Il est arrivé au Théâtre des Galeries il y a 25 ans, comme simple attaché de presse. Aujourd’hui responsable des trois « P » (presse, promotion et programmation) de la plus grande salle de théâtre de Bruxelles, auteur et metteur en scène, Fabrice Gardin est une figure majeure de la scène culturelle belge. Il revient avec nous sur la fermeture des lieux de culture, sans langue de bois.
Photo : A. Perniaux
Il y a peu, la ministre française de la culture Roselyne Bachelot déclarait que la France protégeait mieux que quiconque la culture en cette période de crise. Selon vous, la Belgique protège-t-elle suffisamment le secteur ?
Disons qu’il y a des actions, certaines très valables et d’autres qui s’avèrent être de la poudre aux yeux. Bénédicte Linard, la ministre de la Culture de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) a annoncé qu’elle débloquait 1,6 million d’euros pour financer la captation de spectacles pour les diffuser sur Auvio. Le problème, c’est que pour avoir une captation d’un spectacle, il faut le produire. Et ça, ça coûte beaucoup d’argent. On n’a aucune certitude que les fonds débloqués couvriraient les coûts de production. Ce genre d’annonces, c’est pour dire au public : « On n’abandonne pas la culture ! ». Dans les faits, ça ne nous aide pas du tout.
Qui est réellement mis en danger par la fermeture des espaces culturels ?
Les gens qui étaient les plus précarisés restent les plus précarisés. Et pour une raison qui est assez simple : la FWB n’octroie pas des subsides aux personnes en particulier, mais bien aux compagnies et aux théâtres. C’est à eux d’ensuite redistribuer ces subsides, mais ils n’en sont pas toujours capables. Certains acteurs de la scène culturelle, comme les comédiens, les auteurs, les metteurs en scène, les techniciens, etc. n’ont plus aucun revenu depuis le mois de mars, et cela crée des situations tragiques. Tous ces gens ont eu une lueur d’espoir lors du premier déconfinement, mais cela n’a pas duré longtemps.
La réouverture des lieux culturels n’aura effectivement pas fait long feu. Comment jugez-vous la communication autour de la seconde fermeture ?
Désastreuse. Voilà comment s’est déroulé la semaine du 19 octobre, avant que le reconfinement partiel soit annoncé. En début de semaine, on nous annonce que la dérogation que nous avions obtenue pour jouer devant 400 spectateurs n’est plus d’actualité, et qu’il faudra se contenter de 200 personnes. Nous avons donc dû passer 200 coups de fil, et annoncer aux gens que leur place n’était plus valable. En milieu de semaine, on nous annonce le couvre-feu. On doit donc appeler à nouveau tout le monde, pour leur dire que le spectacle n’aura pas lieu à 20h15 mais à 19h. Tout ça pour nous annoncer en début de week-end que tous les lieux culturels allaient être fermés à partir du lundi suivant. Depuis, silence radio. Officiellement, on a aucune nouvelle sur une potentielle réouverture. On s’est un peu foutu de notre gueule …
Financièrement, comment s’en sort le théâtre ?
Difficilement. Pour compenser les pertes du premier confinement, on a reçu 120 000 €. Pendant cette période, deux spectacles n’ont pas pu être joués. Et un spectacle non-joué, ça représente une perte de 150 000 €. Pour le déconfinement, on pouvait légalement ouvrir début septembre, mais une pièce de théâtre, ça prend du temps à organiser. Nous étions prêts à jouer « Misery », une adaptation d’un roman de Stephen King, début octobre. Mais après une semaine de représentation, on tirait déjà le rideau. Or, tous les frais liés à la pièce (costumes, décors, salaires des comédiens, etc.) avaient été réalisés. En étant réalistes, on a compris que l’on resterait fermé également pour le mois de décembre, alors que c’est normalement notre mois le plus rentable.
On aurait pu garder ces lieux ouverts, en appliquant des mesures strictes, pour éviter cette déroute financière ?
En tout cas, tout avait été fait pour. Rangée libre entre chaque rangée de spectateurs, deux sièges d’écart entre chaque personne, port du masque obligatoire durant la représentation, gel hydroalcoolique disponible un peu partout, système d’aération performant,… On est bien mieux protégé au Théâtre des Galeries que dans les transports en communs. Mais à partir du moment où les restaurants fermaient, c’était impossible pour les décideurs politiques d’assumer une ouverture des lieux de culture. De plus, si le Théâtre des Galeries permet une mise en application de ces mesures, ce n’est pas le cas de tous les espaces culturels. Il faut reconnaître que nos dirigeants politiques n’ont pas une tâche facile, mais les petites erreurs que l’on a accepté durant le premier confinement, c’est très dur de les accepter pour le second !
Et qui dit second confinement, dit second déconfinement. Pensez-vous qu’avec la débâcle du premier déconfinement, qui a entrainé la seconde vague, les spectateurs oseront revenir dans les salles ?
Il faut remettre les choses en perspectives : les spectateurs n’étaient déjà pas au rendez-vous lors de la réouverture de septembre. Au Théâtre, on a habituellement 8000 abonnés. Cette année, seuls 5000 personnes ont renouvelé leur abonnement. On a perdu un tiers de nos abonnés à cause du Covid-19. « Misery », le spectacle qui a ouvert cette saison 2020-2021, était censé attirer entre 14 000 et 15 000 personnes. On a eu royalement 6500 réservations. Selon moi, après le second confinement, ça va être la dèche la plus complète en termes de spectateurs.
On le comprend, la situation est critique financièrement. Concrètement, qu’est-ce que cela implique pour le théâtre ?
Très concrètement, pour notre spectacle du mois de février, notre décor à 20 000 €, on va devoir le faire avec 10 000 €. Notre tournée avec ce spectacle est déjà annulée. Tous les projets pour l’année 2021 qui employaient trop de gens sont tombés à l’eau. On avait un spectacle qui mettait en scène douze comédiens, il a été remplacé par un spectacle avec trois comédiens. Ceux qui en pâtissent, à nouveau, ce sont ceux qui occupent les emplois les plus précaires. Mais on n’a pas le choix ; on a une responsabilité en tant que chef d’entreprise. On veut aider le plus possible ces gens qui ont un statut précaire, mais si le théâtre se casse la gueule, on ne pourra plus aider personne.