Le seul refuge pour animaux exotiques de Wallonie condamné à disparaître
Les automobilistes qui empruntent la Nationale 25 à hauteur de Genappe peuvent apercevoir avec un certain étonnement un amoncellement de cages sur le talus de la route. C’est ici que se situe « l’Arche », l’unique refuge pour animaux exotiques du Brabant wallon.
Devant le portail en fer de l’ASBL, une jeune fille au téléphone cherche désespérément un refuge pour se séparer de son raton laveur domestique. À contre cœur, Bernard Daune, le président de “l’Arche” vient de refuser de le prendre en charge. Il ne peut vraiment pas en accueillir un de plus. Il en a déjà vingt.
Dès l’entrée, les cages et les volières forment un chemin jusqu’à la maison de Bernard. C’est là que lui et sa femme Françoise habitent, entourés de 300 animaux. À droite des singes capucins et un coati, tandis qu’à gauche des ratons laveurs et des volières remplies de perruches ondulées et d’inséparables sifflent en chœur. Une joyeuse cacophonie recouvre le vrombissement constant des voitures. Des allées boueuses sont creusées par le passage quotidien de Bernard et de sa brouette.
Quand la passion devient un refuge
L’ASBL « l’Arche » voit le jour en 1988. L’année suivante, le refuge est reconnu d’utilité publique et devient le seul centre de la SPA en Belgique à accueillir des animaux indigènes et exotiques. On n’y trouve pas d’animaux de compagnie traditionnels. Ici les chats sont sauvages, ou bien carrément des très gros matous comme un tigre, un caracal ou un serval. Ces occupants ont bien souvent été abandonnés. Il s’agit, pour la plupart, de retraités de cirque ou du cinéma venus passer la fin de leur vie dans la quiétude de l’Arche. Des créatures qui ne pourraient plus vivre seules dans la nature.
Grâce à sa passion, Bernard a rassemblé des bêtes en tous genres. Les personnes connaissant son engagement lui apportaient des animaux abandonnés ou blessés. Aujourd’hui, trois bénévoles y travaillent avec l’aide ponctuelle de travailleurs d’intérêts généraux.
Pendant des années, en plus de s’occuper d’animaux exotiques, l’endroit abritait aussi un centre de revalidation de la faune belge, un CREAVES. Ces refuges, agréés par la Région wallonne, sont destinés à accueillir et soigner des animaux retrouvés sur la voie publique pour finalement être remis en liberté. Récemment, l’ASBL a décidé de résilier ses accords avec la Région wallonne. Depuis 2002, « l’Arche » a relâché environ 300 à 400 animaux dans la nature chaque année, du renard au faucon en passant par le chevreuil.
Une tonne de viande par mois
Sur le terrain vallonné et pentu, mieux vaut ne pas oublier quelque chose sur le haut du talus. Les soigneurs ne sont pas habitués à ce terrain si particulier. Alors, lorsqu’ils oublient un outil, Bernard leur déclare que “si on n’a pas sa tête, on a ses jambes”. Ça fait 53 ans qu’il arpente ce dédale de petits chemins sinueux entre les différentes cages construites de ses mains.
Nous sommes en novembre, il est déjà 15 heures. Il faut se dépêcher de donner à manger à tous les animaux avant que le soleil ne se couche. Préparer et donner le repas à tous les pensionnaires nécessite deux heures chaque jour. Ce matin, Bernard s’est levé à 4 heures pour aller chercher dans les grands magasins sa tonne de viande mensuelle. Les surgélateurs tournent à plein régime, même si en cette fin d’automne, il ne faut pas nourrir les deux ours qui hibernent déjà. Le tigre mange tout de même sept kilos de viande par jour.
Bernard connaît chaque geste par cœur, chaque animal aussi. Les cages s’agitent à sa venue. Lorsqu’il rentre dans sa cage, le nandou le suit comme un chien suivrait son maître.
Son animal préféré, c’est l’ours. Il en a eu huit au total. Le premier, c’était en 1971. Cet un ours à Collier de l’Himalaya s’appelait Tintin. Un brin bourru, le vieil homme robuste en est un peu un lui-même. À force de les considérer comme ses semblables, il en a même perdu un bout de phalange en jouant avec l’un d’eux.
Une retraite au goût amer
Aujourd’hui, l’homme de 73 ans avance difficilement avec son genou qui le fait souffrir.
S’occuper des animaux, c’est un travail à plein temps et par tous les temps. Le couple de retraités n’a jamais pu partir en vacances. En été, il faut vérifier que tous les animaux aient assez d’eau. En hiver, il faut remettre des pellets dans le poêle des singes toutes les 11 heures.
Aujourd’hui, l’homme, usé, n’accepte plus de nouveaux pensionnaires. Il espère fermer le refuge et vider la majorité des enclos dans un délai de deux ou trois ans. Peu à peu, les cages se vident et on ne les remplit plus. L’amoureux des animaux prévoit le futur de tous ces protégés. Il envisage de donner son ours à un de ses amis proches. Il y a 8 jours, l’un de ses deux tigres est mort. Évidemment, il est triste, mais il est aussi soulagé. Ses animaux vieillissent et il ne faudrait pas qu’ils lui survivent. Bernard n’est pas dupe, il est conscient que sans repreneur, le refuge est condamné à disparaître. Un constat amer pour cet homme qui a consacré sa vie à ses animaux