D'où vient l'argent de la mafia italienne en Belgique ?

La criminalité organisée et diverses mafias se développent en Belgique. Parmi celles-ci, la mafia italienne est la plus présente dans le pays. Ces organisations utilisent de nombreux moyens afin de faire circuler des capitaux sur notre territoire. Nous avons interrogé plusieurs experts afin de mieux comprendre leurs mécanismes. 

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Photo: Eneida Nieves

La criminalité organisée et diverses mafias se développent en Belgique. Parmi celles-ci, la mafia italienne est la plus présente dans le pays. Ces organisations utilisent de nombreux moyens afin de faire circuler des capitaux sur notre territoire. Nous avons interrogé plusieurs experts afin de mieux comprendre leurs mécanismes. 

Photo: Eneida Nieves

Six mafias agissent dans l’ombre en Belgique. La mafia turque est présente à Anvers, Verviers, Liège et Bruxelles. Son business tourne autour du trafic d’armes et d’héroïne. La mafia russe, spécialisée dans le vol organisé et l’escroquerie, agit surtout à Anvers et à Bruxelles. La mafia tchétchène sévit à Namur, Mons et Liège. L’extorsion et la récupération de dettes sont leurs deux moyens d’action. La mafia albanaise agit sur l’entièreté du sol belge. Elle est active dans plusieurs domaines : le vol organisé, le trafic de drogues et le trafic d’êtres humains (migration clandestine et prostitution). Présentes surtout à Anvers et à Bruxelles, les triades chinoises puisent leur capital dans le trafic d’êtres humains, le blanchiment d’argent et l’exploitation de main-d’œuvre clandestine.  

Quatre mafias d’origine italienne se distinguent en Belgique : située en Calabre, la ‘Ndrangheta est très violente et active à Anvers, dans le Limbourg et à Liège. Ses comptes tournent autour du trafic de cocaïne et du blanchiment d’argent.

Ensuite, la Camorra, originaire de Naples, sévit dans le trafic de voitures et dans la production de faux billets dans le Hainaut, à Bruxelles et à Anvers. Du côté de la Sicile, Cosa Nostra puise ses ressources dans le trafic de drogues et la fraude sociale. Enfin, moins connue que les autres, la Sacra Corona Unita, originaire des Pouilles, est la moins active en Belgique, mais s’associe avec la mafia albanaise pour le transit de migrants et de drogues.

LA MAFIA ITALIENNE, UN PASSÉ HISTORIQUE

Selon Michel Claise, juge d’instruction financier, les mafias italiennes sont différentes des autres organisations criminelles parce qu’elles se basent sur une histoire et sur une pérennité. « Pour faire partie du clan, toute une enquête préalable est menée par les membres et une prestation de serment est organisée au sein de celle-ci. Cette famille devient plus importante que la famille biologique », poursuit-il. L’une des conditions pour adhérer à un clan mafieux est d’être Italien. C’est donc le même fonctionnement qu’en Sicile. Bart de Koker, expert analytique à la Cellule de Traitement des Informations Financières (C.T.I.F.), ajoute que la plupart des membres en Belgique n’ont pas de liens familiaux directs avec les membres en Italie, mais partagent des affinités géographiques avec des villages ou des villes à grande présence mafieuse en Italie. 

LA BELGIQUE : UN TERRAIN ACCESSIBLE

Ces organisations se sont installées en Belgique car une grande diaspora italienne est présente sur le territoire depuis des décennies et parce que « ce pays reste le carrefour européen avec la présence d’énormes sociétés et institutions qui sont attractives pour toutes les organisations criminelles », explique François Farcy, le commissaire de Mons qui s’est spécialisé dans la criminalité organisée. De plus, la présence du port d’Anvers qui permet de faire arriver de la cocaïne de l’Afrique du Sud, rend la Belgique encore plus attractive.

Selon diverses enquêtes criminelles, les mafieux italiens sont arrivés dans le pays dans les années 1950. Cette période coïncide avec le contexte socio-historique qui a poussé la Belgique à faire appel à l’Italie afin de faire travailler ces concitoyens dans les mines belges. Ces Belgo-Italiens issus de la troisième génération reproduisent des techniques mafieuses, mais ne sont plus des “mafieux” car ils s’associent avec d’autres clans. À la Louvière par exemple, il s’agit de personnes d’origine italienne, turque ou encore maghrébine. In fine, la structure de la mafia en Italie est différente puisqu’en Belgique, elle est composé de « soldats ». 

« La mafia est présente sur notre territoire depuis très longtemps, mais ce n’est que depuis 2007 qu’il y a une réelle prise de conscience de la présence mafieuse sur notre territoire », retrace Bart de Koker. En effet, cette même année, plusieurs règlements de comptes tournent au meurtre en Allemagne. « Lorsqu’un assassinat de cet ordre-là a lieu sur votre territoire, c’est qu’il doit déjà y avoir une grande présence mafieuse. Si on suit ce même raisonnement, on peut en déduire que si la mafia italienne est présente en Allemagne, c’est qu’elle doit certainement aussi être présente en Belgique.» Deux ans plus tard, l’auteur de ces meurtres, Giovanni Nirta, est arrêté. Les soupçons des autorités belges se sont avérés justes : Nirta entretenait des liens directs avec la Belgique.

LA LOI BELGE SUR L’ANTI-BLANCHIMENT DE CAPITAUX

En Belgique, le principe d’anti-blanchiment d’argent est inscrit dans la loi du 18 septembre 2017. L’objectif est de prévenir le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. 

Maître Maurice Krings, avocat spécialisé en droit de société, définit le blanchiment d’argent comme “l’action de détenir de l’argent dont l’origine est illicite, le faire circuler ou aider à la préparation”. Dans 28 cas, cet argent est considéré selon la loi comme une origine répréhensible : la fraude fiscale, le trafic d’arme, l’extorsion de fond, le trafic d’êtres humains, la fraude sociale, etc. 33 entités sont assujetties à la loi anti-blanchiment en Belgique. Par exemple : les notaires, huissiers, avocats et agents immobiliers.

Pour contrer ce genre d’activités, il existe deux volets. Le premier est le Parquet. Les juges d’instruction établissent des dossiers qui permettent de prouver les infractions qui sont reprochées aux trafiquants. Le second, le titulaire de l’une de ces 33 professions assujetties à un soupçon de fraude a l’obligation de le déclarer à la C.T.I.F. (Cellule de Traitement d’Informations Financières). 

L’article 505 du Code pénal punit toute personne ayant connaissance de fraude et de blanchiment d’argent et qui n’aurait pas averti les autorités. La sanction pénale va de 15 jours à 5 ans d’emprisonnement et prévoit une amende de 26 à 100.000 euros.

LE FINANCEMENT DE CES MAFIAS

En Belgique, il n’existe pas de cellule antimafia. Souvent, l’arrestation des membres de clans mafieux est le fruit du simple hasard. La C.T.I.F. est la cellule qui se rapproche le plus de la cellule antimafia en Italie. Elle lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Les banques, principalement, ont pour obligation d’émettre un avertissement auprès de la C.T.I.F. pour tout soupçon de corruption. La Cellule de Traitement des Informations Financières ouvre alors une enquête. Lorsque le soupçon de fraude est confirmé, elle prévient le Parquet qui se charge d’ouvrir une affaire criminelle. Il est extrêmement rare que la Cellule soit directement avertie pour soupçon d’activité mafieuse. Dans 99% des cas, la découverte d’un réseau mafieux est due au simple hasard. Elle reçoit environ 30.000 avertissements par an, mais seulement 20 sont d’ordre mafieux (toutes mafias confondues).

LES TROIS ÉTAPES DU PROCESSUS DE BLANCHIMENT DE CAPITAUX

  • Phase de placement : L’argent, provenant d’une activité criminelle, est placé sur un compte d’une institution financière. Pour justifier la somme d’argent, l’organisation criminelle utilisera l’intermédiaire de casinos ou de pizzerias par exemple. 
  • Phase d’empilement (ou lavage) : Afin de cacher l’origine illicite des fonds, les blanchisseurs multiplient les transactions, par exemple via le paiement de fausses factures. 
  • Phase d’intégration (ou essorage) : Tous les fonds sont à nouveau injectés dans des activités licites, comme l’immobilier. 

Le juge Claise explique que les pizzerias sont souvent un moyen de blanchir de l’argent. Il est très facile de frauder dans les comptes. « Qui dit que vous avez acheté deux ou trois tomates ? », explique Bart de Koker. Il rajoute même que Cosa Nostra en particulier détient toute la chaîne alimentaire liée aux pizzerias : des revendeurs aux grossistes. Aucun avertissement n’est alors émis à la Cellule de Traitement de l’Information Financière et il devient difficile de les bloquer. Certains casinos sont aussi la source de blanchiment.

De plus, la technologie permet également de développer de nouvelles techniques de blanchiment d’argent très avancées. « Il est apparu aux autorités que la mafia italienne blanchit l’argent via de la cryptomonnaie. Elle a aussi développé le « payment service providers ». Ce sont des applications qui permettent directement de transférer de l’argent, sans passer par les réseaux des autorités », souligne Bart de Koker.  Pour le moment, il n’y a encore aucun moyen d’arrêter l’utilisation de ces applications, mais elles sont déjà utilisées et se développent de plus en plus. La plupart de ces applications sont d’origine britannique. C’est principalement Cosa Nostra qui a développé ce système de blanchiment d’argent.

Michel Claise souligne que ces sociétés de façade peuvent cacher tout et n’importe quoi. Il y a quelques années, la C.T.I.F. a arrêté un réseau qui remontait jusqu’en Slovaquie où la mafia italienne faisait transiter de l’argent via un hôtel.  

LA LUTTE POLITIQUE 

Selon le juge Claise, rien n’est fait au niveau politique afin d’améliorer les moyens technologiques et financiers mis à disposition de la police et de la justice. Il y a un problème global sur le budget alloué à ces deux institutions. « Le Parquet classe 95% des dossiers de suspicion de la C.T.I.F. car ils n’ont pas le temps de les lire », explique-t-il. Il aimerait, tout d’abord, développer la prise de conscience du citoyen pour que ce problème devienne prioritaire. Ensuite, Claise apprécierait rencontrer les ministères des Finances, des Affaires Étrangères, de la Justice et de l’Intérieur, afin de créer un secrétariat d’État qui lutterait contre la criminalité financière. Il faudrait également renforcer les moyens internationaux car il s’agit d’un phénomène global.

Le commissaire François Farcy tient le même discours : « Les politiques ne réinvestissent pas dans la justice, donc la lutte contre la criminalité organisée n’est pas une priorité ». Mais la volonté ne manque pas et des avancées législatives belges ont lieu. En effet, suite aux attentats terroristes de 2016, deux articles pénaux ont été ajoutés au Code d’instruction criminelle. Le premier introduit le « phénomène du repenti ». Le second définit « l’opération sous couverture ».

TRANSPORTEUR DE FONDS

L’argent amassé par les différentes mafias italiennes en Belgique est utilisé pour soutenir et investir dans des affaires « intra-territoire » afin d’agrandir certains business dans divers pays. Toutefois, une partie de cet argent est renvoyée en Italie pour soutenir les activités de la « mafia-mère ». Des sommes astronomiques doivent ainsi être transportées jusqu’en Italie.

Cosa Nostra détient par exemple, un réseau important de transporteur de fonds. Auparavant, cela s’organisait via des réseaux directs depuis la Belgique jusqu’en Italie via l’Allemagne ou la France. Aujourd’hui, la plupart de ces réseaux ont été découverts. Les autorités soupçonnent que les mafias italiennes en Belgique collaborent avec l’organisation albanaise. L’argent est ainsi transporté via l’Allemagne en Albanie, et de de l’Albanie en Italie, comme l’explique l’expert de Koker : « Le blanchiment d’argent et un processus très complexe qui se déroule en plusieurs phases. C’est pour cette raison qu’il est très difficile de tracer un lien direct entre notre pays et l’Italie, et que les arrestations se font de plus en plus rares ». En 2019 par exemple, l’opération Grimilde a mené à l’arrestation de 16 membres du groupe calabrais Grande Aracri car ils auraient embauché de la main-d’œuvre pour construire 350 villas dans les environs de Bruxelles pour une entreprise appartenant à des citoyens albanais.

Aujourd’hui, les experts ne savent pas exactement à quelles fins cet argent est renvoyé. Quant au montant que représentent les activités illégales de la mafia italienne en Belgique, cela reste encore un mystère. 

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