ponctuel. Il y a la préparation évidemment, mais en général, ce n’est pas stressant. Enfin si, parfois (rire). À part ça, la vie est normale.
La vie est normale, mais quand on est en cavale, qu’on achète une Ferrari et un château avec l’argent du crime, tout n’est pas si évident ?
Ma maison, je l’ai achetée en France, et la France se foutait de savoir d’où provenait l’argent. Quand je l’ai vendue, je n’ai pas osé déposer l’argent sur mon compte. J’ai alors demandé à mon avocat de sommer l’acheteur de me payer via son compte CARPA (ndlr : Caisse des règlements pécuniaires des avocats). Mon avocat lui a mis la pression, et l’acheteur a in fine envoyé l’argent sur le compte de l’avocat. Et ce dernier a retiré l’argent pour me le donner. J’ai payé mon avocat 600 000 francs belges pour régler l’affaire. Pour trouver l’acheteur, j’avais donné 1 million de francs à un agent immobilier.Quant à la Ferrari, elle ne heurtait pas mes voisins. J’avais un garage rue Winston Churchill à Liège. Les voitures n’étaient donc pas à mon nom. Cette Ferrari, je l’avais payée en liquide à Jupille. Je me souviens d’un gérant de car wash qui pensait que je venais plusieurs fois par jour pour nettoyer ma Ferrari. Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’étaient des Ferraris différentes à chaque fois (rire).
Quand son argent vient du crime, comment passe-t-on sous les radars des autorités fiscales ? On le met à l’étranger ?
Même pas. Garder son argent, c’est un problème moins dangereux que d’aller le chercher, mais plus compliqué. Quand il s’agit de gros montants, tu te moques des intérêts en banque. Tu pouvais le mettre au Luxembourg avec un faux nom, mais c’était risqué. Le plus simple est de faire un trou dans un bois ou un cimetière. Tu confies l’info sur l’emplacement à une personne de confiance. Parce que si tu meurs ou qu’il t’arrive quelque chose, tu perds l’argent.
Si quelqu’un à qui tu fais confiance touche ton argent, tu te retrouves dans le même danger que lors d’un braquage, parce que tu vas devoir le tuer
Il faut choisir quelqu’un de confiance. Comment fait-on ?
Surtout pas ton épouse, parce que c’est une étrangère à mes yeux jusqu’à preuve du contraire. Pour moi, une personne de confiance, c’est un ami qui n’a pas besoin d’argent. Si quelqu’un à qui tu fais confiance touche ton argent, tu te retrouves dans le même danger que lors d’un braquage, parce que tu vas devoir le tuer. Pour éviter ça, je préférais donner 200 000 balles plutôt que de m’essouffler à courir après.
Donc, vous enquêtiez sur vos futurs associés ?
Pas besoin, tu le sens, tu vois les comportements. La difficulté, c’est que tu ne les fréquentes pas toujours. Mais en général, dans les équipes, il y en a deux qui sont très proches. Quand tu te retrouves dans l’action avec ton ami, ça soude les liens. Mais il ne faut pas oublier que les relations naissent dans un contexte où les gens, d’un point de vue moral, ne sont pas admirables. Moi, il y a des règles avec lesquelles je ne transige pas. Pas question de travailler avec quelqu’un qui bat sa femme, qui boit… Tu es certain qu’il y aura un couac.
Qu’est-ce que ça fait d’être connu pour sa carrière criminelle ?
Ça va de soi, ça fait partie du jeu. Je n’ai jamais eu de problèmes à cause de la notoriété. Dans la rue, on m’interpelle parfois : « Monsieur Habran, je vous reconnais ! » C’est toujours très sympathique. Je ris, je ne dis rien. Comme je suis dans les fichiers de la police et, depuis ma condamnation pour le braquage de Waremme, à la disposition du gouvernement, on me contrôle quand je prends l’avion. À l’aéroport de Bierset, un policier m’a dit : « Pas la peine de me dire votre nom, je vous reconnais, je vous ai déjà arrêté. »
Avoir disposé de tant d’argent par le passé complique-t-il aujourd’hui la gestion d’un quotidien plus modeste ?
J’avais de l’argent, je ne me privais de rien. Ceci dit, l’argent part vite aussi. Tu es généreux : tu donnes, tu prêtes beaucoup. L’argent n’a plus de valeur, sauf quand tu n’en as plus. J’ai eu beaucoup d’argent, et aujourd’hui, je ne sais pas dépenser correctement. Je fais mal mes courses, j’achète toujours trop parce que j’ai eu l’habitude de dépenser facilement.
Vous avez passé un tiers de votre vie en prison. Y a-t-il réellement des avantages à vivre comme vous l’avez fait ?
Au-delà du pognon, je n’avais aucun souci : il n’y avait pas de preuve, pas de témoin. Jusqu’au jour où on te balance. Tout repose sur la confiance. Mais à refaire, je ne changerais rien. Mon seul regret est de ne pas avoir pu vivre au quotidien avec mes enfants et de n’avoir pas eu accès à une éducation sérieuse.
Propos recueillis par Pierrot Lespagnard