Grégoire Gerstmans : « J’ai réussi à trouver un son, qui est personnel et intimiste »
Hypnagogie, c’est le nom du premier album solo de Grégoire Gerstmans. La pianiste originaire de Liège signe un album au style néo-classique et minimaliste, qui nous emmène dans un état d’hypnagogie, sur le fil de l’endormissement. Nous l’avons rencontré.
Mammouth: Sortir un premier album, en solo, et au piano, ça fait quoi ?
Grégoire Gerstmans: C’est un peu pyramidal. De manière général, c’est déjà un rêve d’enregistrer un disque. Mais le faire en solo, c’est incroyable et sous son propre nom, c’est encore plus incroyable, c’est rentrer dans quelque chose de très personnel. Le piano est arrivé comme une évidence, d’une manière naturelle. C’est mon instrument de cœur, c’est mon premier instrument. Je ne me souviens même pas d’avoir commencé à jouer au piano, j’en ai toujours fait.
Le jour de la sortie de l’album, c’est un énorme plaisir. C’est énormément d’émotion et de sentiment, parce que c’est un rêve. Voir tous ces gens qui croient au projet depuis le début, ma famille et mes proches, qui m’ont aidé à aller jusqu’à l’aboutissement de ce disque, c’est un plaisir.
Vous dites créer votre musique à la sensibilité, mais derrière un piano, comment exprime-t-on sa sensibilité ?
Le piano, c’est un peu la même chose qu’un alphabet, mais il n’y a que douze lettres. Ce qu’il a de particulier avec le piano, c’est qu’il y a la musique, les notes, et puis il y a la manière dont on va les jouer. Mon expérience dans ce projet, c’est de me dire j’ai envie de composer une mélodie, de jouer une mélodie, mais je vais l’amener avant tout dans mon univers. C’est aussi ça la musique et les émotions : c’est la manière dont on va ressentir les choses, et la manière dont on va les jouer. Dans mon travail, je vais ajouter beaucoup de silence dans mes morceaux. Ils apportent une émotion et il ne faut pas les négliger. Mon combat, c’est d’arriver sur le piano, de proposer des choses, et de retirer tout ce qu’il y a de superflu, pour en arriver à un équilibre entre le silence et les notes. Quand j’écris un morceau, j’essaye de laisser le plus d’espace possible à la contemplation et à ce que les gens peuvent ressentir.
Vous avez enregistré votre album sans artifice, dans votre grenier. Pourquoi avoir fait ce choix ?
La marche normale à suivre, ça aurait été de louer un piano, de louer un studio d’enregistrement, de prendre un ingénieur du son et d’enregistrer mes morceaux pendant deux ou trois semaines, et voilà. C’est ce que tout le monde aurait fait. Mais dans cette démarche, il faut aller vite. Je voulais quelque chose de différent. Ça a commencé par le piano. J’avais un son en tête. J’avais envie de trouver un vieux piano avec un touché, une histoire, une émotion et je voulais trouver une relation avec le piano. Quand je l’ai trouvé, j’avais mon piano, mais pas de studio. Donc je me suis mis dans mon grenier. D’un côté, pour éviter les bruits de la maison et d’un autre pour m’isoler. On a fait entrer le piano par la lucarne, dans le grenier. Et autour, j’ai construit une cabine studio, pour arriver à n’avoir que le son du piano. Mais bon, je reste dans mon grenier, donc on entend aussi le bruit des oiseaux, le vent, etc. Ce sont des choses que j’assume. C’est chouette parce qu’on a trouvé un son, mais aussi un son qui est personnel et intimiste.
Pourquoi « hypnagogie » comme titre de l’album ?
Après avoir écrit un morceau, je cherchais un mot, un nom à celui-ci. Clément (qui écrit les textes et les poèmes qui du livret qui accompagne l’album) étant très littéraire, je lui ai demandé des idées de noms et de titres, sur le minimalisme et l’ambiance du morceau. Et dans les mots qu’il me sort, il y a « hypnagogie ». Dans un premier temps, je me demande d’où sort ce mot. Je vais voir la définition au dictionnaire et ça m’a directement impressionné. Ce mot m’a marqué, m’a sauté aux yeux. C’était ce mot-là. J’ai tellement aimé le mot que j’en ai fait le titre de l’album. Je voulais un disque avec un nom original. Ce mot, ce nom, il a influencé le reste de l’écriture de mon disque. L’endormissement, c’est un moment sacré. Si tu ne lâches pas prise de ta journée, tu ne t’endors pas. C’est aussi quelque chose de physique, de fin, d’ambivalent entre le rêve et l’éveil. Tu peux tout faire pendant l’hypnagogie. Et c’est ce que je recherche dans ma musique, un moment de lâcher prise.
Le dernier morceau de votre album est le seul avec des paroles. C’est une métaphore qui parle du temps qui passe, et de la peur de rater les plus beaux moments de sa vie. Ça vous angoisse, le temps qui passe ?
Oui, beaucoup. Je ne suis pas à l’aise avec la fin en fait. Mais j’oublie que c’est un tout, que la fin fait partie du début, et qu’il faut savourer l’instant parce que sinon on est vite à la fin.
Clément a écrit ce texte, et quand je l’ai lu, j’ai été marqué, émerveillé par le texte. La métaphore est très prenante, tellement qu’on a décidé de contacter Laurence Vielle, qui a été nommée poétesse nationale en 2016. On lui a demandé si c’était possible de venir chez elle pour enregistrer ce texte. Ça a été une rencontre extraordinaire. Je suis tombé amoureux de sa voix.
Pour vous, faire de la musique, c’est prendre le temps ?
C’est me connecter au temps. Avoir écrit et jouer ce piano, pour moi, c’est comme si j’ouvrais la page d’un grand livre d’une nouvelle thérapie, une nouvelle vie. J’ai une phrase, qui est vraiment une base de mon projet, « Profite de l’éternité de l’instant. », qui influence mon style de vie. Je sors du rock’n’roll, de la pop, des grosses fêtes et j’ai écrit un disque qui est presque ma prescription personnelle finalement.
Il est fier de ce projet, le petit Grégoire qui passait son temps à jouer au piano chez son grand-père ?
Oui, il est super fier. Mais, ça me demande un effort de prendre du temps d’être fier. Là, j’ai envie de prendre du temps pour accueillir l’accomplissement de mon projet, mais comme je fais aussi mes propres photos, mes clips, mes concerts, etc., je ne m’arrête jamais. Donc oui, je suis fier de moi, mais ça va aussi prendre un peu de temps pour prendre conscience de ce qui est sorti, et pour prendre conscience de la dose de fierté.
Et votre grand-père, il serait fier ?
Il serait très fier, et même mes deux grands-pères. Ils m’ont donné l’art des deux côtés. L’un m’a donné le goût à la musique, l’autre à la peinture et l’art visuel. Mais oui, ils seraient fiers, et j’ai le rêve d’imaginer qu’ils le sont.