"La précarité aggrave les problèmes de santé mentale"

Yahyâ Hachem Samii dirige la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale (LBFSM). Pour lui, les troubles psychologiques sont accentués par la paupérisation. Il se félicite de la coopération entre les services sociaux et de santé, tout en pointant des lacunes.

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Yahyâ Hachem Samii dirige la Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale (LBFSM). Pour lui, les troubles psychologiques sont accentués par la paupérisation. Il se félicite de la coopération entre les services sociaux et de santé, tout en pointant des lacunes.

Selon un rapport de l’OMS, une personne sur trois développe des troubles psychologiques en raison de son environnement. Bruxelles serait-elle un terrain favorable ?

Dans la capitale, à la paupérisation s’ajoute l’exclusion sociale. On constate de plus en plus que les personnes qui souffrent de pauvreté sont de plus en plus en dehors de nos sociétés. Autour du croissant pauvre bruxellois, il y a des barrières invisibles. Le canal en est une. Peu de Bruxellois vont dans ces quartiers-là, à la rencontre des populations. Viennent alors se renforcer, dans ces zones-là, l’exclusion sociale et l’exclusion autour de la santé mentale.

Yahyâ Hachem Samii
Martin Vanroelen (CC BY NC ND)

À quel niveau la précarité peut-elle avoir une incidence sur la santé mentale ?

Ça va clairement dans les deux sens. C’est-à-dire que la précarité peut effectivement générer ou aggraver des problèmes de santé mentale, mais à l’inverse des problèmes de santé mentale peuvent entraîner de la précarité. L’un et l’autre s’entretiennent souvent dans un cercle vicieux. Beaucoup de personnes qui sont dans une situation de grande pauvreté mettent de côté les coûts des soins de santé.

Inversement, les personnes qui souffrent de troubles de santé mentale importants comme la schizophrénie ou la psychose, ou qui ont une psycho-dépendance par rapport à certaines substances, peuvent perdre leurs supports et leurs liens sociaux les uns après les autres et basculer dans la pauvreté.

Y a-t-il une collaboration entre les travailleurs du milieu social et de la santé ?

Tout d’abord, il y a les Services de Santé Mentale (SSM) qui regroupent des professionnels de la santé et des travailleurs sociaux. Ils sont au départ à destination des publics les plus fragiles avec une volonté d’offrir un accueil bon marché de façon à décharger ces patients d’un poids supplémentaire au niveau mental. Ensuite, de nombreux services sociaux sont confrontés à des questions de santé mentale et essayent d’avoir une approche pluridisciplinaire face à ça. Des collaborations se font entre les services de soin et, par exemple, le CPAS.

Ces collaborations sont-elles évidentes ?

Pas toujours car les travailleurs doivent prendre le temps de se connaître. Les services actifs sur les questions de santé et de santé mentale se plaignent que les services sociaux ne prennent pas assez en compte les troubles des gens. Mais à l’inverse, les services sociaux ne s’estiment pas compétents face à des troubles psychiques lourds. Ils estiment que les services de santé ne sont pas assez disponibles et souvent saturés.

Quel est le nœud du problème ?

Nous plaidons pour une meilleure approche intersectorielle. Mais, il y a un manque de personnel. Si on veut que des travailleurs puissent consacrer du temps à se coordonner les uns avec les autres, il faut que pendant ce temps-là il y ait du personnel supplémentaire pour pouvoir recevoir les gens qui continuent d’être en liste d’attente.

Quels sont les projets d’entraide mis en place ?

Des espaces comme « la maison verte » sont des lieux de collaboration et de socialisation pour les enfants de 0 à 3 ans et leurs parents. Les adultes peuvent ainsi sortir de leur isolement social, ainsi que leurs enfants. Les parents se rencontrent et peuvent partager leurs difficultés, des trucs et astuces. Beaucoup de gens y tissent des liens. Des intervenants sont présents de façon discrète pour orienter les personnes qui en auraient besoin.

Il y a aussi des projets qui sont devenus des institutions. Comme le SMES, le Service de santé mentale et d’exclusion sociale, qui aide les personnes souffrant de ce fameux double diagnostique. Le service essaye de trouver des solutions qui touchent à la fois à la santé mentale et à la précarité, de différentes manières. On évite ainsi de réorienter tout de suite les patients. Car les réorientations systématiques peuvent déstructurer la personne et l’enfoncer dans sa situation.

Comment vous positionnez-vous par rapport aux pouvoirs publics ?

Les pouvoirs publics ont souvent tendance à vouloir restreindre les subsides pour les différents services psychosociaux et à établir des publics cibles à charge de ces services. Ça entraîne des effets pervers assez ahurissants. C’est déjà le cas dans la justice. Les personnes voulant bénéficier d’un avocat pro deo doivent justifier qu’elles sont pauvres. Cela veut dire que ceux qui ont les moyens doivent se débrouiller tout seuls. Il faut alors faire attention à ne pas associer la santé mentale à l’exclusion sociale, tout le monde peut avoir besoin d’une approche psychosociale. Nous soutenons des politiques qui continuent d’envisager les questions de santé mentale au sens large, avec une attention particulière pour les plus précaires.

Propos recueillis par Martin Vanroelen

La Ligue Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale est une ASBL qui vise à rassembler les acteurs de la santé mentale à Bruxelles pour échanger sur les avancées dans la théorie et sur les différentes approches dans le domaine. Mais c’est également un lieu permettant de défendre les pratiques au niveau politique. La ligue fédère vingt-deux services de santé mentale qui sont agréés par la Commission Communautaire Française (COCOF) ici à Bruxelles.

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