Diplômes ukrainiens, pas d'emploi en Belgique ?

Malgré les déclarations européennes, la reconnaissance des qualifications ukrainiennes se heurte à la complexité belge

par et

Dorine Busoro

Malgré les déclarations européennes, la reconnaissance des qualifications ukrainiennes se heurte à la complexité belge

Dorine Busoro

Pour la deuxième fois, la Commission européenne a demandé aux États membres de renouveler leur engagement d’accès à l’emploi et de reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens. En Belgique, cette proposition se perd dans les méandres institutionnels.  

Maria a 42 ans, même si elle en fait dix fois moins. Assise dans la petite cafétéria du centre Ukrainian Voices Refugee Committee, elle boit son bortsch (une soupe traditionnelle aux betteraves) avec son amie Titianna. Elle est arrivée au début de la guerre, en mars 2022, avec sa fille. Au même moment, l’Union européenne décidait que les Ukrainiens déplacés en son sein pouvaient bénéficier de la « protection temporaire ». Ce statut vise à diminuer la pression pesant sur les régimes d’asile nationaux, tout en facilitant l’accès des personnes déplacées au marché du travail. Le travail justement, Maria en cherche. En Août dernier, elle a introduit sa demande d’équivalence de son master en journalisme obtenu à l’université de Zaporijia. A tort ou à raison, elle en parle sans trop d’espoir.

Une double barrière

Dès le mois d’avril 2022, la reconnaissance des qualifications des réfugiés ukrainiens s’est hissée parmi les enjeux politiques européens, sous la forme d’une recommandations émise par la Commission. Rappelant que les ressortissants de pays extra-européens sont souvent obligés « d’accepter des emplois en dessous de leur niveau de qualification », la Commission invitait les États membres à mettre en place un système « simple et rapide » de reconnaissance des qualifications pour faciliter l’emploi des Ukrainiens. Adoptée en 2023, cette recommandation est censée être mise en œuvre par les États. Lors du renouvellement de ces lignes directrices en 2024, le Parlement européen, malgré son statut purement consultatif dans ce domaine, a voté à 61 % pour maintenir cette forme de solidarité avec les Ukrainiens.

L’expression « reconnaissance de qualifications » par la Commission est volontairement étendue. Elle inclut diverses formes de compétences, de formations et de diplômes. Un tel champ d’application est nécessaire: en Belgique, être à la fois étranger (hors UE) et sans diplôme, c’est en effet avoir deux gros bâtons dans les roues pour accéder au marché de l’emploi. En octobre 2024 à Bruxelles, 43 % des demandeurs d’emploi inoccupés (DEI) qu’enregistrait Actiris étaient des étrangers sans équivalence de diplôme ou de qualification. Pour s’attaquer à cette double barrière à l’emploi, Actiris a mis en place, avec l’asbl CIRÉ, un plan d’aide pour accompagner toutes les personnes qui voudraient faire reconnaître leur diplôme ici en Belgique. « On aide les gens à naviguer dans le système », explique Olivier Beernaert, coordinateur du service travail, équivalences et formations au CIRÉ. En juillet 2024, 5.199 Ukrainiens étaient inscrits chez Actiris. A peine 30 % d’entre eux ont trouvé du travail. 

Complexité à la belge 

L’espoir de trouver un emploi est faible, donc… et les couches institutionnelles de notre pays n’arrangent rien. Le système des équivalences de diplôme est une compétence communautaire, car elle touche à l’enseignement, tandis que l’emploi est une compétence régionale. Or, pour le CIRÉ, si on veut faciliter l’accès à l’emploi, il faut en même temps faciliter l’obtention de l’équivalence. 

Entre le Nord et le Sud du pays, l’application uniforme des critères d’équivalence n’est pas non plus toujours évidente, comme par exemple pour le métier d’infirmier. La profession étant réglementée, le diplôme étranger (hors UE) sera analysé à la loupe, à la lumière des critères académiques belges. L’un des principaux obstacles à cette équivalence est le nombre d’heures de stage : en Fédération Wallonie-Bruxelles, lorsque les heures de stage prestées dans le pays d’origine sont inférieures à celles exigées en Belgique, cela peut bloquer l’obtention de l’équivalence. « Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique », déplore Olivier Beernaert. En revanche, en Flandre, l’expérience professionnelle est acceptée comme équivalente à des heures de stage. 

 Quand on a une personne qui a fait ses études et qui après a bossé pendant 10 ans en tant qu’infirmière, qu’on vienne lui dire qu’il lui manque 300 heures de stage, ce n’est pas logique

De plus, le système ne prend pas suffisamment en compte la fracture numérique présente chez les demandeurs d’équivalence. Toute la procédure se fait en ligne. Certains candidats à l’emploi ne possèdent pas d’ordinateur, tandis que d’autres craignent, par exemple, d’avoir mal scanné un document. S’ajoute à cela la compréhension des termes et des distinctions (CESS/baccalauréat, bachelier/licence, etc.) qui diffèrent selon les pays. Même ceux qui sont autonomes dans leurs démarches, doivent revenir plusieurs fois au CIRÉ pour s’assurer que tout est en ordre. À défaut d’un accès direct au service public, l’accompagnement devient la responsabilité des associations. 

Privilège ukrainien ?

C’est en Flandre, que Maria a fait sa demande d’équivalence en journalisme. Pourtant, elle rit quand nous lui demandons si elle rêve encore de travailler dans une rédaction. « Un jour, peut-être ». Elle l’a fait sans réelle conviction, pensant que ce diplôme lui servirait peut-être. « Il y a eu un moment, en 2022, où il y avait une personne dédiée aux dossiers ukrainiens. Mais aujourd’hui, on a décidé de mettre le public ukrainien parmi le reste du public », explique le CIRÉ. Chez BON cependant, un centre d’intégration flamand, une personne est toujours dédiée aux équivalences spécifiquement ukrainiennes. En Europe, la procédure est gratuite pour tous ceux qui ont le statut de réfugiés. 

Depuis 2023, l’Ukraine a rejoint le large réseau européen ENIC-NARIC, visant le partage d’information et la facilitation de la reconnaissance mutuelle de diplômes. L’ouverture d’un centre ENIC ukrainien a facilité le processus d’évaluation des diplômes en provenance d’Ukraine, à la différence de certains autres pays hors UE pour lesquels il est plus complexe de trouver des infos ou des relais, nous explique Céline Nicodème par mail, membre du service international de l’enseignement supérieur de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Elle précise cependant qu’ « une procédure d’équivalence reste une procédure d’équivalence. En principe, elle ne fait pas d’exception en fonction de la nationalité du demandeur, comme stipulé dans la Convention de Lisbonne. » Cette convention signée en 1997 indique que toute demande de reconnaissance de qualifications prend exclusivement en compte les connaissances et aptitudes acquises. 

« Aujourd’hui, ce n’est pas une carrière ou de l’argent que je recherche. Je veux juste trouver un endroit où je me sentirais à l’aise et où je peux évoluer et non régresser », soupire Maria avant de quitter le centre des réfugiés. Ce souhait, l’Union européenne le partage. Pour qu’il se réalise pleinement en Belgique, le pays doit d’abord gérer ses méandres institutionnels.

Nouveau sur Mammouth

Après la nuit
Matongé, hotspot à feu doux
Bruxelles sur le podium des fusillades, avec Naples et Marseille
"À la maison"