Face à la crise, le Palace garde espoir

Arrivé le 3 août 2020 à la tête du Palace, Eric Franssen n’hésite pas à s’affranchir des discours alarmistes sur la fin du cinéma. Entretien avec la force tranquille du Boulevard Anspach.

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Photo : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)

Arrivé le 3 août 2020 à la tête du Palace, Eric Franssen n’hésite pas à s’affranchir des discours alarmistes sur la fin du cinéma. Entretien avec la force tranquille du Boulevard Anspach.

Photo : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)

Alors que les cinémas de Bruxelles sont fermés depuis la fin octobre, quel est votre regard sur le traitement de la culture par le gouvernement ces derniers mois ?

Ça a été cacophonique, c’est sûr… Sur le mois d’octobre, on nous a imposé quatre protocoles sanitaires différents, ce qui a fait qu’on a dû s’adapter très vite. Pour preuve, le dernier protocole, on l’a appris à 16h et il était d’application pour la séance de 18h. Ces changements constants, c’était stressant pour les équipes et pour les spectateurs. On aurait donc préféré que ce soit plus clair, plus précis et cohérent. Mais ce sont des situations inédites pour tout le monde et aussi pour nos responsables politiques, donc je n’ai pas envie de blâmer qui que ce soit…

J’ai du mal à croire que quelqu’un qui aime vraiment le cinéma préférera regarder un film en streaming plutôt que revenir en salle.

La culture aurait dû être considérée comme un service essentiel ?

Si je répondais de manière corporatiste, je dirais « évidemment qu’on est un service essentiel ». Et puis les cinémas sont assez sûrs. On est tous assis et tournés dans la même direction, avec un masque. On y est plus passif qu’actif en réalité… Mais je pense que nos dirigeants ont pris en compte le fait que les gens doivent prendre les transports en commun pour se rendre au cinéma, puis risquent d’échanger autour d’une boisson, etc.

Eric Franssen, directeur du Palace, debout, dans la salle de réception.
Eric Franssen Photo : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)

Pendant ce temps-là, les sites de streaming voient leurs chiffres de fréquentation augmenter. Vous n’avez pas peur que le public s’y attache et ne revienne plus au cinéma ?

J’ai du mal à croire que quelqu’un qui aime vraiment le cinéma préférera regarder un film en streaming plutôt que revenir en salle. Par contre, quelqu’un qui va de temps en temps au cinéma pour se divertir, celui-là, on le verra certainement moins… Ça s’est vu dans les chiffres de fréquentation des grands complexes commerciaux, d’ailleurs. Là où, au Palace, on a eu 20 % de spectateurs en moins en juillet et en août, le Kinepolis et l’UGC ont constaté une baisse allant jusqu’à 80 % ! Nous avons la chance d’avoir ici un public beaucoup plus engagé, qui ne vient pas seulement pour se distraire, mais pour découvrir des choses, voir le monde et partager un moment avec d’autres personnes…

Dans un article d’avril 2020, Jean-Michel Frodon, ancien directeur des Cahiers du Cinéma, disait de la VOD qu’elle est un « moyen de transport très utile pour les films, mais pas pour autant un dispositif de création, ce qu’a été et reste la salle de cinéma ». Si le basculement des films vers les plateformes de VOD continue, on risque de perdre la forme qu’est le film ?

Il est vrai qu’avec les nouvelles plateformes de VOD, il y a une autre forme qui se crée. Quand on regarde les films produits par Netflix, il y a de grandes similitudes en matière d’esthétique, de montage, de couleurs… On peut dire que certains films sont des films de plateforme. Donc je suis d’accord avec Jean-Michel Frodon sur le fait qu’on doit pouvoir proposer des films qui ne sont pas réalisés uniquement pour les plateformes. Mais ce n’est pas parce qu’un film est disponible en VOD qu’il ne marchera pas en salle. En octobre, on a projeté le dernier film de Sofia Coppola, « On The Rocks ». Bien qu’il était disponible sur Apple TV+, ça a été notre meilleur chiffre d’octobre !

Ce qui a été intéressant avec l’arrivée du confinement, c’est que certains films d’art et essai ont été mis sur des plateformes. Ils y ont fait très peu d’audience. Ça montre que la salle de cinéma est encore un endroit important pour ce genre de films.

Les gens reviennent parce qu’ils ont envie de vivre des expériences ensemble

Eric Franssen, directeur du Palace, dans le miroir de la salle de réception.
Eric Franssen Photo : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)

Mais est-ce que le cinéma ne risque pas d’être relégué au rang de curiosité réservée à une bande d’aficionados, comme l’est l’opéra aujourd’hui ?

Il y a un réel risque et c’est quelque chose contre lequel on essaie de lutter. Notre mission, c’est de toucher un public le plus diversifié possible. C’est pour ça qu’au Palace, on travaille avec les maisons de quartier et les écoles pour toucher un public jeune. En 2019, sur 150 000 spectateurs, on a accueilli 17 000 enfants. On le fait parce qu’on estime que c’est primordial de former les gens et les éduquer au cinéma. On doit s’assurer que tout le monde y ait accès.

Quelles sont les armes des salles de cinéma face à Netflix, Amazon Prime, etc. ?

Je pense que face à l’offre pléthorique des plateformes, le cinéma peut devenir le lieu où une sélection a été effectuée, où on a fait une sorte de curation sur les titres. Ça nous est tous arrivé d’être sur Netflix et de ne pas savoir choisir, tellement il y a de choix…

Et puis au Palace, on a des conditions techniques qui nous permettent d’offrir une expérience digne de ce nom. Le 31 octobre, on allait sortir « Shining » en version restaurée, avec la 4K et des conditions d’écoute optimales, alors que ça fait deux ans qu’il est sur Netflix… Mais on avait fait le pari de le sortir, parce que voir ce film ici, avec des gens, avoir peur avec eux, c’est autre chose que sur un ordinateur… Les gens reviennent parce qu’ils ont envie de vivre des expériences ensemble. Et c’est ça qui doit nous animer. La question qu’on doit se poser, c’est « comment fait-on sortir quelqu’un de chez lui, de son salon, pour lui faire traverser la ville, prendre le métro et venir voir un film ici ? » C’est un véritable enjeu…

Eric Franssen, directeur du Palace, à la fenêtre de la salle de réception.
Eric Franssen Photo : Arthur Parzysz (CC BY NC ND)

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