L’ASBL Communa, occupera temporairement le bâtiment de la SNCB afin d’y organiser des projets sociaux.
Photos : Renaud Verstraete
Dans chaque ville, il existe des endroits effacés de nos mémoires. Des lieux oubliés, ancrés dans le paysage urbain qui attendent patiemment qu’on leur donne une seconde vie. A deux pas de l’agitation de la Gare du Midi, les passants se promènent avec indifférence devant ces grands volets recouverts de tags qui longent l’Avenue Fonsny. Cela fait un moment que personne ne se soucie plus de cet imposant bâtiment de 1340 mètres carré. Un édifice inoccupé depuis tellement longtemps que peu sont ceux qui se souviennent de sa fonction d’antan. Autrefois, on y triait le courrier. Il y était acheminé par voie postale. Mais depuis 20 ans, il est resté vide, portes closes.
Pourtant, depuis quelques semaines, les grilles sont entre-ouvertes. De l’extérieur, un vacarme inhabituel émane de ce lieu resté longtemps muet. Une odeur de peinture fraîche invite les passants à s’arrêter. Intrigués, ils découvrent des scènes pleines de vie. Une équipe de bénévoles se mobilise pour redonner au bâtiment sa splendeur d’antan. Sous l’impulsion de l’ASBL Communa, ce lieu emblématique est en passe de renaître. Avec une bonne dose d’huile de coude, on peint, on visse, on nettoie, on s’amuse dans un élan de solidarité citoyenne. C’est la dernière ligne droite avant l’inauguration du Tri Postal.
Un projet ambitieux
Même si l’ASBL Communa a déjà eu l’occasion d’organiser des occupations temporaires dans différents lieux, le projet du Tri Postal est sans doute le plus ambitieux. 1340 mètres carrés, une dizaine de projets impliqués, un processus inclusif qui regroupe les acteurs du quartier, les commerçants locaux et les autorités communales et régionales. À la veille de la grande soirée d’ouverture, le chantier avance à pas de géant et l’on commence à deviner à quoi ressemblera cet espace réhabilité pour les 2 années à venir.
Manu est étudiant en architecture à Grenoble et effectue son stage chez Communa. Au cœur du chantier, il coordonne les différentes opérations et se réjouit de l’avancement des travaux. « Ici se trouve le bar. On y vendra des produits locaux. Tout là-bas au fond, il y aura un studio de dance et d’art du corps. À l’entrée, une série d’acteurs de l’insertion sociale comme Douche Flux ou encore Médecins du Monde s’occuperont des personnes marginalisées du quartier. Un peu plus loin, on retrouvera une coopérative de livreurs à vélo, Molenbike, qui propose une alternative à la livraison ubérisée. Au fond, il y aura un espace dédié à la création et à la mutualisation d’outils divers avec un Fab Lab. On aura aussi la chance d’accueillir divers artisans comme ce bijoutier traditionnel berbère du quartier».
18h. C’est l’heure du ravitaillement. Après une longue journée de travail sur le chantier, Maxime Zaït, un des fondateurs de Communa, a la mission de rapporter de quoi remotiver ses troupes. Sur le chantier, malgré la fatigue, le moral est au rendez-vous et on attend avec impatience le retour du coordinateur. Dans les rayons du supermarché, Maxime revient sur les origines du projet du Tri Postal : « Le comité de quartier a lancé une pétition qui a recueilli 7500 signatures pour lancer l’occupation de ce bien inoccupé. C’est un bâtiment emblématique de la ville qui appartient aujourd’hui à la SNCB et qui était inoccupé depuis 20 ans. Nous avons travaillé avec le comité de quartier pour proposer un projet inclusif à finalité sociale. Nous avons remporté l’offre publique en grande partie parce que le projet était porté par et pour les citoyens ».
La rage de changer le monde
En 2023, la SNCB souhaite réinvestir le Tri Postal et y installer son siège. D’ici là, l’objectif de Communa est de permettre aux citoyens de se réapproprier leur propre ville. De reconquérir l’espace afin d’héberger des projets sociaux et solidaires. En quelques jours, le rez-de-chaussée bétonné et poussiéreux s’est transformé en un lieu convivial et accueillant.
Au-delà du résultat final, ce qui importe le plus dans cette initiative est le processus pour y parvenir. Réussir à rassembler les gens autour d’un projet solidaire est sans doute la plus belle réussite du Tri Postal. On assiste à un élan de bénévolat surprenant. Des gens de tous horizons viennent prêter main forte à cet énorme chantier solidaire. Chacun veut amener sa pierre à l’édifice en mettant ses qualités au service du groupe. Pendant que certains terminent l’installation électrique, d’autres peignent ou créent les affiches promotionnelles qui habilleront le lieu. « Cela montre le besoin que les gens ont de contribuer à quelque chose qui a trait au bien commun » résume Maxime Zaït en contemplant le lieu métamorphosé.
L’idée derrière ce projet, au-delà d’occuper temporairement un lieu vide, est de prouver au monde que des initiatives positives peuvent voir le jour, parfois avec des moyens dérisoires. « Le projet du Tri Postal est une véritable démonstration par l’exemple. On veut montrer qu’il est possible de créer des lieux gérés collectivement, d’organiser des chantiers avec des personnes en insertion professionnelle, avec énormément de matériaux de récupération. Nous voulons prouver qu’il est possible de créer sans avoir un plan où tout est défini à l’avance : c’est là que la magie opère ».
Ce soir-là, les bénévoles de l’ASBL Communa travailleront sans relâche pour être fin prêt pour l’inauguration. Certains d’entre eux y seront occupés une partie de la nuit. Ce qui les fait tenir ? Non pas les quelques vivres rapportés en fin d’après-midi, mais bien la rage de changer le monde.