Elle lit les best-sellers pour vous

Léa Bory, podcasteuse spécialiste des torchons littéraires

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Léa Bory, hôte du podcast "Torchon". Photo : Léa Bory

Léa Bory, podcasteuse spécialiste des torchons littéraires

Léa Bory, hôte du podcast « Torchon ». Photo : Léa Bory

Développement personnel, ésotérisme et dark romance : ces livres n’ont a priori pas grand-chose en commun, sinon qu’ils cartonnent en librairie. Mais ces best-sellers valent-ils véritablement la peine qu’on s’y intéresse ? Léa Bory nous répond à travers son podcast « Torchon », « le club de lecture en carton où on lit des livres pour que vous n’ayez pas à le faire » !

Comment t’es venue l’idée du concept de « Torchon » ?

Pas mal de gens m’ont dit que c’était un concept assez original, mais en fait c’est quelque chose qui se retrouve pas mal sur le Youtube américain et canadien, et j’étais ultra friande de ce type de vidéos où quelqu’un lit un livre en s’en moquant. Chaque fois, j’avais cette curiosité, cette envie de comprendre pourquoi les gens lisaient ce livre et ce qu’il y avait derrière, au-delà de l’aspect humoristique.

La romance, le développement personnel, l’ésotérisme… Ce n’était donc pas tes genres de prédilection au départ ?

Non, pas du tout. Mes goûts littéraires sont assez classiques, je lis surtout de la littérature blanche. (NDLR : La littérature blanche est une littérature qui ne s’inscrit dans aucun genre spécifique. Souvent jugée supérieure aux genres populaires, tels que les thrillers ou la science-fiction, elle regroupe des ouvrages traitant de problématiques sociétales, de questionnement existentiels, ou encore de thématiques liées aux relations humaines.)

Pourquoi as-tu souhaité sortir de ta zone de confort et découvrir d’autres genres littéraires ?

C’est lié à une forme de condescendance qu’on observe vis-à-vis de certains genres plus populaires. Ce mépris vis-à-vis d’un lectorat qui est énorme, c’est complètement décorrélé de la réalité de la francophonie, et moi, j’étais en demande d’informations concrètes sur ces sujets, sans ce côté un peu « désarçonné » qu’on peut avoir dans les médias.

Pourquoi critiquer des livres dont tu n’es pas le public cible ?

L’objectif n’était pas de dire du mal ou de critiquer au sens neutre. C’était principalement une entreprise de curiosité. J’étais extrêmement curieuse de savoir ce qui se cachait derrière les têtes de gondole. Quand tout le monde a commencé à parler du livre de Bruno Lemaire et à poster des tweets sur les passages les plus sexuels, par exemple, mon objectif n’était pas tant la critique que la découverte et la curiosité (NDLR : Bruno Lemaire était Ministre de l’Économie et des Finances en France entre 2017 et 2024. Le livre auquel il est fait référence, La Fugue américaine, avait défrayé la chronique à sa parution en 2023, en raison d’un passage érotique particulièrement explicite). Et puis, je voulais aussi remettre en cause mon propre goût et mon propre snobisme, parce que je suis quelqu’un de très snob finalement (rire) !

Je voulais savoir, au-delà de ce qu’on m’a inculqué à travers mes études et mon entourage, ce qu’il en était réellement de mes goûts. Évidemment, il y a une dimension humoristique et comique à lire des livres qui de prime abord ont l’air mauvais, mais je suis surtout ultra curieuse.

Où places-tu le curseur pour rester constructive et bienveillante dans ta critique ?

Je pense que j’ai plutôt un bon fond, ça aide ! (rire) J’ai du mal à être trop méchante. En plus, je le fais avec des gens qui sont des amis à moi, et que je considère comme très gentils et très constructifs.

Ce qui nous aiguille, aussi, c’est que dès le premier épisode, on a eu cette impression de parler directement aux auteurs, et que ça les toucherait d’une manière ou d’une autre, ce qui représente un énorme surmoi. D’autant qu’écrire un livre, c’est une expérience très difficile. Ça demande beaucoup de temps et d’attention, donc on essaye d’être respectueux.

Tu as déjà eu des réactions de certains auteurs, après en avoir parlé dans le podcast ?

Jusqu’à présent, ça n’a jamais été le cas, mais je dois avouer qu’à chaque épisode, je me pose la question, je me demande si je serai contactée. Par contre, au tout début, quand on a fait le podcast sur Plaidoyer pour la gourmandise, le livre de l’influenceuse Constance Lasserre, je me suis dit que j’allais la prévenir, et elle nous a répondu avec beaucoup de sagesse : « Je ne vais pas l’écouter. Parce que si je sais qu’il y a le début d’une critique négative, ça va me foutre le moral dans les chaussettes ». Je trouve que c’est une manière très sage de gérer la critique.

Les auteurs mis à part, est-ce que certains lecteurs prennent personnellement les critiques des livres qu’ils ont aimés ?

Oui et je trouve que c’est normal de prendre personnellement une critique d’un livre qu’on a aimé, parce que le goût qu’on a pour un livre nous définit d’une certaine manière.

Ce qui est très touchant, c’est que j’ai eu pas mal de retours de lectrices de Captive qui ont été très gentilles et qui m’ont dit : « Moi j’aime bien, mais je comprends que les gens n’aiment pas ». C’est marrant, parce que la dark romance c’est un genre qui est censé être hyper sombre, hyper sulfureux, et finalement, les lectrices étaient assez sympas avec moi.

Pour Blanc de Sylvain Tesson, par contre, j’ai eu quelques retours un peu négatifs sur TikTok, d’hommes plutôt énervés qu’on s’en prenne à leur gourou. Je pense que c’est lié au fait qu’on était deux femmes en train de parler d’un homme qui a, pour beaucoup d’hommes, quelque chose d’un peu galvanisant.

(NDLR : La dark romance est un sous-genre littéraire de la romance. Popularisé grâce à TikTok, il est régulièrement la cible de polémiques sur les réseaux sociaux, en raison des comportements toxiques et violents qu’il représente, parfois de manière romantique. Avec plus de 350.000 exemplaires  vendus, Captive est l’un des romans les plus populaires du genre. Blanc de Sylvain Tesson est pour sa part un roman autobiographique, retraçant le parcours de l’auteur en tant qu’alpiniste à travers les Alpes.)

Et en ce qui concerne la littérature ésotérique ?

Là aussi, comme c’est quelque chose de l’ordre du new age, de la spiritualité et du religieux au sens très large du terme, j’ai reçu des commentaires un peu désobligeants, du type « Vous n’avez rien compris », « vous n’y connaissez rien »… Et c’est le cas ! À chaque fois qu’on lit un livre et qu’on le critique, on n’est pas du tout expert et c’est assumé, parce que je pense que c’est important de lire en ayant ce point de vue « extérieur » pour poser un regard critique.

Est-ce que ce regard critique modifie la façon dont tu lis ?

Oui et non. Je prends des notes un peu partout tout au long de ma lecture, je note des blagues… Mais j’essaie ne pas trop me renseigner en amont sur l’auteur et de le lire « comme un vrai livre » sans trop m’arrêter, pour rester une « lectrice lambda ». Parce que si tu commences à avoir une méthodologie trop cadrée, tu enlèves la dimension de plaisir.

Le critique froid, qui met ses distances et qui comprend mieux que tout le monde… J’essaie d’éviter cette posture-là, qui peut enlever une info très basique : « Est-ce que t’as kiffé ou pas ? »

Et une fois la lecture terminée ? Comment tu construis ton épisode ?

Une fois que j’ai lu le livre, il faut faire tout un travail pour situer l’auteur. Souvent, j’essaie d’écouter une interview, histoire d’avoir tous les éléments. Puis, on se retrouve avec ma ou mon pote, et on discute pendant une bonne heure de tout ce qu’on veut dire. On ne va pas faire un plan, mais une liste de tout ce qu’on a envie de dire sur ce livre-là, et souvent, ça se synthétise naturellement.

L’idée, c’est de préserver une forme de fraicheur, tout en donnant assez d’informations pour qu’il y ait quand même un peu d’aide dans la lecture et dans la critique.

Pourquoi estimes-tu important de faire entendre ce regard critique ?

Quand tu t’informes sur un livre, tu as deux voix : celle des médias, qui paient des journalistes pour lire des livres et donner leur avis, et celle des réseaux sociaux. Et là, il y a deux écueils.

D’abord, cet entre-soi un peu germanopratin dans le monde littéraire, où les critiques fréquentent les mêmes milieux que les écrivains, ce qui fait qu’il est très compliqué pour eux d’avoir une posture négative.

Ensuite, les réseaux sociaux, qui offrent un champ de liberté énorme, mais seulement jusqu’à un certain point, parce que pas mal de gens espèrent recevoir a minima des services presse gratuits des maisons d’édition, et a maxima des partenariats avec des marques. C’est totalement légitime de vouloir des résultats vis-à-vis du travail que ça implique de poster sur les réseaux sociaux, mais la conséquence, c’est que j’ai l’impression qu’on est tous trop positifs.

Dans ton cas, c’est différent ?

C’est ça. Étant donné que je travaille à côté et dans un tout autre domaine, j’ai cette opportunité énorme de pouvoir faire et dire ce que je veux sans avoir peur au niveau de mon indépendance financière et de mon indépendance d’esprit.

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