Évincé à Ixelles, Christos Doulkeridis revient sur la déroute d’Ecolo aux dernières élections
Photo: Baptiste Roman
Christos Doulkeridis vit les derniers jours de sa longue carrière politique, après que le PS, le MR et les Engagés ont éjecté Écolo de la majorité à Ixelles. Et ce, malgré que la liste tirée par Christos Doulkeridis ait réussi à rester premier parti. Avant qu’il ne remette son écharpe maïorale au placard et alors qu’il prend quelques jours de repos, l’ancien Secrétaire d’État bruxellois a accepté de nous accorder un entretien[1]. L’occasion de revenir sur la déroute de son parti aux élections de juin.
Mammouth: Est-ce que l’éviction du mayorat était une surprise pour vous ? Comment vit-on cela humainement ?
Christos Doulkeridis: J’ai toujours eu besoin de prévoir et je considère qu’il faut toujours avoir deux à trois coups d’avance en politique. Il ne s’agit donc pas d’une surprise totale : politiquement, je n’avais pas exclu ce scénario. Mais humainement, c’est difficile.
A titre personnel, j’ai toujours essayé d’être aligné entre ma personnalité humaine et ma personnalité politique. Je suis fier d’avoir réalisé le parcours que j’ai eu en restant le plus aligné possible. Depuis le 13 octobre, je reçois un grand nombre de messages de remerciement de citoyens. Cela me touche et m’émeut.
A côté de la dimension humaine, il y a la dimension politique. On est dans un contexte où l’on est menacé de toute part. Un contexte où les idées de droite dominent, où les plus faibles de la société sont pointés du doigt.
Dans ce contexte, je considère que former une majorité au niveau communal ne constitue pas un détail. Je considère qu’on ne fait pas de la politique par hasard ou en s’adaptant à toutes les situations… J’ai des valeurs, j’ai une vision. Tous les choix que j’ai faits, je les ai faits par rapport à ces valeurs. Je n’ai construit que des majorités progressistes, à savoir avec des partis qui mettent en avant le bien commun, l’intérêt général, l’action publique, l’ouverture aux autres, etc.
N’est-ce pas très large comme définition de parti progressiste ? Les Engagés se disent également progressistes.
Les Engagés, c’est un parti de pouvoir. Ils commencent une phrase à gauche, pour la terminer à droite. C’est ça la stratégie des Engagés. On ne sait pas très bien quels sont leurs fondamentaux.
Nous, les écologistes, on assume qu’il faut changer la société. On ne peut pas abandonner cela mais on ne peut laisser personne de côté. Pour changer la société, il faut emmener tout le monde avec soi.
Et ça n’a pas été le cas ces cinq dernières années ? A quoi attribuez-vous la défaite d’Écolo en juin ?
Il faut d’abord constater qu’à l’échelle européenne, tous les partis écologistes sont en baisse.
Au niveau belge, les écologistes avaient gagné les élections en 2018 et 2019. Tous les autres partis ont donc focalisé leur énergie à reprendre les voix qui étaient allées à Écolo. Il y a donc eu un « bashing » anti-Écolo qui consistait à dire « On est pour l’écologie mais pas ici, pas comme ça, pas maintenant ».
N’y a-t-il pas également eu des erreurs propres à Écolo ?
Il y a parfois eu une dispersion trop importante par rapport aux fondamentaux d’Écolo. Parfois, on mène des débats de niche, sur les minorités notamment. On n’a pas assez porté le débat écologiste. Il faut garder le cap et avoir dans son baromètre les grands combats écologistes. A côté de cela, il faut continuer de porter des débats de société qui sont plus périphériques mais qui sont extrêmement importants pour les personnes concernées.
Il y a un peu un mépris de l’expérience chez Écolo. C’est notamment dû au fait qu’Écolo est arrivé après les autres partis et a voulu corriger un certain nombre de défauts, dont le carriérisme. Dans un effet de balancier, on a sans doute un peu trop valorisé le remplacement permanent des élites politiques.
Il faut trouver un équilibre entre renouvellement et expérience. Comme il y a un renouvellement des cadres qui est très important, parfois, on recommence un peu à zéro. Or, l’action politique nécessite absolument une professionnalisation beaucoup plus grande.
A ce sujet, Philippe Lamberts, ancien député européen Écolo, considère qu’Écolo est devenu un parti comme les autres, où la promesse de faire de la « politique autrement » sonne creux.
Je trouve très moche l’attitude de Philippe Lamberts. Cracher dans la soupe au moment où l’on part…
C’est quelqu’un qui n’était jamais présent dans le parti. Par ailleurs, il dit beaucoup de contre-vérités. C’est la démarche typique d’un gars qui est venu, qui a pris, qui est parti.
Je reconnais que c’est un grand orateur, c’est quelqu’un qui a une vision et un discours.
Il y a une énorme différence entre parler et agir. J’ai énormément de respect pour les personnes qui ont exercé des fonctions exécutives. Lamberts a toujours été dans la posture du gars qui croit savoir mieux que les autres.
Une autre critique est celle du manque de démocratie : M. Lamberts parle d’une « tendance oligarchique » chez Écolo et reproche à des mandataires de n’avoir fait que de la politique toute leur vie.
Ça, c’est le comble. Philippe Lamberts est sans doute celui qui a voulu le moins participer à des débats internes.
Par ailleurs, je suis en désaccord total avec M. Lamberts. Il ne faut pas avoir peur de devenir plus professionnel. Le professionnalisme n’est pas antinomique avec le caractère démocratique d’un parti.
Il y a aussi un démocratisme qui tue l’énergie en se focalisant sur les débats internes plutôt qu’à mettre son énergie au débat démocratique de la société dans son ensemble. La vraie question est la suivante : comment fait-on évoluer une société ?
Le véritable enjeu est d’être capable d’être porteur de changement pour la société et de revoir son point de vue en fonction de l’évolution de la société.
Prenons la question du nucléaire. Il ne s’agit pas d’être contre le nucléaire par principe parce qu’on a été contre historiquement. Il s’agit plutôt de bien comprendre la globalité de la situation : quels sont les avantages du nucléaire ? Ses inconvénients ? Il faut être capable d’entendre tous les arguments, de les étudier et d’assumer une nouvelle position en 2024 et de la défendre.
Dès que le parti tombe dans le nombrilisme, et consacre l’essentiel de son énergie à discuter en interne, on court à la perte. Ce qui est important, c’est d’être le plus raccord possible par rapport à l’évolution de la société. La société a plus que jamais besoin de partis qui vont à contre-courant d’une tendance dominante. L’écologie politique a une grande chance par rapport à d’autres tendances politiques : il s’agit d’un projet qui est très cohérent par rapport à l’évolution de la société. C’est ce projet qui doit nous mobiliser.
A vous entendre, Écolo doit devenir plus pragmatique ?
Il y a des gens radicaux qui veulent des discours forts. Pour moi, le vrai radicalisme consiste à accepter de se confronter à la réalité, de se relever les manches. Tout ce qui a été écrit par des théoriciens risque de devoir être relu en fonction de la réalité.
La vie, ce sont des hommes et des femmes avec des avis différents dont il faut tenir compte mais sans jamais perdre de vue l’objectif collectif.
C’est ce pragmatisme qui doit être notre obsession.
A cet égard, comment voyez-vous les alliances possibles d’Écolo avec le PTB au niveau communal ? (NDLR : L’interview a été réalisée avant l’annonce de la coalition PS-Ecolo-PTB à Mons).
Depuis quand existe le PTB sur le plan politique ? C’est l’ancien porte-parole de Charles Michel (NDLR : Frédéric Cauderlier, qui, avant d’être porte-parole, était journaliste politique pour RTL.) qui est le premier à avoir donné la parole au PTB. Ce n’est pas un hasard.
Depuis lors, c’est une stratégie du MR de diaboliser le PTB pour qu’il n’y ait pas de place pour des majorités sans le MR. Ce qui est en train de se passer à Schaerbeek, et ce qui rend fou Georges-Louis Bouchez, c’est que le PS songe à une majorité avec le PTB et sans le MR. On est dans un débat de lutte des places. On instrumentalise donc le PTB.
Idéologiquement, vous n’avez pas de souci avec le PTB ?
Idéologiquement, j’ai des soucis avec beaucoup de monde. Mais il y a une vraie différence entre le PTB et l’extrême droite. Le PTB ne stigmatise pas les plus faibles. Mais c’est un parti plein d’impasses, qui est dans la démagogie et le populisme.
Marie Lecocq et Samuel Cogolati ont gagné l’élection à la coprésidence d’Écolo sur le thème de l’écologie populaire. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Je les remercie de reprendre le flambeau dans un contexte difficile. Mais je m’interroge sur la définition de « populaire ». J’espère qu’ils entendent écologie « populaire » comme une écologie qui peut parler à un maximum de personnes, et pas uniquement à des personnes fragilisées socialement. Il n’y a pas de raison d’exclure quiconque. Mais être capable de parler au plus grand nombre, c’est fondamental.
Est-ce que vous avez envie de jouer un rôle dans le processus de reconstruction du parti ?
Je suis disponible en tout cas. J’ai plein de choses à dire.
Je trouverais fou que le parti ne demande pas l’avis de gens comme Jean-Michel Javaux ou moi. Nous sommes des personnes qui avons connu des succès électoraux, et qui continuons à avoir une certaine image auprès du grand public. Le parti peut donc nous utiliser.
Vous craignez qu’ils ne le fassent pas ?
Je ne crains rien du tout.
[1] L’entretien a eu lieu au téléphone le 4 novembre 2024.