Des purs-sangs au "Melting Park"

De la poussière soulevée par les sabots du temps de la gloire de l’hippodrome renaît un nouveau projet : le Drohme melting park. Ce partenariat public-privé nourrit de grandes ambitions pour le site, mais les riverains et associations environnementales se cabrent.

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Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND)

De la poussière soulevée par les sabots du temps de la gloire de l’hippodrome renaît un nouveau projet : le Drohme melting park. Ce partenariat public-privé nourrit de grandes ambitions pour le site, mais les riverains et associations environnementales se cabrent.

Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND)

Tout Bruxelles s’est rassemblé ce dimanche à l’hippodrome de Boitsfort pour suivre la prestigieuse course hippique du « Grand Prix de Bruxelles ». La foule de badauds occupe la pelouse centrale, entourée par la piste et ses virages serrés, la haute bourgeoisie pavoise dans les tribunes et les bars entourant l’hippodrome. Les paris sont pris dans la cacophonie de la foule sous l’emprise de la fièvre du jeu ; tout le monde espère miser sur le bon pur-sang. Dans le Pesage, on pèse les jockeys en tenue avec leur selle ; les plus légers sont lestés de poids. On place les équipages les plus récalcitrants sur la ligne de départ, et c’est parti ! 2200 mètres de piste à avaler sous les cris de la foule en liesse. Après quelques minutes seulement, Prince Rose, le « plus grand cheval qui n’ait jamais couru en Belgique » emporte la course et les 1.000.000 francs belges de gain. Nous sommes en 1931.

Près d’un siècle plus tard, un dimanche enneigé de février, ce sont des marcheurs, joggeurs, cyclistes et chiens qui parcourent paisiblement l’anneau de sable de l’ancien hippodrome. Sur la pelouse centrale, un parcours de neuf trous recouvert d’un tapis blanc immaculé fait le bonheur des golfeurs, alors que, sur les tribunes, on se prélasse au soleil d’hiver. Le hurlement de la foule et le fracas des sabots sont détrônés par un calme bucolique, où l’on n’entend que des « small-talks » dominicaux sur fond de circulation urbaine. Seul un « Fore ! » -attention balle de golf- jailli de temps en temps du centre de l’anneau.  

Promeneurs sur l'anneau de l'hippodrome
Les promeneurs ont remplacé les chevaux sur l’anneau de l’hippodrome. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).
Tribunes de l'hippodrome 2
On se prélasse au soleil d’hiver sur les gradins. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).

Les derniers tours de piste

Aménagé sous l’impulsion du Roi bâtisseur Leopold II sur une portion de la Forêt de Soignes à la fin du XIXe siècle, l’hippodrome connait l’âge d’or de l’hippisme jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Devenant un lieu de mondanité bruxelloise, il accueille défilés de mode, soirées, événements, théâtres… À la fin des Trente Glorieuses, les chevaux sont en bout de course, c’est la chute de l’hippodrome. Le déclin de l’intérêt du public pour les courses mène le site à l’abandon progressif. Les bâtiments se délabrent, ils deviennent le terrain de jeux de graffeurs et squatteurs. L’anneau n’est plus qu’utilisé par les joggeurs et promeneurs. Seule la pelouse centrale fait l’objet d’un aménagement, qui détonne sur ce site redevenu sauvage ; le Brussels Golf Club s’y installe en 1987 en créant un parcours de neuf trous.   

Boxes de l'hippodrome
Pas encore rénovés, les boxes attendent leur tour. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).
Reflet sur une vitre de la tribune
Vestiges de l’époque des graffeurs. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).
Caméras de surveillance du site
Haute surveillance. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).

Il faudra attendre 2012 pour que la Région Bruxelloise débute une rénovation ambitieuse des bâtiments principaux via la Société d’Aménagement Urbain (SAU), pour un coût total de 6 millions d’euros. En parallèle, elle lance un appel d’offre pour former un partenariat public-privé avec un concessionnaire qui exploiterait le site sur une durée de 15 ans. Le site appartenant toujours à la Région, et bénéficiant de fonds publics, notamment européens via le fond FEDER, les projets doivent avoir un cahier des charges précis : accessible à tous, respect environnemental, rôle pédagogique, mais aussi équilibré financièrement. C’est le projet DROHME Park de VO Group, une entreprise de communication spécialisée dans l’événementiel, qui remporte le sprint final. Il propose un « melting park », qu’il définit comme un tout nouveau modèle de parc de loisirs, innovant, familial, intergénérationnel et centré sur la nature et l’écologie. Il entend « rendre la nature et la biodiversité au citoyen ».

Un nouveau projet qui gagne la course, mais pas la foule

Drohme débute au trot dès 2014, avec l’introduction de demandes de permis d’urbanisme et d’environnement, qu’il obtiendra rapidement. Dès le départ, il reprend le golf et met en place ses nouvelles activités. Exploitation du restaurant le Pesage, organisations d’événements divers, soirées privées et autres. Mais aussitôt, la tension monte avec des riverains et associations de défense environnementale, comme Natagora, les Amis de la Forêt de Soignes ou inter-environnement Bruxelles. En cause : la localisation du site, 32ha en lisière de la Forêt de Soignes. Cette forêt, qui est classée zone Natura 2000 et bénéficie d’un arrêté de classement qui interdit toute diminution de sa superficie, a été par le passé de nombreuses fois amputée de sa superficie, et fait donc l’objet d’une surveillance et protection accrue de la part de ses défenseurs.

Barrière de l'hippodrome dans la Forêt de Soignes
Au fond du site, la barrière de l’hippodrome s’enfonce dans la Forêt de Soignes. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).

Marco Ranieri et Karin Stevens, riverains concernés depuis le début du projet, expliquent : « On est pas contre le projet Drohme. Personne ne s’oppose à ce que le site soit restauré et accueille de nouveau un plus large public ». Par contre, ils déplorent le fait que la Région n’a pas demandé l’avis des riverains lors de l’appel à projet, et une fois VO Group en place, ils n’ont pas eu plus voix au chapitre. Certes, des réunions ouvertes étaient organisées par le concessionnaire privé pour ouvrir le dialogue, mais ils dénoncent une communication de façade, les demandes de modification du projet n’ayant pas été prises en compte. Les points de contentieux soulevés par les riverains sont principalement la taille des événements organisés, démesurés par rapport au site, avec une incidence négative sur la biodiversité et le quartier. Le grand parking utilisé par Drohme est également illégal, car non-conforme au PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol). Finalement, la construction de nouveaux bâtiments qui amputent encore plus la zone forestière n’est pas nécessaire, sachant que le site compte déjà de nombreux bâtiments.

De son côté, le CEO de VO GROUP, Michel Culot, défend son projet corps et âme. Citoyen impliqué dans sa ville tombé amoureux du site de l’hippodrome, il veut lui rendre sa beauté d’antan. Il dit avoir toujours ouvert le dialogue avec les riverains, mais le terrain était déjà miné. « Des familles riches voisines à l’hippodrome payaient un certain monsieur Wilhelmi afin qu’il fasse tout son possible pour empêcher le développement du site ». Avec ses « acolytes », ce monsieur Wilhelmi serait le seul opposant au projet, contrairement à la majorité des riverains, qui seraient pour. Michel Culot se dit très concerné par l’aspect naturel du site mais, comme tout concessionnaire privé, il se doit d’être rentable. Mais à cause de la mauvaise presse et des complications de développement qu’a connu le site, dus aux recours légaux déposés par les riverains, il s’est vite avéré compliqué de maintenir un équilibre financier.  

Une étude d’étudiants et chercheurs de l’ULB et l’UCL pointe un autre aspect du projet Drohme qui questionne : le public visé. De par le type d’activités proposées, et le fait qu’elles soient majoritairement payantes, le parc d’activités se tourne résolument vers un public aisé. Ce partenariat public-privé semble détourner le projet de ses objectifs principaux. Le choix de cette formule de financements de projets publics a eu sans nul doute son incidence, comme le démontrent les critiques auxquelles font face d’autres projets du même type en région bruxelloise (la future prison de Haren, le centre commerciale Néo).

Tribunes de l'hippodrome de Boitsfort
Depuis les tribunes, on peut maintenant encourager les joggeurs et golfeurs. Photo : Noé Zimmer (CC BY NC ND).

Cette dernière folle course hippique de l’hippodrome amène à une révision du projet en novembre 2020. Les pouvoirs publics, via Bruxelles Environnement, reprennent la gestion des espaces verts sur le site, espérant rassurer ainsi les associations environnementales et riverains. De plus, la construction d’un espace de bien-être et d’un deuxième restaurant est abandonnée par Drohme. Reste la construction, en zone forestière, de la Maison de la forêt et d’un parcours de cimes. Une diminution et révision du projet obtenus par les riverains et associations environnementales à force de travail et d’obstination, qui ont été acceptées par le concessionnaire privé VO Group. L’hippodrome est il enfin harnaché pour son futur prometteur ?  

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