Slogans féministes, parole libérée, pancartes dénonciatrices, des femmes par milliers. Le 8 mars, c’est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et des minorités de genre. En tant qu’étudiante de bac3 en journalisme, j’avais envie de vous raconter comment s’est déroulé mon 8 mars.
Texte et images : Alexia Diels (Bac3)
En me réveillant ce matin-là, je n’avais aucune idée de la manière dont allait se dérouler ma journée. Tout ce dont j’étais certaine, c’est que je ne voulais pas rester passive face aux différents évènements de ce jour particulier : un 8 mars.
J’avais entendu parler d’une grève féministe à l’IHECS. L’appel à la grève internationale des femmes et des minorités des genres avait été lancé par le collectif « 8 mars ». Le principe était simple : il ne fallait pas se rendre en cours, ne pas travailler, ne pas faire de tâches ménagères et ne pas consommer. Le but étant de montrer que, sans les femmes, le monde s’arrête de tourner. C’est la première fois qu’une telle initiative prend place dans mon établissement scolaire. Et cela fait du bien !
J’arrive à l’IHECS à 9h 30, soit 1h 30 après le début de la grève. Je ne connais personne, mais c’est le moment de faire de nouvelles rencontres. Des cartons, ainsi que du matériel de peinture sont à disposition, permettant à qui le souhaite d’écrire ce qu’elle a sur le cœur. Plusieurs jeunes femmes sont en train de réaliser des pancartes en mauve et blanc. Le violet est la couleur des féministes. Elle a été utilisée pour la première fois par les Suffragettes en 1970. À l’époque, on attribuait aux femmes les couleurs pastels. Elles voulaient aller à l’encontre de ces stéréotypes et ne plus utiliser de couleurs douces.
Je discute avec Juliette, une des organisatrice de la grève. Elle me dit que l’initiative a été lancée suite à une publication sur les groupes Facebook de l’IHECS. Une étudiante, mettait en avant le fait que rien n’avait encore été fait à ce sujet-là dans la Haute-Ecole. Elle proposait à d’autres étudiants de se joindre à elle pour organiser un évènement le 8 mars. Ce projet a rassemblé une dizaine d’étudiants.
L’ambiance est conviviale. On discute de nos revendications et de ce qu’on va faire pendant la journée. Les organisatrices et participantes ont froid ; certaines tremblent un peu, mais elles ne bougeront pas. Elles attendent ce moment depuis tellement de temps, qu’elles ne sont pas prêtes de rebrousser chemin. Les pancartes commencent à prendre forme. On peut y lire : « inclusivité radicale », « fati-gay », « IHECS féminisme », « patriarcaca », « bas les pattes », etc.
Une heure après mon arrivée, il est temps de me rendre au Loft 58, la cafétaria de l’IHECS, pour assister à un talk avec Safia Kessas, journaliste à la RTBF. Elle est à l’initiative du projet « les Grenades », un média féministe qui a vu le jour en 2019. L’échange avec les étudiants est dense. Elle répond à des dizaines de questions sur la place de la femme dans les médias, ainsi que sur les stéréotypes de genre qui l’accompagne.
Lorsqu’on est du sexe féminin, on attend de nous que l’on soit douce, bienveillante, compréhensive,… On nous refuse certaines qualités. Selon la journaliste, cela se renforce lorsque nous souhaitons accéder à un poste de pouvoir. Nous serons plus facilement moquées et attaquées qu’un homme. Ce sont des constructions sociales dont nous devons nous défaire. Safia Kessas propose d’envoyer tout cela balader : « Il y a une destruction à faire, car nous baignons dans un bain qui est sexiste ». Les hommes en encore du mal à accepter qu’une femme puisse être leur supérieur hiérarchique. Et les femmes doivent oser l’être.
Une fois la conférence terminée, je me rends à l’ULB avec une autre étudiante en presse et information, rencontrée plus tôt dans la journée. Nous arrivons sur le campus en début d’après-midi. Nous sommes heureuses de voir que l’évènement a rassemblé plus de monde qu’à l’IHECS. Une prise de parole a été lancée par des étudiantes de l’ULB qui sont également en grève. Les femmes et les minorités de genre sont invitées à témoigner si elles le désirent. Une femme est en train de parler. Elle est en train de rappeler qu’une de leur lutte principale, est l’abolition du système patriarcal. Celui-ci étant encore fortement présent dans nos sociétés. De l’avis de toutes les personnes présentes, il faut déconstruire tout cela.
D’après le Larousse, le patriarcat est : « Une forme d’organisation sociale dans laquelle l’homme exerce le pouvoir dans le domaine politique, économique, religieux, ou détient le rôle dominant au sein de la famille, par rapport à la femme ». La patriarcat est synonyme d’oppression pour les femmes. Elles restent associées aux tâches ménagères, à la garde des enfants, aux métiers de soin, alors que les hommes peuvent plus facilement accéder à des postes valorisés au sein de la société (managers, ingénieurs, experts,…).
Des témoignages poignants se succèdent. La parole est libre, on se sent bien. On s’écoute avec attention. Il n’y a pas de jugement. On se sourit, on retient parfois nos larmes.
Plusieurs femmes disent avoir porté plainte sans que leur agresseur ne soit poursuivi par la suite, souvent par manque de preuves. Une autre fille s’avance et parle d’une agression sexuelle qu’elle a vécue. Elle n’en a jamais parlé auparavant. Sa mère est dans le public. Elle dit qu’elle n’ira pas porter plainte parce que cela ne servirait rien. Que dans tous les cas, elle n’arrivera jamais à prouver ce qui s’est passé.
Cela fait écho à ce qu’une autre fille dit juste après : « Vos meilleurs alliés, ce sont les féministes, ce n’est pas le système carcéral ». Selon Amnesty international, seules 10% des femmes qui sont victimes de viol vont porter plainte. Et cela se comprend : on estime à 53% le nombre de plaintes qui sont classées sans suite. Le manque de preuve étant la raison principale. Alors que lorsqu’on se retrouve entre féministes on se croit, on te croit !
Une femme d’origine maghrébine prend la parole. Elle dit qu’elle ne se retrouve pas dans notre féminisme, que nos combats ne sont pas les siens. Que nous, femmes blanches, ne vivons pas le même type de discriminations qu’elle. Elle a raison. Les femmes racisées ne doivent pas seulement faire face au sexisme. Elles sont également confrontées au racisme. Que ce soit dans le secteur du travail, du logement,… Par exemple, les femmes noires peuvent être victimes de préjugés sur leur sexualité. Amnesty-SOS viol a fait un sondage en 2019. Pour 18% des personnes interrogées, elles auraient une sexualité plus libérée et seraient plus chaudes. Cela les expose d’autant plus à des violences sexuelles.
Quand la prise de parole prend fin, nous décidons de nous rendre dans le centre de Bruxelles. On va chercher quelques bières et on attend avec impatience que la manifestation commence. Elle a été organisée par la Marche mondiale des femmes de Belgique, qui rassemble une cinquantaine d’organisations.
Vers 17h 50, le cortège s’élance depuis la gare de Bruxelles-Centrale. En premier plan, se trouvent des militantes de ROSA, une campagne qui lutte contre le sexisme et l’oppression envers les femmes.
J’y vois des jeunes filles tenant avec hargne une pancarte sur laquelle est placardé : « Fight sexism : equal pay, decent pay, minimum 14 euros ». Faisant référence au fait que les femmes perçoivent un salaire moindre que des hommes qui exercent la même profession qu’elles. Elles crient différents slogans : « Mon corps, mon choix – Pas leurs profits ! », « À qui la rue ? À nous la rue ! », « Les femmes dans la misère, les femmes dans la galère. De cette société-là, on n’en veut pas ! ». Je me joins à elle et la foule aussi. Quelques hommes sont présents, mais en minorité. Nous avançons, tous ensemble. Nous chantons, tous ensemble. Nous dénonçons ce qui nous dérange. Nous bloquons la rue du Mont des Arts. Comme elles le disent si bien, « À nous la rue ! »
La marche dure environ une heure. Nous passons par différentes rues du centre de Bruxelles. On passe devant le skate parc des Ursulines, devant l’IHECS, puis nous revenons au point de départ : le Mont des Arts.
J’y vois une personne brandissant une pancarte écrite en néerlandais. Elle me dit vouloir dénoncer la précarité menstruelle en prison. Selon elle, il arrive parfois que certaines détenues doivent débourser 13 euros pour une boite de tampons. Les protections hygiéniques y sont revendues 6% à 66% plus chères que leur prix de base, obligeant les détenues à faire un choix entre ces protections et d’autres produits d’hygiène.
Une femme transgenre avance avec le cortège. C’est un détail important à notifier. Il pourrait signifier que les minorités de genre, inclues dans les discours du 8 mars, se retrouvent dans les luttes. Ces personnes ne sont pas seulement confrontées au sexisme. La transphobie est également une discrimination à laquelle elles doivent faire face.
Vers 20h, la police demande aux manifestants de libérer la route. Une dame ne veut pas bouger ; elle bloque un bus de la STIB, vide. Un policier la pousse violemment ; des personnes vont contester. Ils finissent par ne plus la toucher. Sur quinze des policiers présents, seuls deux sont des femmes.
C’est l’heure du bilan. Une dizaine de personnes rassemblées à l’IHECS, une soixantaine à l’ULB, environ 4800 à la manifestation. Toutes ces actions poursuivent un même objectif : mettre en lumière les inégalités auxquelles les femmes et les minorités de genre sont confrontées en permanence. Le sexisme, le racisme, le système patriarcal, les bas salaires, le système carcéral défaillant, la précarité menstruelle et la transphobie sont les principaux points dénoncés. De cette journée, je retiendrai quelques slogans, mais surtout des rencontres, de l’échange, du partage, de la sororité, des visages de femmes. Le 8 mars n’est qu’une journée, mais pour elles, le combat continue.
Alexia Diels (Bac3)