Ladies Only : un havre de paix rose pâle

Comme des milliers d’autres femmes en Belgique et dans le monde, je vais régulièrement à la salle de sport. Les écouteurs vissés dans les oreilles et avec confiance, je soulève des poids. Malheureusement, depuis que je vais me défouler au sport, je fais aussi l’expérience du sexisme ordinaire et du harcèlement, alors même que je suis dans ma bulle. 

par

Photos: Alexanne Verloove (CC BY NC ND)

Comme des milliers d’autres femmes en Belgique et dans le monde, je vais régulièrement à la salle de sport. Les écouteurs vissés dans les oreilles et avec confiance, je soulève des poids. Malheureusement, depuis que je vais me défouler au sport, je fais aussi l’expérience du sexisme ordinaire et du harcèlement, alors même que je suis dans ma bulle. 

Photos: Alexanne Verloove (CC BY NC ND)

Le sexisme ordinaire démarre de manière assez involontaire dès que je mets un pied dans la salle de sport. Ici, dans cette salle mixte, la moitié du lieu est réputée « pour les femmes ». Elle est constituée de machines (tapis de courses, rameurs, et autres vélos elliptiques). Si une femme s’aventure au-delà de ces machines, elle entre dans le territoire profondément masculin : la terrifiante zone de poids libres. A rebaptiser « peu libres » selon moi. Force est de constater que, même si en 2021, de plus en plus de femmes osent s’affirmer dans cette zone, les hommes y règnent encore en maîtres. 

« Un gars est venu m’interrompre au milieu de mon exercice pour me demander s’il pouvait se joindre à moi pour le reste de ma séance »

Mon intuition me dit que je ne suis probablement pas la seule dans cette situation et, effectivement, il ne faut pas investiguer bien longtemps pour confirmer cette tendance. Tristement, l’histoire est toujours un peu la même : lorsqu’une fille se risque à aller s’entraîner dans la « zone des garçons », les témoignages démontrent qu’elle y est très souvent interrompue. En passant une quinzaine de minutes dans les vestiaires, j’entends de nombreuses histoires, plus consternantes les unes que les autres. « Beaucoup de regards insistants, voire des commentaires déplacés sur mon physique et/ou ma tenue », « Un gars est venu m’interrompre au milieu de mon exercice pour me demander s’il pouvait se joindre à moi pour le reste de ma séance », « Je ne compte plus le nombre de fois qu’on est venu m’expliquer comment faire mes exercices »… Face à ces témoignages, il n’est pas étonnant que les femmes délaissent la zone des poids libres, voire les salles de sport mixtes.

Haltères dans la salle mixte
Haltères dans la zone de poids libre de la salle mixte
Photo : Alexanne Verloove (CC BY NC ND)

Le paradis Ladies Only 

J’avais entendu dire que cette même grande chaîne de salles de sport avait créé le nouveau concept de salles réservées aux femmes. Ces eldorados où la gente féminine serait libre de ses mouvements et de ses tenues. Je décide de donner sa chance au « Ladies Only ». 

Ce qui m’interpelle en premier lieu, c’est l’ambiance qui règne dans cet endroit. Tout est pastel. Les installations sont rose pâle et les murs bleu clair. Des petites citations que je suppose encourageantes tapissent les murs et les miroirs de la salle. « 90% Goddess, 10% Cookie Monster », « You don’t sweat, you sparkle », ou encore «Don’t be busy, be amazing». En me promenant dans la salle, je remarque un détail qui en dit long. Dans le règlement intérieur de la salle mixte, une seule petite ligne est consacrée au respect des sportives et sportifs alentours : « Il est interdit d’importuner les autres clients ». Ici, dans la salle exclusivement féminine, un paragraphe entier est consacré aux différentes formes d’intrusions. 

la salle réservée aux femmes, vide
Salle réservée aux femmes, assez peu remplie
Photo : Alexanne Verloove (CC BY NC ND)

Être libre de ses mouvements 

Au-delà de l’environnement créé et imaginé pour les femmes, je veux savoir si les entraînements sont réellement meilleurs grâce à cette séparation des genres. Dans les vestiaires, roses au demeurant, *Lucie et Zoé me racontent leurs expériences. Lucie me raconte une énième histoire d’harcèlement qui ne me semble que trop familière « Un type s’est approché de moi et m’a dit qu’il savait ce dont j’avais besoin pour maigrir ». 

« La pire séance que j’ai vécue, j’étais tellement mal à l’aise que je ne pouvais même pas faire une simple planche sans sentir des regards sur moi »

Zoé

Zoé a, elle aussi, vécu du harcèlement « La pire séance que j’ai vécue, j’étais tellement mal à l’aise que je ne pouvais même pas faire une simple planche sans sentir des regards sur moi« . Heureusement, son témoignage se clôt par une note bien plus positive. « Ici, [dans la salle non-mixte] je peux enfin faire mes squats en paix, j’ose porter des leggings moulants, des brassières plus courtes, des tenues plus confortables. » 

Une fois qu’elle sort du vestiaire, dans une tenue qu’elle aime, cette salle la protège. Ici elle peut faire des erreurs, tenter de nouveaux exercices. Ici, elle ose prendre sa place. C’est vrai que dans cette salle, on ressent tout de suite la liberté qui est laissée aux femmes. Aucun jugement n’est permis, aucun regard de travers, aucun commentaire.

Entre sécurité et fierté

En sortant du Ladies Only, dont j’ignorais l’existence jusqu’il y a peu, je comprends tout son intérêt. Je dois reconnaître avoir vraiment apprécié la bienveillance qui régnait dans cette salle rose et bleue. Les femmes s’y sentent indéniablement mieux : elles sont plus à l’aise, plus libres, bienveillantes envers les autres et s’inquiètent moins de leur environnement. C’est une safe place, un espace pour souffler et se défouler, sans craindre le harcèlement parfois subi au quotidien. 

Pour autant, je ne peux pas me résoudre à abandonner la salle mixte. D’abord d’un point de vue pratique. D’après mes recherches, seuls 14 clubs de la chaîne dont je suis membre sont destinés aux femmes et ceux-ci sont dispersés sur tout le territoire belge. Il y a donc de grandes chances que la distance m’empêche de me rendre régulièrement dans une telle salle sans devoir investir dans d’autres abonnements à d’autres enseignes qui proposent le même genre d’expérience. Ensuite, d’un point de vue idéologique. Comme les témoins citées ci-dessus, j’ai déjà été importunée dans une salle de sport. Mais cela reste à mes yeux un endroit où j’ai bel et bien ma place. J’y dépasse mes limites, sportives avant tout, mais aussi cette frontière invisible qui implique qu’il faut toujours « oser » se rendre dans la très masculine zone de poids libres, « oser » remettre à leur place les auteurs de commentaires déplacés. N’est-ce pas de la responsabilité des clubs de prévoir que les femmes puissent se sentir bien en leurs murs, en ce compris dans les espaces mixtes ? A quand le projet d’imposer le respect et la bienveillance, même au-delà du Ladies Only ?

Poids dans la salle mixte
Poids dans la salle mixte
Photo : Alexanne Verloove (CC BY NC ND)
poids dans la salle pour femmes
Poids dans la salle pour femmes
Photo: Alexanne Verloove (CC BY NC ND)
Machines escaliers dans la salle pour femmes
Machines escaliers dans la salle pour femmes
Photo: Alexanne Verloove (CC BY NC ND)

*Les prénoms ont été modifiés pour préserver l’anonymat des témoins

Nouveau sur Mammouth

Bigh : cultiver l'espoir d'une économie locale
Maraîchage bobo ou logements sociaux ?
4 ans après l’arrivée du virus, qui sont ceux que l’on appelle covid long ? 
Mon Fils, Xavier et moi